Annuler la dette publique ? Mais serait-ce bien utile ?

Annuler la dette publique et la monnaie sont des attributs régaliens qui, sans jeu de mots, constituent les deux faces d’une même médaille.

La dette publique est émise par les États, tandis que la masse monétaire de base, qualifiée de monnaie « banques centrales », est émise par ces dernières. C’est tellement vrai que pendant une décennie, les États ont monétisé leur dette publique, c’est-à-dire qu’ils l’ont (indirectement) vendue à leur banque centrale en échange d’une émission de monnaie. Il s’agit essentiellement d’un échange de promesses de papiers : la dette publique monétisée, qui constitue un passif dans le bilan des États, se transforme en un actif dans le bilan des banques centrales, dont le passif correspond à une autre promesse sur papier, à savoir de la monnaie. En simplifiant grandement, cette situation conduit à encastrer la monnaie à la dette publique.

Certains se posent la question de savoir s’il est possible de désencastrer la monnaie de la dette publique, autrement dit de dissocier la monnaie de la dette publique. Il s’agit donc, à notre époque, d’annuler une partie de la dette publique, du moins celle qui est détenue à l’actif du bilan des banques centrales. De manière très schématique, une telle action conduirait donc à annuler une grande partie des bilans des banques centrales, les ramenant pratiquement à zéro. Au passif du bilan des banques centrales, on constaterait une énorme perte correspondant à la dette annulée. Ces capitaux propres négatifs seraient compensés par la création de monnaie. La monnaie, autrefois garantie par la dette publique au sein des bilans des banques centrales, flotterait désormais uniquement sur la base de la confiance. Le passif du bilan des banques centrales verrait ses capitaux propres, gigantesquement négatifs, compensés par leur propre produit, à savoir la monnaie. Ceux qui avancent cette idée la confortent par l’idée que la monnaie, gagée ou pas par des dettes publiques, signifie toujours un postulat de confiance, et que tant la dette publique que la monnaie sont des actes de foi sur le futur. Karl Marx (1818-1883) assimilait d’ailleurs la dette publique à un « capital fictif ».

Mais est-ce envisageable que les banques centrales affichent des capitaux propres négatifs ? La réponse est affirmative. Dans un rapport de 2013 de la Banque des Règlements Internationaux, intitulé « Les Finances des Banques Centrales », cette institution confirme que « les banques centrales ne sont pas des banques commerciales. Elles ne recherchent pas le profit et ne sont pas soumises aux mêmes contraintes financières que les établissements privés. En pratique, cela signifie que la plupart des banques centrales pourraient perdre de l’argent au point d’avoir des fonds propres négatifs, tout en continuant à fonctionner parfaitement normalement».

Cependant, il est peu probable qu’une annulation de la dette publique détenue par une banque centrale soit anodine, car elle pourrait sérieusement compromettre la confiance en l’État émetteur et donc en la monnaie auquel elle est consubstantielle. Les taux d’intérêt associés à la dette publique monteraient en flèche, entraînant des pertes de valeur sur les dettes publiques détenues par d’autres acteurs économiques, ce qui pourrait conduire à la faillite des banques et des compagnies d’assurance.

En fin de compte, annuler la dette publique est théoriquement envisageable, mais extrêmement risqué, et surtout inutile tant que la monnaie et la dette publique reposent sur des mythes, en l’occurrence des promesses qui n’engagent que ceux qui ne se posent pas de questions. Dans des situations de dettes publiques en lévitation, mieux vaut laisser la perte de valeur en la monnaie, c’est-à-dire l’inflation, les corroder plutôt que les annuler C’est moins douloureux et presque anodin.

Si une dette publique est considérée comme perpétuelle (puisqu’elle se refinance en permanence plutôt que d’être remboursée) et que la monnaie relève d’un acte de foi éternel, l’annulation est sans objet. Comme disait Woody Allen (1935-), l’ éternité, c’est long, surtout vers la fin.

D’ailleurs, c’est parce que j’ai toujours craint de découvrir le néant derrière la monnaie et la dette publique que je me suis dit que ces deux concepts ressemblaient aux dieux : elles n’existent que le temps de rassembler des adeptes. Et qu’il fait mourir assez tard avant de savoir que Dieu n’existe peut-être pas, et assez tôt avant de savoir que la monnaie et la dette publique ne valent peut-être rien.

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