De plus en plus d’économistes évoquent un scénario hyperinflationniste. Qu’est-ce que l’hyperinflation ? Les définitions sont multiples, mais il est coutumier de parler d’un taux cumulé de l’inflation sur trois ans qui approche ou qui dépasse 100 %, soit une inflation annuelle moyenne de 26 %. Nous en sommes loin. En revanche, nous sommes dans un mouvement inflationniste incontestable puisque l’inflation européenne devrait approcher 20 % pour les années 2022-23. De surcroît, des raréfactions énergétiques et alimentaires vont contribuer à un renchérissement des prix. Ce ne sera donc pas l’hyperinflation, mais un choc social très brutal aggravé par une perte de compétitivité des entreprises.
On voit aussi la BCE tempêter qu’elle va juguler l’inflation. Elle ne pourra le faire — et je doute du résultat — que par une augmentation de taux d’intérêt et un délestage de son bilan de dettes publiques, mais cela entraînera un choc déflationniste. Cela va surtout contrarier les États, et donc leurs populations, par des hausses de taux d’intérêt sur les emprunts publics. Les dirigeants européens rappelleront alors, en temps et en heure, à la Présidente de la BCE que cette institution est une émanation de ses États-actionnaires.
Risque-t-on une hyperdéflation ? Non, je ne le crois pas. Les exemples en sont rares dans l’histoire et résultent d’erreurs de jugement politique qui seront évitées.
Mais alors, quel est le risque ? C’est le risque de la fracture sociale. Mais pas n’importe quelle fracture : une facture ouverte qui découle du choc de pouvoir d’achat frappant la partie la plus vulnérable de la population qui va frôler ou plonger dans la précarisation complète. Et ce risque nous confronte à la nécessité de garder un État social avec des dirigeants apaisés, car cette rancœur populaire va vite appeler les nationalistes et souverainistes en mal de temps anciens.
L’homogénéité sociale s’est incontestablement dégradée et des pans entiers de la population vivent un décrochage, si ce n’est un effondrement social que l’inflation récente aggrave. Cette précarisation s’inscrit elle-même dans une désagrégation sociale plus large, caractérisée par une atomisation de la société, une individualisation résignée, un émiettement culturel, la disparition des corps intermédiaires, une désinstitutionnalisation des pouvoirs, la fatigue des institutions, etc.
Il ne faut pas être un savant, mais juste un observateur, pour constater la dualisation de la société dont des strates relèvent presque de l’apartheid social.