S’extraire d’une tempête en tant qu’actionnaire de Pme

QUAND VOUS SORTIREZ DE LA TEMPÊTE, VOUS NE SEREZ PAS LA MÊME PERSONNE QUE CELLE QUI Y EST RENTRÉE. C’EST TOUT L’INTÉRÊT DE LA TEMPÊTE” - Haruki Murakami-

L’actionnaire qui se sent déforcé peut se faire représenter par un expert-comptable certifié (dont c’est le monopole légal) afin d’exercer ses pouvoirs d’investigation.

Concrètement, c’est obtenir un accès à toutes les informations de l’entreprise.

Les situations de crise amplifient l’impact des émotions et leurs conséquences sur la capacité à sortir d’un conflit de manière favorable d’où l’intérêt de se faire assister.

Un droit méconnu et peu exercé

L’article 3:101 du Code des Sociétés et des Associations prévoit ceci ;

“Au cas où aucun commissaire n’est nommé, chaque associé ou actionnaire a, nonobstant toute disposition statutaire contraire, individuellement les pouvoirs d’investigation et de contrôle d’un commissaire. Il peut se faire représenter ou se faire assister par un expert-comptable externe.”

Malgré tout, les administrateurs (qui ne sont pas forcément actionnaires) disposent d’un droit analogue dans la mesure où ils estiment que l’information (financière) dont ils bénéficient est insuffisante.

Quels sont les objectifs de cette faculté pour un actionnaire ;

– Savoir quelle est la valeur “marché” de la société et donc celle des actions qu’il/elle détient ;

– Identifier ce qui pourrait porter préjudice à la société ;

– Avoir conscience des risques (fiscaux) potentiels :

– Sortir du conflit avec des arguments financiers sans (forcément) passer par la voie judiciaire.

Dans ce contexte, l’expert-comptable n’agit pas comme un réviseur d’entreprises, notamment pour ces raisons ;

– Un réviseur d’entreprises est nommé pour un délai incompressible de 3 ans, ce qui lui permet de ne pas subir de rapport de force dès lors que son appréciation sur la situation financière devrait déplaire au management/actionnaires ;

– Il suit l’entreprise de manière régulière dans un contexte d’activité normal (sans conflit d’actionnaires) ;

– Son opinion annuelle est annexée aux comptes publiés à la banque nationale, l’information est donc orientée aussi vers les tiers.

De l'ombre à la lumière

Conjointement avec votre avocat, l’expert-comptable certifié tentera de contribuer à ;

– Vous donner une image réaliste de la situation financière de l’entreprise ;

– Objectiver vos appréhensions ;

– Déceler des dysfonctionnements ;

– Évaluer la fiabilité de l’information délivrée ;

– Porter une appréciation sur la substance des actifs et l’exhaustivité des passifs ;

– Vérifier l’application des conventions ;

– Rassembler les arguments robustes ;

– Œuvrer pour la concrétisation des cessions des actions par l’une ou l’autre des parties ;

– Etc.

Le champ des possibles est vaste puisqu’il lui permet de ;

– Prendre connaissance, même sans déplacement, de l’ensemble des documents liés à la vie de la Société ;

– Analyser les comptes en profondeur ;

– Accéder aux correspondances ;

– Généralement de toutes les écritures de la Société (large) ;

– Dialoguer avec les représentants en fonction ;

– Il peut également « requérir de l’organe de gestion, des agents et des préposés de la société toutes les explications ou informations et procéder à toutes les vérifications qui (lui) paraissent nécessaires ».

– Dénoncer des situations d’abus de minorité/majorité ;

– Vous orienter vers la solution la plus réaliste.

Les frais de ce type de mission sont généralement supportés par l’actionnaire qui demande à se faire représenter (ou son assurance protection juridique). Il peut obtenir l’accord de la société pour qu’elle supporte le cout, mais alors le rapport de l’expert est transmis à la société, en termes de stratégie ce n’est donc pas forcément le choix le plus raisonné.

Ne plus subir l'influence des autres

Très souvent, les critiques des personnes qui vivent ce type de difficultés sont :

– On m’impose des décisions qui ne m’appartiennent pas ;

– Je remarque que certaines dépenses sont faites sans consentement et à l’encontre de l’intérêt social ;

– On me demande de garder le silence sur des faits que je considère comme grave ;

– Certains actes sont travestis en d’autres pour prendre une apparence acceptable ;

– On tente de me cacher des informations capitales ;

– Les décisions de fond sont prises par une personne de l’ombre qui ne peut être officiellement mandataire ;

– J’ai conscience que plusieurs dispositions légales sont contournées ;

– On exerce sur moi une pression importante pour que je constitue des garanties personnelles afin que la société puisse obtenir des financements ;

– Etc.

Si ces affirmations font écho chez vous, le temps est venu d’agir.

Explorer certaines zones troubles

S’accorder une vue holistique est nécessaire pour percevoir l’intégralité de la situation. De la même manière que la médecine fonctionnelle s’intéresse à l’ensemble du corps et pas uniquement à un seul organe.

Sans être exhaustif, certains comptes peuvent soulever question quant à leur juste évaluation pour refleter une image fidèle (et impacter le niveau des fonds propres) ;

> Immobilisations incorporelles

Quelle est la réelle substance des actifs de ce type, la contre partie économique n’est pas évidente à évaluer. Certains la relie à la capacité de l’actif à générer des revenus.

Cette rubrique a été à l’origine de plusieurs scandales financiers retentissants, comme Enron, Lernout & Hauspie ainsi qu’Olympus.

Le risque se cristalise quand cet actif immatériel perd de sa substance mais qu’en face la dette ayant permis son développement n’a pas diminué.

> Immobilisations financières

Dans les PME, on remarque que l’ajustement, vers le bas, de la valeur des participations déténues, n’est pas forcément un reflexe. Comme pour d’autres rubriques, une réduction de valeur doit être actée quand la valeur de réalisation probable est inférieure à celle d’acquisition (et donc comptabilisée). Cette appréciation est annuelle quand un “inventaire” du patrimoine est réalisé lors de l ‘établissement du bilan.

Par exemple, quand une filiale distribue un (super-)dividende et/ou procède à une réduction de capital, la valeur subistante de la participation doit être diminuée.

> Stocks

La pierre d’achoppement est de trouver des biens qui devrait avoir été déclassés en raison du fait que le produit a peu de chance de trouver acquéreur.

Dans des sociétés de services, l’appréciation des “bénéfices en-cours” est moins évidente, comment apprécier finement la prise en résultat d’un service d’ingénierie qui n’est pas encore entièrement délivré.

> Créances

On est souvent frappé par l’énérgie déployée par une entreprise pour générer des revenus, conclure des nouvelles affaires mais, paradoxalement, accorder nettement moins d’importance à encaisser ses créances.

Ceci avec comme conséquence d’aboutir, tot ou tard, à une situation de trésorerie critique.

> Plus-value de réévaluation

Le principe est de constater dans les comptes un écart de valeur, lorsqu’un actif à une valeur réelle supérieure à celle reprise dans la comptabilité (lire en détails).

Une augmentation de la valeur de l’actif est constatée dans un compte distinct, en contre partie, les fonds propres sont augmenté du même montant.

Cette faculté doit être justifiée par un rapport du conseil d’administration, mais ne pose pas vraiment d’autres conditions, si ce n’est être rigoureux et démontré que cette survaleur tiendra dans la durée.

Ce sera notamment le cas d’un terrain détenu de longue date, ou les actions détenues dans une société qui a aboutit à développer un produit très prometteur.

Si cette possibilité de réévaluation est déviée, elle aura pour effet de réhausser artificiellement la valeur des fonds propres, c’est là que le danger réside.

Fiscalement, acter une plus-value de réevaluation nécessite une mure reflexion car elle aura comme inconvénients ;

– Les amortissements liées ne sont pas déductibles (pas nécessaire sur un actif non amortissable réevalué) ;

– Le résultat comptable est diminué par les amortissements, ceux-ci réduisent donc le montant distribuable en fin d’exercice.

Quand l’intérêt de cette mesure est détournée, cela s’apparente à de l’habillage bilantaire.

> Variations importantes dans le compte de résultats

Dans l’esprit de bénéficier d’une vue étendue et de comprendre comment la société a évolué, le lecteur portera son attention sur les variations significatives au cours des derniers exercices ;

-Revenus/Charges et la “reconnaissance” fiable de ceux-ci ;

-Hors normes

-Honoraires de gestion

-Royalties

-Etc.

La question sera aussi de savoir jusqu’à quel stade les informations sont fiables.

> Charges portées à l’actif au titre de frais de restructuration

Comme pour la plus-value de réevaluation, une disposition qui a du sens, si elle est détournée provoque des effets néfastes et trompe le lecteur.

Une société qui vit une profonde restructuration subit des charges importantes de toutes natures (frais généraux, développement, couts de personnel, financiers, etc).

Dans le cadre d’une réorganisation, la société peut, licitement, justifier d’activer ces coûts jugés exceptionnels et ainsi limiter l’impact de ceux-ci sur le résultat ainsi que les fonds propres de l’entreprise.

L’image financière sera donc nettement améliorée car l’ensemble de ces couts sera partiellement neutralisé par une charge négative en constituant un actif immatériel (amortis sur cinq périodes).

La question de fond sera donc de savoir si cela ne vise pas uniquement à édulcorer les fonds propres et de repousser la déconfiture.

La prudence des administrateurs

Les administrateurs qui souhaitent ne pas souffrir la critique de la part des actionnaires devront être scrupuleusement veiller à ces aspects ;

> Respecter :

  1. La procédure dite de “sonnette d’alarme” , càd quant la continuité est menacée, entre-autre, car les fonds propres sont dégradés ;
  2. L’obligation de publication des comptes annuels ;
  3. Avant la distribution de dividendes/tantièmes/remb capital, qu’elle soit justifée par le rapport de double test (justifier de la solvabilité et liquidité) ;
  4. Globalement être la garant de l’intérêt social.

> Eviter :

  1. Des avances injustifiées (compte courant);
  2. Absence de comptabilité ;
  3. Transactions “off the books” ;
  4. Faute grave et caractérisée ayant contribuée à la faillite ainsi que l’insuffisance d’actifs ;
  5. Absence de provision fiscale ;
  6. Poursuite d’une activité gravement déficitaire ;
  7. Refus persistant d’exécuter une décision de justice ;
  8. Déplacer l’activité dans une nouvelle entité (et laisser pourrir l’existante devenue exsangue) ;
  9. Dettes échues fiscales/sociales ;
  10. Etc.

Autres actions concrètes

Lorsque la poursuite de l’activité est devenue inenvisageable et sur base de “justes motifs”, une action en retrait ou exclusion peut être intentée, généralement quand on détient plus de 30 % des actions, des nuances existent en fonction d’une SRL ou SA.

La contrainte réside dans le temps que dure cette procédure (entre 1 et 2 ans), avec comme autre problématique la possible désignation d’un administrateur provisoire qui terminera de ternir l’éclat de la société auprès des tiers qui prendront conscience du litige ainsi officialisé.

Mesures préventives

L’expérience nous enseigne que les faiblesses d’une entreprise ayant mené à un conflit aurait pu être évité/diminué grâce à ces points ;

Pacte d’actionnaires : à l’instar d’un contrat de mariage, les actionnaires définissent leur projet commun pour l’entreprise, les conditions de maintien, cession des actions, etc ;

Convention de management : quel administrateur fait quoi, pour combien, quand, quelles informations doit il délivrer, etc

Assurance protection juridique : outre les autres protections qu’elle offre, les conflits entre actionnaires sont couverts. N’avancez pas sans filet ;

– Suivi financier régulier (1x mois) : s’abstenir de regarder les comptes, c’est se priver de réagir lorsque la situation dérape ou simplement prendre conscience des mesures à prendre ;

– Désignation d’un réviseur d’entreprises : certains se bornent à considérer cette option uniquement si les critères légaux, pour la nomination d’un commissaire, sont dépassés. Lorsque les fonds investis sont importants, que les actionnaires se connaissent peu, le secteur difficile, etc. Ce sont tous des paramètres qui devraient vous amener à considérer cette option ;

Réagir lorsque c’est nécessaire : le mutisme de certains face aux décisions (accumulées) contribue à générer des situations conflictuelles. Quoi de plus normal que de faire part ouvertement (par écrit) de votre désaccord.

QUE FAUT-IL EN RETENIR ?

Dans les préceptes de management de l’industrie japonaise figure cette technique des “5 pourquoi”. Confronté à une problématique, posez 5 fois la question “pourquoi” afin de remonter à la cause racine de cet écueil dans le but de trouver une (piste de) résolution.

Par contre, si vous vivez des moments de profonds doutes et que le dialogue est à ce point détérioré, vous devriez considérer la possibilité de vous faire représenter pour exercer vos pouvoirs d’investigations.

L’objectif de la démarche est d’abord une écoute large pour recueillir les informations capitales, une relative neutralité face aux émotions qui peuvent altérer la perception de la situation réelle, mais surtout maintenir une orientation vers une solution réaliste.

Ceci dans le but ultime de vous mettre autour de la table avec les bons arguments sans forcément passer par la voie judiciaire.

Puisse ce qui précède vous être utile dans vos décisions et restez partisan des solutions réfléchies et guidées à 360° par vos conseils ainsi que par ceux qui ont expérimenté ce que vous vivez.

Thomas DRAGUET © │thomas@anticiper.tax
ANTICIPER SRL, Expert-comptable Conseil fiscal certifié
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