
Dans le cadre effervescent du Congrès des Experts-Comptables et du Salon AVEC, la plateforme oFFFcourse a de nouveau réuni un panel d'experts de premier plan pour décrypter les transformations qui redéfinissent la procédure fiscale. Sujet technique, parfois discret, mais absolument structurant pour la relation entre le contribuable, ses conseillers et l'administration. Alors que les réformes se succèdent, de la loi-programme estivale au projet de loi remanié, l'enjeu est de taille : clarifier ce qui a été voté, ce qui est en discussion et ce que ces changements impliquent concrètement pour les praticiens. Cet échange approfondi a permis de démêler cet écheveau complexe pour offrir une vision claire des nouveaux équilibres en jeu, où chaque avancée pour le contribuable semble contrebalancée par de nouveaux outils pour l'administration.
Un sentiment de « douche écossaise » domine l'analyse des mesures concrètes. Chaque réforme semble être un pas en avant suivi d'un pas en arrière, vidant les textes de leur substance initiale. « On a chaque fois cette espèce de double lecture en disant : "tiens, c'est pas mal" et puis finalement, le texte qui arrive a perdu ses vertus », résume l'un des intervenants. Cette dynamique, fruit des discussions politiques, aboutit à un Code fiscal de plus en plus illisible.
La loi-programme du 28 juillet 2023, déjà en vigueur, contient une mesure procédurale majeure : l'inversion de la charge de la preuve pour les accroissements d'impôts. Julien Buy, avocat, a rappelé le principe : « L'idée c'est de mettre en place un peu l'inverse, de dire qu'il y a une présomption de bonne foi pour le contribuable et c'est à l'administration éventuellement d'écarter la bonne foi ». Un changement de paradigme notable, sauf en cas de procédure d'imposition d'office.
En parallèle, un vaste projet de loi propose un retour en arrière sur les délais d'investigation et d'imposition, jugés excessifs. Fini l'escalade à 4, 6 et 10 ans introduite en 2022. Le projet prévoit un retour à 3 ans pour le délai ordinaire, 4 ans en cas d'absence de déclaration ou de déclaration tardive, et un délai pour fraude ramené de 10 à 7 ans. Ce recul est perçu comme une correction bienvenue, mais il ne constitue qu'une pièce d'un puzzle beaucoup plus vaste. Pour Baptistin Alaime, avocat fiscaliste, le paquet manque de vision structurante : « J'ai pas l'impression [que ce soit équilibré]. Il y a des éléments positifs, des éléments négatifs, mais c'est très ponctuel à mon sens ».
La tendance de fond inéluctable est l'exploitation massive des données par l'État. L'élargissement de l'accès au Point de Contact Central (PCC) et le recours croissant au data mining soulèvent des questions fondamentales. François Collon a rappelé l'origine du PCC, associée à « la mort du secret bancaire ». Initialement ciblé, il agrège aujourd'hui identité des comptes, soldes, assurances, et bientôt les crypto-actifs. Le changement majeur réside dans les modalités d'accès : l'administration pourra consulter le PCC d'initiative, sans interroger le contribuable au préalable. « On va pouvoir consulter ce PCC d'initiative ou d'office. Et on ne devra en informer le contribuable que dans le mois qui suit la consultation », analyse François.
Cette collecte massive de données alimente le data mining. Le danger, selon les experts, est le biais qu'il introduit. « Il y a un robot tout puissant qui dit "contrôle ce contribuable, il est très probablement fraudeur". Donc le fonctionnaire commence son contrôle, pas en disant "je vais voir s'il y a un problème", il dit "je dois trouver le problème" », a souligné Baptistin Alaime, avocat fiscaliste. Cette approche transforme le contrôle en une quête de justification d'une suspicion algorithmique. Julien Buy a exprimé son malaise face à cette érosion progressive des libertés avec la métaphore de la grenouille dans la marmite qui chauffe lentement : « Est-ce que c'est normal, parce qu'on veut cibler une minorité des contribuables, qu'on puisse avoir accès à toutes les informations [...] de toutes les personnes [...] ? ».
La fin de l'anonymat des crypto-actifs s'inscrit dans cette logique. La directive européenne DAC8 imposera aux plateformes d'échange de communiquer annuellement les informations au fisc. Pour Baptiste, c'est une mine d'or pour l'administration : « Ça fait une base de données pour l'administration fiscale pour aller vérifier si c'est bien de la gestion normale de patrimoine ».
Au-delà des textes, le véritable enjeu réside dans leur application. Les experts pointent un dysfonctionnement majeur : la perte d'impartialité des fonctionnaires. Baptistin identifie une pression hiérarchique croissante : « Je pense comme vous, mais j'ai une instruction », est une réponse devenue courante. Cette situation conduit à un engorgement du contentieux. « On se retrouve avec des dossiers qui durent 15 ans avec des sociétés en faillite ou des gens qui sont insolvables », déplore-t-il.
Dans ce contexte, la mesure la plus prometteuse n'est peut-être pas législative, mais budgétaire : l'engagement de 300 nouveaux fonctionnaires. Pour François Collon, avocat fiscaliste, « ce qu'il faut, c'est des gens, c'est du contact, c'est du relationnel ». Cette annonce vise à briser « un mur entre les contribuables et l'administration fiscale ».
Cependant, la réforme annoncée du Service de Conciliation Fiscale en un organe d'arbitrage interroge. Actuellement perçu comme « une sorte de petite lumière dans ce qui est devenu une grande obscurité administrative », ce service joue un rôle de médiateur essentiel. Les praticiens craignent que cette évolution, dont les contours restent flous, ne dénature une institution qui parvient aujourd'hui à dénouer de nombreux conflits.
Enfin, le retour de la Déclaration Libératoire Unique (DLU) a été accueilli avec déception. Les experts dénoncent une simple reconduction avec des taux augmentés, jugés prohibitifs. « J'ai l'impression que l'ouvrage il est un peu usé », a ironisé François Collon, avocat. Cette nouvelle mouture ignore la réalité des "capitaux gris", où le problème est souvent un manque de documentation plutôt qu'une fraude avérée.
Impact réglementaire : La présomption de bonne foi pour les accroissements d'impôts est une victoire pour le contribuable, mais elle exigera une documentation rigoureuse. Le retour à des délais de contrôle plus courts est un soulagement, mais la complexité demeure avec des exceptions pour les déclarations tardives ou "complexes".
Signaux stratégiques : La montée en puissance des outils de contrôle automatisés (data mining, accès au PCC, transparence des crypto-actifs) est la tendance de fond. La vigilance sur la protection des données (RGPD) et le droit du contribuable à être informé devient primordiale.
Points d'attention : L'évolution du Service de Conciliation Fiscale est à surveiller de très près, car son efficacité repose sur une culture de médiation qui pourrait être menacée. Face à un système judiciaire saturé, la décision d'aller en justice devient de plus en plus stratégique.
Cette analyse approfondie démontre que la procédure fiscale est loin d'être un sujet figé. Les réformes actuelles, malgré les intentions affichées de sécurité juridique, s'apparentent davantage à des ajustements budgétaires et politiques qu'à une refonte structurelle. Elles génèrent une complexité accrue et ne s'attaquent pas au problème fondamental de l'impartialité et de l'efficacité de l'administration. La qualité des échanges a mis en lumière la complexité des enjeux, où chaque avancée pour le contribuable semble contrebalancée par de nouveaux outils pour l'administration. Plus que jamais, il est crucial pour les professionnels du chiffre et du droit de suivre l'ensemble de ces transformations pour conseiller au mieux leurs clients et naviguer avec assurance dans ce nouvel environnement. Les émissions oFFFcourse continueront de fournir ces clés de lecture indispensables.