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Actualités jurisprudentielles: La procédure au cœur de l’été

Cet article est rédigé dans le cadre de la diffusion du Tax TV show du mois de septembre, disponible sur offfcourse.be.


Deux arrêts récents de la Cour constitutionnelle et un arrêt de la Cour d’appel de Gand à impact direct pour les praticiens de la fiscalité

Ce début de second semestre 2025 aura été marqué par deux décisions de la Cour constitutionnelle qui touchent au cœur de la pratique quotidienne des fiscalistes et comptables : d’une part, l’usage du délai spécial de taxation sur base d’informations étrangères, et d’autre part, la validité – partielle – de la réforme 2023 de la taxe Caïman. Ces arrêts obligent à ajuster les réflexes en matière de contrôle, de documentation et de planification patrimoniale.

Arrêt n° 107/2025 du 17 juillet 2025

Délai spécial et informations issues de l’étranger (art. 333/2 et 358, §1er, 2°, CIR 92)

Ce que la Cour valide… à condition d’interpréter strictement

Dans son arrêt récent du 17 juillet 2025, la Cour constitutionnelle rappelle à l’administration fiscale que la réception d’informations de l’étranger ne lui donne pas carte blanche pour multiplier les contrôles et imposer des revenus indûment.

1. Le cadre légal : délais d’imposition et d’investigation

L’Administration dispose de plusieurs types de délais en matière d’impôts sur les revenus :

  • Délai d’imposition ordinaire (art. 354 CIR92) : actuellement, ces délais sont, suivant le cas, de 3 ans, 4 ans, 6 ans, ou 10 ans. Le gouvernement a toutefois annoncé un retour en arrière, de sorte que seuls les délais de 3 ans, 4 ans ou 7 ans devraient subsister ([1]) ;
  • Délai d’imposition spécial, applicable notamment lorsque des informations étrangères (telles que les informations reçues dans le cadre du CRS) font apparaître des revenus non déclarés (art. 358, §1er, 2°, CIR 1992) : l’administration dispose alors en principe, et de manière encadrée, d’un pouvoir d’imposition portant sur les 5 années (ou 7 années en cas de fraude ou d’intention frauduleuse) de revenus précédent celle de l’obtention des informations.

Depuis 2016, ce délai spécial s’accompagne d’une obligation, pour l’administration, d’établir l’impôt dans les 24 mois qui suivent la réception de ces informations.

L’objectif : permettre à l’Administration de vérifier les données reçues de l’étranger et, si nécessaire, d’établir l’impôt correspondant. Mais attention : ce droit ne doit pas être étendu au-delà des informations effectivement reçues.

2. L’objet limité des investigations

Les juridictions de fonds ont rapidement dû préciser la portée de ce droit :

  • La Cour d’appel d’Anvers (Anvers, 22 octobre 2024, RG n° 2023/AR/664 et Anvers, 4 février 2025, RG n° 2023/AR/972) a jugé que l’Administration ne pouvait pas investiguer systématiquement sur toutes les années couvertes par le délai spécial si les informations reçues ne concernaient qu’une ou deux années spécifiques et que donc, les documents reçus ne faisaient pas apparaitre que des revenus auraient été perçus lors d’années antérieures aux renseignements reçus.
  • La Cour constitutionnelle confirme et clarifie cette interprétation : l’Administration ne peut agir que si les informations étrangères “font apparaître” des revenus non déclarés. Elle ne peut pas reprendre des années pour lesquelles elle avait déjà connaissance des informations ou avait laissé expirer un délai d’investigation normal antérieur.

En résumé, le fisc doit se limiter aux revenus directement visés par les données obtenues de l’étranger. Les investigations sur d’autres exercices, même inclus dans les cinq ou sept années couvertes par le délai spécial, sont jugées disproportionnées et non autorisées.

3. Conséquences pratiques pour les comptables

Pour les professionnels de la comptabilité, cette jurisprudence implique :

  1. D’analyser précisément les informations reçues : il faut déterminer clairement à quelles années et à quels revenus se rapportent les données étrangères.
  2. Vérifier les délais : contrôler que l’Administration n’a pas déjà utilisé ou laissé expirer le délai spécial pour les mêmes informations.
  3. Accompagner ses clients : en cas de notification d’un contrôle fondé sur des informations étrangères, rappeler que le droit d’investigation de l’Administration est limité et que des contestations peuvent être envisagées si le fisc dépasse ce cadre.

Cette décision renforce donc la sécurité juridique des contribuables et limite l’étendue des contrôles systématiques fondés sur des informations étrangères.


Arrêt n° 117/2025 (18 septembre 2025)

Réforme 2023 de la taxe Caïman : annulations partielles et balises pratiques

La Cour était saisie de plusieurs griefs contre les modifications de 2023 aux articles 5/1 à 5/12 du CIR 92. Résultat : validation du cadre général, mais correction de nombreux excès.

Principales censures de la Cour

1. Exclusion de substance : retour à une interprétation plus souple

Depuis 2024, la taxe Caïman ne s’appliquait pas si la construction juridique remplissait plusieurs conditions cumulatives : implantation dans un État coopératif, activité économique substantielle fondée sur des moyens propres, revenus générés par cette activité, et absence de gestion de patrimoine privé du fondateur.

La version 2.1 précisait que l’activité économique devait consister en une offre de biens ou de services sur un marché déterminé. La Cour annule cette restriction : la seule gestion d’actifs ne peut être présumée artificielle, et le contribuable doit pouvoir démontrer la réalité économique de la structure. Elle rappelle également que la gestion du patrimoine privé – bien qu’exclue du champ économique – ne peut suffire à qualifier automatiquement un montage d’artificiel. Résultat : l’article 5/1, §3, alinéa 2 CIR 92 est annulé.

2. Exit tax : limitation à la période belge

L’article 18, alinéa 1er, 3°/1 CIR 92 introduisait une taxation sur les “bénéfices non distribués” en cas de transfert de domicile fiscal, déplacement du siège ou transfert d’actifs. Le texte ne distinguait pas selon que les bénéfices avaient été générés avant ou après l'assujettissement en Belgique.

La Cour précise deux points essentiels :

  • La notion de “bénéfices non distribués” vise uniquement les revenus réalisés et non encore distribués, à l’exclusion des plus-values latentes.
  • La Belgique ne peut taxer que les bénéfices réalisés durant la période où le fondateur (personne physique ou morale) était résident ou établi en Belgique.

En conséquence, l’article est annulé dans la mesure où il permettait l’imposition de bénéfices antérieurs à l’entrée en lien fiscal avec la Belgique.

3. Interaction CFC – taxe Caïman : extension de l’exemption

Dans certains cas, les revenus d’une construction juridique sont déjà imposés via les règles CFC dans le chef d’une société intermédiaire. La taxe Caïman 2.1 prévoyait une exonération lorsque ces revenus étaient taxés dans une société résidente belge.

La Cour juge cette limitation injustifiée : si une société étrangère est soumise à des règles CFC équivalentes, le contribuable doit pouvoir échapper à la double imposition. L’article 5/1, §3, alinéa 1er, c) CIR 92 est annulé en ce qu’il ne permettait pas d’apporter cette preuve.

4. Fonds dédiés et seuil de participation

Depuis 2024, un fonds dédié était considéré comme une construction juridique si plus de 50 % de ses parts étaient détenues par une seule personne ou par des personnes liées entre elles. Cette règle limitait fortement l’ancienne exemption applicable aux fonds propriétaires diversifiés.

La Cour juge ce seuil rigide et disproportionné : un contribuable doit pouvoir démontrer que, malgré une détention supérieure à 50 %, la structure n’a pas de finalité fiscale artificielle. L’article 2, §1er, 13°/1, alinéa 2 CIR 92 est partiellement annulé à défaut de permettre cette preuve contraire.


Gand, 24 juin 2025, RG n° 2024/AR/961

Dans un arrêt du 24 juin 2025 (2024/AR/961), la Cour d’appel de Gand est venue rappeler un principe fondamental : lorsqu’une copie de données est saisie lors d’un contrôle fiscal, la correspondance confidentielle avec un expert-comptable doit être retirée avant toute consultation par l’Administration, au même titre que les échanges avec un avocat. Ce filtrage doit être opéré, en cas de contestation, par l’autorité disciplinaire compétente, en l’espèce, l’ITAA.

1. Contexte : copies massives et séquestre judiciaire

L’Inspection spéciale des impôts (ISI) procède à une visite surprise dans une société d’e-commerce et copie les données des ordinateurs et messageries. Elle exige ensuite une copie complète de l’infrastructure informatique, y compris le cloud. La société résiste, et le litige est porté devant les tribunaux.

La Cour d'appel confirme que les copies doivent être remises, mais placées sous séquestre auprès d’un huissier. L’Administration demande ensuite la levée des scellés afin d’accéder aux données.

Un premier jugement autorise la consultation après retrait de la correspondance avec les avocats. Le contribuable demande que le même tri s’applique aux échanges avec son expert-comptable.

2. Tri des données : rôle du fisc et limites

La Cour rappelle deux principes :

  • L’Administration peut décider quelles boîtes e-mail et données sont pertinentes, même si elles sont “mixtes” (usage professionnel et privé).
  • Le contribuable doit coopérer pour rendre les données accessibles, mais cela n’autorise pas le fisc à tout consulter sans filtrage préalable.

Les agents fiscaux doivent :

  1. Identifier les informations utiles fiscalement ;
  2. Écarter les données privées ou non pertinentes ;
  3. Respecter les droits fondamentaux du contribuable.

Ainsi, la levée totale des scellés est admise uniquement pour permettre ce tri, sous réserve du respect du secret professionnel.

3. Secret professionnel : avocats et experts-comptables

La Cour confirme que :

  • Le secret professionnel des experts-comptables est protégé par l’article 458 du Code pénal, au même titre que celui des avocats.
  • La correspondance avec un expert-comptable doit donc être exclue avant consultation par le fisc.
  • Ce filtrage s’effectue avant la levée des scellés.

L’article 334 du CIR 92 s’applique pleinement : le contribuable peut invoquer le secret professionnel, même s’il n’en est pas le titulaire. Le fisc ne peut donc pas décider seul du sort des documents protégés.

4. Filtrage pratique : intervention de l’ITAA

La Cour précise le mécanisme :

  • L’huissier identifie les échanges avec les personnes soumises au secret professionnel.
  • Ces données sont transmises à l’autorité disciplinaire compétente.
  • L’ITAA statue sur leur caractère confidentiel :
    • Si le secret s’applique : les données sont retirées et restituées au contribuable.
    • Sinon : elles peuvent être transmises à l’Administration.

La décision finale appartient exclusivement à l’autorité disciplinaire, et non à l’Administration ni au juge de fond.

5. Portée de l’arrêt

Cet arrêt consacre trois principes importants :

  • Le fisc ne peut accéder à aucune donnée protégée par le secret professionnel sans filtrage préalable.
  • Le contribuable peut exiger la protection des échanges avec son expert-comptable.
  • L’ITAA est compétente pour trancher en cas de doute.

Pour les entreprises, fiduciaires et conseillers, ce jugement renforce la sécurité juridique lors des contrôles impliquant des copies massives de données numériques. Il impose un cadre clair au fisc et garantit le respect de la confidentialité professionnelle.


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[1]Voy. arts. 88 et s. du Projet de loi portant des dispositions diverses, Doc. parl., sess. ord. 2024-2025, n° 56 0963/001.

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