La présidente de la BCE, Christine Lagarde, évoque les années vingt, puis trente, puis quarante pour qualifier les risques qui assaillent nos économies. A-t-elle raison ? En partie, oui. Mais si l’histoire bégaie, elle ne se répète pas.
Tous ces événements ont été largement décrits. Je les revois sous un angle synthétique. À la fin des années vingt, une bulle spéculative, aux causes multiples, finement analysée par de nombreux économistes (John Maynard Keynes [1883-1946], Milton Friedman [1912-2006], Irving Fisher [1867-1947], Ludwig von Mises [1881-1973], Charles P. Kindleberger [1910-2003], John Kenneth Galbraith [1908-2006], etc.), a conduit au krach boursier de 1929. Ce krach aurait peut-être pu être corrigé par une politique monétaire expansionniste, c’est-à-dire si la banque centrale américaine, la Federal Reserve, avait octroyé des liquidités, ou, pour parler plus simplement, fait tourner la planche à billets. Mais ce n’était pas possible, car le dollar était lié par un étalon-or, et il faudra attendre 1934 pour que le président Franklin D. Roosevelt (1882-1945) procède à une gigantesque dévaluation, malheureusement tardive. La leçon contemporaine est qu’il est essentiel que les banques centrales, dont la BCE, baissent leurs taux d’intérêt et refinancent les États, confrontés à des besoins croissants d’endettement. Mais cela se heurte souvent aux exigences allemandes de stabilité monétaire.
Le krach de 1929, qui a eu lieu en octobre, s’est rapidement diffusé dans l’économie réelle par vagues de faillites, y compris bancaires, avec des taux de chômage en forte hausse et un effondrement social. Certains pays réagirent d’ailleurs à contretemps, aggravant la crise : ce fut le cas de la déflation organisée en 1935 par le président du Conseil français Pierre Laval (1883-1945).
En conséquence, un virage autoritaire s’imposa dans plusieurs pays. Après l’échec du chancelier allemand Heinrich Brüning (1885-1970) de 1930 à 1932, Adolf Hitler (1889-1945) émergea en Allemagne, profitant des conséquences de la crise et probablement du ressentiment dû au traité de Versailles, combiné à l’hyperinflation de 1923-1924. Mais il serait resté un caporal insignifiant sans ces circonstances exceptionnelles.
Ce n’était cependant pas seulement Hitler. Benito Mussolini (1883-1945) avait déjà pris le pouvoir en Italie après la marche sur Rome en 1922, puis consolidé son régime fasciste en 1924. Francisco Franco (1892-1975) déclencha son coup d’État en Espagne en 1936, entraînant la guerre civile espagnole. De son côté, l’empereur Hirohito (1901-1989) du Japon soutint l’expansion militaire de son pays, avec l’invasion de la Mandchourie en 1931 (illustrée par l’album de Tintin, Le Lotus bleu), marquant le début de la militarisation japonaise et de la recherche d’un empire asiatique.
Quant aux années quarante, elles furent marquées par la Seconde Guerre mondiale, mais cela relève d’une autre dynamique.
La guerre ne se répète pas à l’identique, car il s’agit avant tout d’une question d’alliances. À l’époque, l’Allemagne nazie et l’Union soviétique avaient signé le pacte germano-soviétique en 1939, permettant l’invasion de la Pologne. Aujourd’hui, les circonstances sont bien différentes, et il est troublant de constater qu’en Ukraine, ce sont des chars allemands qui opèrent contre la Russie, un singulier parallèle avec l’opération Barbarossa de 1941.
Le vrai risque, que Christine Lagarde évoque peut-être, c’est celui d’une nouvelle grande dépression similaire à celle des années trente. Et là, elle a un rôle crucial à jouer : préparer l’Europe à l’inconnu en adoptant une politique monétaire expansionniste. Celle-ci s’impose d’autant plus qu’il est fort à parier que si Donald Trump est réélu, il mettra en œuvre une politique monétaire expansionniste destinée à déprécier le dollar, au détriment des autres monnaies dominantes. Il ne faudrait pas que, dans cette hypothèse, l’euro redevienne une monnaie forte, comme ce fut le cas après la crise bancaire de 2008, au risque d’une récession et d’une déflation.
Alors, nous ne sommes pas dans les années vingt, ni trente, ni même quarante, car l’histoire se joue des hommes. Mais les leçons monétaires s’apprennent, échec après échec.