Serpent de mer des relations internationales, grand sujet économique au niveau national, en Europe et sur le plan international, négocié au cours des quatre dernières années entre positions ambiguës, options sur la table, montées au créneau, blocages, convictions, promesses, calculs d'impacts, discussions et coalitions, le tout sur fond de présidentielle américaine, voici aujourd'hui la grande réforme de la fiscalité internationale sur ses rails, même si des modalités d'exécution doivent encore être discutées.
Analyse synthétique de première main de ce que l'on qualifie souvent de "big bang fiscal", documents de réfèrence à l'appui pour approfondir la réflexion...sachant la mise en oeuvre effective en 2023 dans le meilleur scénario !
Dans l'actualité récente de cette saga, l'on se souviendra d'abord que, sous l'impulsion des Etats-Unis, les pays du groupe des 7 (l'Allemagne, le Canada, les États-Unis, la France, l’Italie, le Japon et le Royaume-Uni ) se sont accordés début juin à Londres sur l'objectif d'un taux d'impôt minimal mondial sur les sociétés "d'au moins 15%". Le 1er juillet, c'est sous l'égide de l'OCDE, que les choses ont continué d'avancer. 131pays (seuls 8 dont l'Irlande et la Hongrie n'ont pas signés, mais il restent engagés) membres du Cadre inclusif G20/OCDE sur l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, représentant plus de 90% du PIB mondial, ont en effet adhérés à un accord (Voyez Déclaration sur une solution reposant sur deux piliers pour résoudre les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie).
Sans surprise, quelques 10 jours plus tard, cette réforme de la fiscalité internationale des entreprises a été "approuvée" par les grands argentiers des vingt pays les plus puissants économiquement, réunis les 9 et 10 juillet à Venise (voyez "Rapport sur la fiscalité du Secrétaire général de l'OCDE à l'intention des ministres des Finances et des gouverneurs de banques centrales des pays du G20 -Italie Juillet 2021" ci-dessous). Si les pays du G20 avaient déjà tous adhéré au cadre général de la réforme sous l'égide de l'OECD, encore convenait-il de gérer le volet politique de l'adhésion dans le cadre d''une annonce au caractère définitif et irrévocable, qui, sans retour en arrière possible, amène cependant d'autres questions...
« Après des années de travaux et de négociations intenses, ce paquet de mesures historique garantira que les grandes entreprises multinationales paient leur juste part d’impôts partout dans le monde », a déclaré le Secrétaire général de l’OCDE Mathias Cormann. « Ce paquet de mesures ne met pas fin à la concurrence fiscale, et n’a pas vocation à le faire, mais cherche à la limiter selon des règles convenues à l'échelle multilatérale. Il prend également en compte les intérêts de toutes les parties aux négociations, y compris ceux des petites économies et des pays en développement. Il est dans l’intérêt de chacun que nous parvenions à un accord final entre tous les membres du Cadre inclusif d’ici la fin de l’année, comme cela est prévu », a ajouté M. Cormann.
Tout en sachant que d'autres avantages découleront de cette réforme, avec notamment la stabilisation du système fiscal international et une plus grande sécurité juridique pour les contribuables comme pour les administrations fiscales.
Comme il est développé ci-dessous, les travaux menés sous les auspices du cadre inclusif de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) portent sur deux questions principales:
À un moment crucial où il s’agit d’assurer une reprise économique forte, la solution fondée sur deux piliers sera d’une aide précieuse aux États qui doivent mobiliser les recettes fiscales nécessaires pour rétablir leurs budgets et leurs finances publiques tout en investissant dans les services publics essentiels, les infrastructures et les mesures requises pour que la reprise post-COVID soit forte et durable.
Le pilier 1 vise à adapter les règles internationales sur la manière dont l'imposition des bénéfices des entreprises multinationales les plus grandes et les plus rentables est partagée entre les pays afin de tenir compte de la nature évolutive des modèles d'entreprise, et notamment de la capacité des entreprises à exercer leurs activités sans présence physique.
Comment ? En accordant une part de l'impôt sur les bénéfices payés par les multinationales aux pays de marché, c'est-a-dire ceux ces entreprises réalisent effectivement leur activité, même sans présence physique (Sièges, usines, employés). Conséquence ? L'impôt ne sera donc plus dû uniquement là où leurs sièges sociaux sont installés (souvent dans des pays à faible pression fiscale), mais une partie des bénéfices consolidés dits « excédentaires » sera redistribuée à d'autres pays.
Le pilier 1 cible les entreprises multinationales les plus grandes et les plus rentables, indépendamment de leur secteur d'activité ou de leur modèle d'entreprise. Par conséquent, les entreprises concernées sont de grandes multinationales dont le chiffre d'affaires mondial est supérieur à 20 milliards d'euros et dont la rentabilité (c’est-à-dire le ratio bénéfice avant impôt/chiffre d’affaires) est supérieure à 10 %.
Dans sept ans, si la mise en œuvre des règles se déroule avec succès, le chiffre d'affaires sera ramené à 10 milliards d'euros, ce qui augmentera le nombre d'entreprises multinationales concernées. L'industrie extractive et les services financiers réglementés sont exclus du champ d'application du pilier 1.
Selon l'accord, les juridictions recevront une partie des bénéfices réaffectés si les entreprises multinationales concernées tirent de cette juridiction des recettes d'au moins 1 million d'euros. Pour les petites juridictions, dont le PIB est inférieur à 40 milliards d'euros, le montant des recettes générées sera fixé à 250 000 EUR.
Pour les EMN couvertes, entre 20 et 30 % de ce 'bénéfice excédentaire' pourra ainsi être redistribué aux différents pays dans lesquels le groupe est actif, proportionnellement aux ventes réalisées dans chacun d’entre eux. Plus concrètement :
Selon l'OCDE, des droits d’imposition sur plus de 100 milliards USD de bénéfices devraient être ainsi réattribués chaque année aux juridictions de marché.
Le pilier 2 fixe un seuil pour la concurrence fiscale excessive, en y posant des limites convenues multilatéralement. Son objectif est de garantir que les entreprises multinationales sont soumises chaque année à un taux minimal d'impôt effectif sur l'ensemble de leurs bénéfices. Le taux d'imposition effectif minimal mondial sera d'au moins 15 %.
Un taux d'imposition minimum garantit que les pays et les entreprises, où qu'ils opèrent, soient sur un même pied d'égalité.
- Rishi Sunak- Ministre britannique des Finances
Quelles entreprises entrent dans le champ d'application du pilier 2 ? Contrairement au pilier 1, le pilier 2 n'a pas de seuil de rentabilité. Il s'appliquera à tous les groupes multinationaux qui génèrent plus de 750 millions d'euros de recettes financières combinées. Cela signifie que toutes les grandes entreprises multinationales seront concernées par les mesures relatives à l'imposition minimale effective. En outre, les pays sont libres d'appliquer un impôt supplémentaire à une entité mère en réponse à la faible imposition d'une entité constitutive, même si le seuil de 750 millions d'euros n'est pas atteint.
Comment cela marchera ? Dans le cadre du pilier 2, les pays imposeront un impôt supplémentaire – la règle dite de l'inclusion des revenus – à l'entité mère d'une entreprise multinationale résidant sur leur territoire afin de compenser la faible imposition de certaines filiales du même groupe, qui sont situées dans un autre pays. Si les entreprises multinationales ont leur siège dans des pays qui n'imposent pas d'impôt supplémentaire à la société mère, leurs filiales faiblement imposées perdront quand même effectivement leurs avantages fiscaux en raison de la règle dite des paiements sous-imposés, qui exclut les déductions ou exige un ajustement équivalent dans la mesure où les revenus faiblement imposés ne sont pas assujettis à un impôt supplémentaire. Les entités gouvernementales, les organisations internationales, les organisations à but non lucratif, les fonds de pension ou les fonds d'investissement qui sont des sociétés mères d'un groupe multinational n'entrent pas dans le champ d'application du pilier 2.
Selon l'OCDE, un taux minimal effectif de 15 % permettrait ainsi de dégager des recettes supplémentaires de 150 milliards de dollars par an,
Une fois que le pilier 1 aura été approuvé et transposé dans une convention multilatérale, l'application de celui-ci sera obligatoire pour les pays participants.
En ce qui concerne le pilier 2, les règles convenues constitueront une «approche commune». Cela signifie que les membres du Cadre inclusif ne sont pas tenus d'adopter les règles, mais s'ils choisissent de le faire, ils devront les mettre en œuvre et les administrer d'une manière qui soit compatible avec les résultats convenus au titre du pilier 2. Cela signifie également que les membres du Cadre inclusif devront accepter que les autres membres appliquent les règles, ce qui implique en pratique que les entreprises multinationales ayant des filiales dans des pays qui appliquent un taux inférieur au minimum convenu n'éviteront pas de supporter les conséquences du pilier 2.
La Commission déposera une proposition de directive pour la mise en œuvre du pilier 2 dans l'UE. La Commission examinera également s'il est nécessaire de proposer une directive pour la mise en œuvre du pilier 1.
Les participants aux négociations ont défini un calendrier ambitieux pour l’achèvement du processus. Le délai est fixé à octobre 2021 pour parachever les travaux techniques en suspens sur l'approche à deux piliers, et pour préparer un plan de mise en œuvre effective en 2023.
Parmi ces "détails techniques" à régler d'ici-là, deux thématiques méritent d'évidence une attention particulière.
L'exclusion des EMN du champ d'application de l'impôt minimum mondial, lorsque celles-ci sont dans la phase initiale de leur expansion à l’international, sera également étudiée.
Lors de la réunion du G20, les Ministres des Finances ont encore "invités" les "pays récalcitrants" à se rallier à l'accord pour parvenir d'ici octobre à une position commune au sein de l'UE. A l'heure actuelle, la déclaration a été signée par 132 des 139 membres du groupe de travail de l'OCDE qui réunit pays avancés et émergents. Les détails techniques de l'accord seront négociés dans les mois à venir en vue d'amener l'ensemble des 139 membres du Cadre inclusif à signer un accord final en octobre. Une fois qu'un accord global consensuel aura été dégagé sur les deux piliers, la Commission proposera rapidement des mesures pour leur mise en œuvre dans l'UE, conformément à l'agenda fiscal de l'UE et aux besoins du marché unique.
Si cet accord est qualifié par la plupart des commentateurs comme "historique", en toute objectivité, c'est avec intérêt que vous lirez, parmi les nombreux commentaires déjà publiés, les deux documents suivants, récemment mis en ligne :
Etude du Conseil d'Analyse Economique " Taxation minimale des multinationales : contours et quantification", juillet 2021.
FEB, 06 Juillet 2021, "Taxation de l'Economie Digitale", Jean Baeten, Centre de compétence Fiscalité Investissements
Faute d’étude d’impact officielle, publique et transparente quant aux impacts budgétaires et économiques de la réforme du G20 pour la Belgique, de nombreuses incertitudes subsistent. S’il est désormais certain que la réforme profitera aux grands pays (où sont établis les sièges de la plupart des multinationales), rien n’est moins sûr pour les petits pays à l’économie ouverte, centrée sur l’exportation et fortement innovatrice. L’avenir de la politique fiscale belge en matière de R&D et d’innovation semble particulièrement menacé, les comportements des groupes pour la localisation des nouveaux investissements pourraient changer en faveur des grandes économies et les recettes fiscales pourraient s’avérer être très faibles pour la Belgique.
Par un communiqué de presse du 10 juillet 2021, La Commission européenne s'est félicitée de l'accord "mondial historique" approuvé par les ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales du G20, qui apportera équité et stabilité au cadre international de l'impôt sur les sociétés Ce consensus sans précédent marquera le début d'une réforme complète du système international d'imposition des sociétés. La réforme prévoira notamment une réaffectation des droits d'imposition, ce qui signifie que les plus grandes entreprises du monde devront payer des impôts partout où elles exercent des activités commerciales. Dans le même temps, un taux d'imposition effectif minimal mondial d'au moins 15 % contribuera à freiner la planification fiscale agressive et à arrêter le «nivellement par le bas» de l'impôt sur les sociétés.
M. Paolo Gentiloni, membre de la Commission chargé de l'économie, qui participe aujourd'hui aux discussions à Venise, a déclaré à ce sujet: «Le G20 a approuvé aujourd'hui l'accord mondial sans précédent sur la réforme de l'impôt sur les sociétés conclu la semaine dernière, qui est désormais soutenu par 132 pays et territoires. C'est une initiative audacieuse qui a été prise et que peu auraient crue possible il y a encore quelques mois. C'est une victoire pour l'équité fiscale, la justice sociale et le système multilatéral. Mais notre tâche ne s'arrête pas là. Nous avons jusqu'au mois d'octobre pour finaliser cet accord. J'ai bon espoir que nous serons également en mesure, dans cet intervalle, de parvenir à un consensus entre tous les États membres de l'Union européenne sur cette question cruciale.»
Compte tenu de ces avancée et du fait que la réussite de ce processus nécessitera une dernière impulsion de la part de toutes les parties, la Commission s'est engagée à se concentrer sur cet effort. Sous l'impulsion des américains, Il a été décidé de mettre en pause les travaux sur une proposition de taxe numérique pendant les négociations à l'OCDE.
> Tax Co-operation for Development: Progress report in the COVID-19 era
Pour plus d’informations sur les négociations en cours sur la réforme de la fiscalité internationale, voir également : https://oe.cd/bepsaction1.
> Accord mondial sur l'imposition des sociétés Questions fréquemment posées
> Communication sur la fiscalité des entreprises pour le XXIe siècle. La communication définit une vision à long terme visant à promouvoir un système de fiscalité équitable et durable pour les entreprises au sein de l'Union européenne, en s'appuyant sur les progrès réalisés et les principes convenus lors des discussions mondiales. Elle fixe également un programme fiscal pour les deux prochaines années, assorti de mesures ciblées qui favorisent les investissements productifs et l'esprit d'entreprise et garantissent une imposition effective.