Il y a très longtemps, l’un des plus brillants économistes belges, Robert Triffin, fut conseiller du président John F. Kennedy. Il donna son nom à un paradoxe qui s’avéra juste et conduisit au plus grand choc monétaire de l’après-guerre : l’abandon des accords de Bretton Woods.
En juillet 1944, les puissances alliées (rejointes ensuite par les pays vaincus) décidèrent de reformuler un ordre monétaire mondial basé sur l’étalon-or. Chaque devise était définie par son poids en or, et il était convenu qu’un pays déficitaire sur le plan commercial ou budgétaire devait solder sa dette par un transfert d’or. En réalité, le système reposait davantage sur l’étalon dollar, et les échanges d’or restaient circonscrits aux banques centrales.
Mais Robert Triffin perçut immédiatement la faille du système : le pays fournissant la liquidité mondiale devient inévitablement débiteur, ce qui conduit immanquablement à l’épuisement de ses réserves d’or. Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis étaient exportateurs nets, mais ils devinrent rapidement importateurs nets, un phénomène amplifié par la guerre du Vietnam et le programme Apollo. Leurs réserves d’or chutèrent alors au niveau des années trente.
Le 15 août 1971, les États-Unis suspendirent puis annulèrent la convertibilité du dollar en or, mettant fin au système de Bretton Woods.
La situation d’aujourd’hui est comparable : les États-Unis sont endettés à un niveau tel que les plans de Trump devraient porter la dette publique américaine à 40 % du PIB mondial. Ses mesures tarifaires devraient réduire les importations américaines, rendant le dollar moins abondant dans le reste du monde, alors même que les États-Unis ont besoin d’un dollar faible pour rester une monnaie transactionnelle liquide.
Le dollar s’est récemment renforcé, ce qui handicape l’économie américaine. Il est donc probable que les États-Unis exigent que d’autres banques centrales vendent des dollars contre leurs propres devises. Mais cela pourrait aller encore plus loin : un acte de « piraterie monétaire », à l’image de celui de 1971, n’est pas à exclure.
Ce scénario pourrait prendre la forme d’une monétisation massive de la dette américaine, avec des taux d’intérêt réels (c’est-à-dire après déduction de l’inflation anticipée) négatifs, et/ou de restrictions sur les échanges monétaires entre banques centrales. Cela supposerait la mise sous contrôle de la Federak Reserve sous la Maison Blanche. Mais qui peut exclure totalement ce scénario ?
Si cela se produit, les Américains n’en souffriront pas : ils s’endetteront à un coût extrêmement bas et financeront leurs investissements sans que d’autres pays puissent répercuter cette inflation. La Bourse américaine bondira. Le 16 août 1971, le Dow Jones bondit de 4 %.
Mais pour le reste du monde, ce sera un javelot qui transpercerait les bilans financiers. D’ailleurs, les années septante furent une décennie économique maudite.