Salaire minimum en version maximum ?

Il faut payer plus qu’un minimum d’attention au relèvement de la paie minimale.


Monsieur Paul Magnette a surpris, y compris à gauche, en lançant comme revendication un salaire mensuel minimum de EUR 2.800. Le niveau actuel est EUR 2.100. Le timing, l’avant-veille des élections, d’une annonce aussi forte de la part d’un parti au pouvoir est malheureux mais poser la question du niveau du salaire minimum est heureux. Certes, la Belgique n’est pas la France, où la SMIC a un impact direct sur le pouvoir d’achat plus marqué, mais nous n’échappons pas à la réalité des « working poors », expression regroupant les personnes qui, tout en travaillant, subissent des privations matérielles graves.

Lutter contre la pauvreté est évidement une priorité, et rendre aux travailleurs le fruit de leurs efforts, en liant le salaire minimum à l’augmentation de la productivité du travail, semble être … un minimum ! L’éthique invite donc à considérer un relèvement du salaire minimum avec un regard bienveillant. Comme plus souvent qu’on le croit, l’économie offre des arguments qui rejoignent l’éthique dans cette bienveillance.

Deux arguments économiques – subsidiaires par rapport à la lutte contre la pauvreté – peuvent être avancés. Le premier a trait au « piège à l’emploi », à savoir à l’insuffisance d’incitation financière à travailler en regard du niveau des allocations sociales et autres prestations (tarif social de l’énergie, logement social, …). Pour répondre à cette insuffisance, il n’y a que 3 options : réduire les allocations, réduire le nombre de personnes ayant accès aux allocations et augmenter le salaire. La première option est indigne. La seconde a sa justification, et le travail au noir devrait être combattu avec bien plus d’énergie, et plus du côté de l’employeur qui n’a pas l’excuse des fins de mois très compliquées que de celui du travailleur. Mais les progrès, s’agissant de cette deuxième option, allant au mieux être lents, la troisième option, celle du relèvement des bas salaires, doit être envisagée, bien sûr alors sans relèvement parallèle de l’allocation de remplacement.

Le second argument d’économiste en faveur d’un tel relèvement est celui de la coordination entre employeurs. Imaginons qu’un patron de restaurant souhaiterait voir ses employés être mieux payés, mais alors il devrait porter le prix de la pizza margherita de EUR 13 à EUR 15. S’il est le seul à le faire, il risque de voir ses clients passer à la concurrence. Si le relèvement répond à une contrainte légale, il n’y aura pas à redouter une telle perte de clientèle. Et ceci peut aussi être vrai pour le restaurateur concurrent. Nous faisons face ici à ce que les économistes nomment un « dilemme du prisonnier », et un relèvement du salaire minimum serait à souhaiter, puisqu’il assurerait une coordination mutuellement avantageuse.

En regard, il faut opposer, contre le relèvement, l’argument de « l’enfer pavé de bonnes intentions » : si le salaire minimum est augmenté en Belgique, cela pénalisera l’emploi des moins qualifié chez nous, que ce soit par perte de compétitivité et fuite d’entreprises ou par substitution de machines au travail humain. Avant 2015, il n’existait pas de salaire minimum en Allemagne, et la perspective d’en introduire un a fait prédire par le banc patronal des destructions d’emplois massives. Quand il fut introduit, pas moins de 11% des travailleurs allemands gagnaient moins que le salaire minimum. Et pourtant, les études ex post (O. Bruttel, 2019) montrent que l’impact sur l’emploi fut mineur ![1] Cette heureuse observation empirique allemande ne signifie pas que mettre le salaire minimum à EUR 2.800 n’est pas trop haut, en particulier en Wallonie d’ailleurs, mais un relèvement sensible du salaire minimum n’est pas forcément une hérésie économique. Et tendre des personnes dont le revenu est bien supérieur s’en indigner, qui plus est, sans analyse approfondie, est affligeant.


[1] Voir Oliver Bruttel (2019), The effects of the new statutory minimum wage in Germany: a first assessment of the evidence, Journal for Labour Market Research, volume 53. https://labourmarketresearch.springeropen.com/articles/10.1186/s12651-019-0258-z

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