Dans la présente contribution, nous nous intéressons aux nouveaux régimes de taxation des instruments financiers de rémunération qui pourraient être introduits dans le cadre de première phase de la réforme fiscale.
1.1. Introduction
Compte tenu du régime (para)fiscal peu favorable tel qu'applicable aujourd'hui en Belgique, les plans sur actions (ex. RSU US ou UK ou AGA françaises) sont peu pratiqués en Belgique. En effet, la différence positive entre le prix payé (soit 0 EUR, soit un prix réduit) et la valeur réelle des actions au moment de leur obtention est généralement pleinement soumise à l'IPP progressif par tranche et aux cotisations de sécurité sociales.
Le Gouvernement souhaite dès lors introduire un nouveau régime de taxation différée des (certificats sur) actions[1] gratuites (ou à prix réduit) afin d'impliquer plus activement les travailleurs dans la vie de l'entreprise et qu'ils puissent récolter les "fruits" du travail accompli.
La taxation (de l'ATN et de la plus-value) n'interviendrait qu'au moment de la réalisation ou aliénation effective des actions ou de leur utilisation en vue d'obtenir un prêt. Dans la suite nous parlerons dans tous les cas de "cession", par facilité. Avant la cession, aucune imposition ne serait appliquée. Toutefois, si des dividendes sont perçus avant la cession des actions, ils seraient bien évidement soumis au précompte mobilier ordinaire.
1.2. Une taxation différée…mais alambiquée
Le montant de la cession n'est taxé qu'au moment de la cession de l'action (ou lorsque le bénéficiaire devient non-résident fiscal belge – voir ci-après point 1.7).
Le montant de la cession est alors "scindé" en vue de recevoir un traitement fiscal distinct:
Le lecteur attentif aura constaté que le système de valorisation est complexe et qu'il posera probablement des questions en pratique. Par ailleurs, le gouvernement en profite pour introduire, en prémisse, une taxation à l'IPP des plus-values (normales) sur actions - certes, reçues dans le cadre professionnel - à hauteur de 15%. Le ver est dans le fruit.
Rappelons enfin que les éventuels dividendes perçus avant la cession des actions, seraient bien évidement soumis au précompte mobilier ordinaire et ce en application des règles classiques. De tels dividendes, qui viendrait gratifier des instruments financiers de rémunération, ne seront a priori pas rencontrés dans le cadre de start ou scale-ups, mais pourraient représenter une opportunité d'incentive intéressante pour les sociétés plus établies.
1.3. Lien entre le bénéficiaire et la société
Cette taxation différée ne sera possible que si les instruments se rapportent à la "société employeuse", à savoir la société (belge ou étrangère) dotée de la personnalité juridique avec laquelle le travailleur ou le dirigeant d'entreprise est lié, ou toute autre société qui, directement ou indirectement, contrôle ou est contrôlée par celle-ci (question: quid des sociétés sœurs ?). A cet égard, notons que:
1.4. Détermination de "valeur réelle" au moment de l'attribution
On l'a déjà dit, pour les (certificats sur) actions[5], la partie taxable au titre de revenu professionnel correspondra à la valeur réelle de l'instrument au moment de son attribution[6]. Le montant de l'ATN sera en outre réduit en cas de paiement d'un prix par le bénéficiaire lors de l'attribution.
>La valeur fondée sur le prix moyen pondéré des instruments, pratiqué entre parties indépendantes pour des transactions pendant une période de 18 mois précédant ou suivant l'attribution (mais au plus tard à la date de l'aliénation par le bénéficiaire); ou
> Si de telles transactions n'ont pas lieu, la valeur est au moins égale à la valeur intrinsèque déterminée sur la base de la valeur nette comptable de de l'action, augmentée des plus-values latentes sur les immobilisations de la société[7].
1.5. Une condition (anti-abus) de "libre disposition" des instruments attribués?
Dans sa version actuelle, l'exposé des motifs de l'avant-projet de loi indique que le régime de taxation différée ne devrait pas s'appliquer dans les situations où des conditions contractuelles empêchent, en fait, le travailleur d'avoir la "libre disposition des titres reçus". Sont notamment visées ici les plans d'actions ou d'options qui prévoient une option d'achat pour la société employeuse qui peut être exercée directement après l'attribution des actions ou l'exercice des options, qui pourraient être qualifiées d'abus fiscal (au sens de 344 CIR92).
Cette règle, si elle est appliquée de manière stricte, mènera forcément à d'importantes difficultés en pratique… Cette exclusion s'applique-t-elle dès qu'il existe un pacte d'actionnaire ou une encore une option d'achat en faveur de la société employeuse permettant d'organiser un marché de liquidité ? Notons qu'une clause de drag along[8 ]semble ne pas être constitutif d'un abus fiscal aux yeux des rédacteurs du texte.
1.6. De nouvelles obligations déclaratives
Puisque le futur régime prévoit une taxation différée, le contribuable sera dorénavant tenu de mentionner dans sa déclaration fiscale, les actions (ou options) reçues, chaque année et jusqu'à leur cession (ou leur exercice).
1.7. Introduction d'un mécanisme d'exit tax
Pour mémoire, notons également que la taxation différée de l'ATN sera anticipée en cas de changement de résidence fiscale dans le chef du bénéficiaire. Selon nous, la conformité de cette taxation anticipée avec le droit européen mériterait néanmoins une analyse plus poussée.
1.8 Options sur actions ne tombant pas dans le régime fiscal favorable de la taxation à l'attribution
Les options sur actions tombent également dans ce nouveau régime de taxation différée (ce qui est déjà de facto le cas pour les "unqualified options" qui ne tombent pas dans le régime d'imposition à l'attribution tel que prévu par l'actuelle régime fiscal prévu par la "loi de 1999", lesquelles sont imposées au moment de l'exercice de l'option sur tout avantage résultant de l'exercice). Il existe toutefois certaines spécificités en ce qui concerne le moment de taxation des options (= au plus tard à l'exercice, si pas les options ne sont pas cédées avant) et du montant imposable lorsqu'elles sont effectivement exercées (= différence entre valeur réelle de l'action sous-jacente au moment de l'exercice et le prix d'exercice de l'option). L'actuelle pratique administrative serait donc en quelque sorte inscrite dans la loi.
2. 1. Nouvelles conditions imposées en vue de tomber dans le champ d'application du régime d'imposition à l'attribution
Le régime fiscal des options sur actions tel qu'actuellement prévu dans la loi du 26 mars 1999 reste intact dans son fonctionnement et ses principes, mais serait intégré au sein CIR92 (rendant la mesure générale anti-abus de l'article 344 CIR92 applicable). Bien que les modifications semblent assez mineures, le champ d'application de ce régime d'imposition favorable s'en trouve fortement réduit.
Ce régime prévoit une taxation de l'ATN découlant de l'attribution des options au titre de revenu professionnel taxable au moment de leur attribution dans le chef du travailleur (employé) ou dirigeant d'entreprise. La valeur de l'ATN correspond à un pourcentage de la valeur réelle des actions sous-jacentes au moment de l'attribution[9].
La valorisation des instruments se fait conformément à la méthode déjà exposée ci-dessus (voir le point 1.4 auquel il est renvoyé).
Pour que ce régime de taxation à l'attribution soit applicable, il sera requis que:
2.2. Conditions pour l'obtention du taux réduit de moitié
Ces conditions seraient assouplies. C'est la conséquence logique du transfert de certaines de ces conditions pour désormais tomber dans le champ d'application du régime. Les conditions pour que les pourcentages (18% + 1% par année supplémentaire au-delà de 5 ans) puissent être réduit de moitié (9% + 0,5%) seraient désormais limitées comme suit :
2.3. Quid de l'exonération de sécurité sociale ?
Concernant la sécurité sociale, l'AR du 28 novembre 1969 prévoit actuellement que "l'avantage retiré des options sur actions, tel que défini à l'article 42 de la loi du 26 mars 1999 […]" est exonéré de cotisation sociale. Cette exonération se fondant sur un renvoi explicite à la loi du 26 mars 1999, une modification de l'AR sera donc nécessaire afin de maintenir l'exonération, une fois que le régime aura été intégré dans le CIR92, sous peine de voir l'ONSS réclamer des cotisations sociales sur l'avantage découlant de l'octroi d'options sur actions…
Enfin, la réforme envisagée vise également à introduire une taxation des "rendements excédentaires" dont un titulaire d'instruments financiers pourrait bénéficier en raison de son activité professionnelle.
Par "rendement excédentaire", l'on entend le rendement qui est proportionnellement supérieur au rendement obtenu par d'autres détenteurs d'instruments financiers de nature similaire pour lesquels les instruments financiers n'ont aucun lien avec l'activité professionnelle. Le cas visé ici est donc celui, par exemple, d'un cadre qui disposerait d'actions de la société dans laquelle il travaille et qui, en raison de cette activité professionnelle au sein de la société, obtiendrait un rendement supérieur aux actionnaires ordinaires qui ne sont pas professionnellement actifs au sein de la société.
Ce nouveau régime de taxation des rendements excédentaires de titres a pour but explicite d'encadrer clairement les situations de management incentiveet de carried interest, dont le traitement fiscal est aujourd'hui souvent sujet à discussion.
Olivier Lambillon
Avocat au barreau de Bruxelles
T +32 2 515 9334
F +32 2 512 9335
olivier.lambillon@osborneclarke.com
Notes
[1] Ce régime peut également, dans certains cas, s'appliquer à des options qui seraient cédées et non exercées.
[2] À l'exception d'un éventuel "rendement excédentaire" taxable lui à 35%.
[3] Cette pratique étant généralement utilisée pour éviter que les travailleurs ne participent ou ait un droit de regard sur les AG et sur les décisions prises au sein de la société employeuse.
[4] Les règles ordinaires resteraient alors d'application (ex. taxation d'un ATN au vesting des actions gratuites).
[5] Et options (uniquement en cas de cession, donc sans exercice).
[6 En cas de diminution de valeur entre l'attribution et le moment du transfert ou de l'aliénation (c'est-à-dire au moment de la taxation différée), le montant de l'ATN sera limité à la valeur réelle au moment du transfert ou de l'aliénation.
[7] C’est-à-dire augmentée de la différence entre la valeur réelle des immobilisations incorporelles, corporelles et financières et leur valeur comptable. Pour les besoins de ce calcul, la valeur du goodwill est fixée forfaitairement à l'addition du bénéfice net réalisé au cours des 4 années précédant l'attribution
[8] En vue d'obliger les minoritaires à céder leurs actions en cas de rachat par un tiers.
[9] Du moins en ce qui concerne les options non-cotées (les options cotées donnant lieu à un ATN correspondant à la valeur des options octroyées sur base des cours de bourse de l'option).