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Projet de loi-programme: le Conseil d’État étrille la nouvelle « exit tax »

Le Conseil d’État a rendu son avis sur le projet de loi-programme destiné à mettre en œuvre certaines des mesures fiscales prévues dans l’accord gouvernemental. Il s’est montré particulièrement critique à l’égard de la nouvelle « exit tax », estimant que ses fondements juridiques sont incertains.


1. De quelle “exit tax” est-il ici question ?

Il s’agit de la taxe à la sortie contenue dans le projet de loi-programme, prenant la forme d’une nouvelle catégorie de dividende (fictif) en cas de transfert de siège outbound d’une société belge (ou opération assimilée).

Nouvel article 18, alinéa 1, 2° quater, du CIR.

À ne pas confondre avec l’« exit tax » accompagnant le projet de taxation des plus-values sur actifs financiers, prévu au nouvel article 92, §2 du CIR.


2. Conformité avec le droit européen ?

Selon une jurisprudence établie de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), les taxations à la sortie peuvent constituer une entrave à la liberté d’établissement, sauf à pouvoir être justifiées par la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre États membres.

La Cour examine si l’État membre sur le territoire duquel les revenus ont été générés est empêché d’exercer sa compétence fiscale sur ces revenus à la suite du transfert.


3. La Belgique perd-elle réellement son pouvoir d’imposition ?

Le Conseil d’État exprime des doutes sur la réalité de cette perte de compétence fiscale, du moins lorsque les actionnaires concernés demeurent résidents belges (ce qui n’est pas le cas des actionnaires non-résidents).

Exemple : si une société belge émigre au Luxembourg, toute distribution future (dividende, boni de liquidation, etc.) resterait imposable en Belgique chez un actionnaire résident.

La justification par perte du pouvoir d’imposition pourrait donc ne pas tenir.


4. La référence à l’affaire Panayi (CJUE, 14 septembre 2017)

Le Conseil d’État évoque néanmoins une possible justification, en renvoyant à l’affaire Panayi (CJUE, C-646/15).

Dans cette affaire, des trusts anglais voyaient la majorité de leurs trustees transférer leur résidence fiscale vers Chypre, déclenchant une exit tax au Royaume-Uni.

La CJUE a considéré que le Royaume-Uni ne conservait pas son pouvoir d’imposition :

  • car la distribution de revenus dépendait du pouvoir discrétionnaire des trustees,
  • et les bénéficiaires devaient eux-mêmes rester résidents britanniques, ce qui n’était pas garanti.

Cependant, le Conseil d’État reste sceptique quant à la transposition de cette jurisprudence à la situation d’une société belge, qui ne présente pas les mêmes caractéristiques qu’un trust anglo-saxon.


5. Affaire à suivre…

Le gouvernement saisira-t-il l’opportunité de cette brèche ouverte par le Conseil d’État ?

Il pourrait tenter d’apporter une justification complémentaire convaincante, ou encore adapter la portée de la mesure pour épargner les actionnaires résidents.

Le débat reste ouvert, et l’avenir de cette nouvelle « exit tax » dépendra autant du droit européen que de l’habileté du gouvernement à motiver son dispositif.

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