Belgique : comment réconcilier solidarité nationale et tensions régionales?

Économiquement et socialement, la Belgique arrive dans une impasse. Il nous faut réinventer le pays dans une logique patriotique au travers d'un aggiornamento institutionnel qui préserverait l’unité fédérale des dettes publiques, des attributs régaliens et de la Sécurité sociale.

Lorsqu’on examine l’histoire d’un pays, il est crucial d’adopter une perspective temporelle large, s’étendant sur plus d’un siècle. Avant la Première Guerre mondiale, la Belgique était une puissance industrielle admirée, mais elle s’est progressivement intégrée dans de grandes entités géographiques dont elle est désormais dépendante.

Si l’on met de côté les effets délétères des deux guerres mondiales, ainsi que les opportunités économiques qui ont suivi, comme l’existence de colonies, la reconstruction d’après-guerre grâce au plan Marshall, et lesTrente Glorieuses avec leur boom démographique et la stabilité monétaire mondiale, la vague néolibérale, la création de l’euro, l’absence de concurrence émanant des pays de l’Est et de la Chine, ainsi, bien sûr, que la paix, on en arrive à un pays qui a perdu sa capacité à s’inventer un projet de société. Avant la Seconde Guerre mondiale, la Belgique accueillit cinq expositions universelles. Ce serait aujourd’hui impensable.

Aujourd’hui, bien que la Belgique soit statistiquement prospère par habitant, sa croissance n’est plus autonome. De nombreux centres de décision sont passés à l’étranger, à l’instigation de quelques financiers dénués de patriotisme économique.

Bien que le pays soit petit, d’autres nations européennes de petite taille (comme les pays nordiques, le Luxembourg et la Suisse) ont su développer des modèles économiques cohérents par souci d’alignement d’un projet sociétal. En Belgique, en revanche, l’incapacité à conjuguer les forces régionales a rendu le pays plus introverti.

Patriotisme économique

L’entrée dans la zone euro a également conduit à une perte de contrôle sur la parité de change, qui constitue toujours un infaillible baromètre des finances publiques. Les différences régionales se sont accentuées: autrefois un centre industriel majeur grâce à ses ressources minières, la Wallonie peine toujours à surmonter la perte de son passé glorieux, tandis que la Flandre a su évoluer d’un contexte agricole à un centre d’innovation et de recherche. Bruxelles, quant à elle, bénéficie de la présence d’organisations internationales (Otan, Union européenne, etc.), mais n’a pas défini de projet économique propre.

Aujourd’hui, bien que la Belgique soit statistiquement prospère par habitant, sa croissance n’est plus autonome. Quelques groupes flamands d’envergure mondiale font exception, mais de nombreux centres de décision sont passés à l’étranger, à l’instigation de quelques financiers dénués de patriotisme économique.

Notre industrie est très corrélée à celle de l’Allemagne, désormais en grandes difficultés. En parallèle, le monde occidental est confronté à la révolution de l’intelligence artificielle, dominée par des opérateurs américains, ce qui pourrait impacter notre compétitivité. Au reste, c’est toute l’Europe qui va subir un déclassement industriel, lié notamment à ses coûts énergétiques, puisqu’elle sera la victime du véritable conflit économique du XXIᵉ siècle, à savoir celui qui oppose la Chine aux États-Unis.

Fumants alchimistes

Socialement, la Belgique fait face au vieillissement de sa population, entraînant une croissance ralentie et des dépenses sociales accrues. Cette situation est exacerbée par la transformation du baby-boom d’après-guerre en un "mamy/papy-boom", alors que l’espérance de vie a augmenté de 20 ans. Le maintien de la protection sociale, qui assure la solidarité entre les générations, reste un pilier fondamental.

Ceux qui pensent que la Wallonie ou Bruxelles peuvent résorber leurs dettes publiques de façon autonome sont de fumants alchimistes: sans solidarité interrégionale, c’est impossible.

Bien que la Belgique affiche un des meilleurs niveaux d’égalitarisme au monde, un tiers de la population, surtout à Bruxelles et en Wallonie, vit proche de la pauvreté ou de la précarité. Ces deux régions manquent d’un moteur économique capable de soutenir une croissance forte. Bruxelles, bien que sympathique capitale, présente une situation sociale préoccupante sans perspective d’amélioration à court terme.

Ceux qui pensent que la Wallonie ou Bruxelles peuvent résorber leurs dettes publiques de façon autonome sont de fumants alchimistes: sans solidarité interrégionale, c’est impossible. Or, contrairement à d’autres pays, principalement protestants, qui maintiennent une solidarité financière entre régions, la Belgique voit son régionalisme croître. L’autonomie flamande, d’ailleurs, avance grâce à un mécanisme de solidarité qui atteint ses limites.

Sortir du cul-de-sac

Les différences régionales risquent donc de s’aggraver à moyen terme. Les dynamiques économiques prennent des décennies à se développer, or ni Bruxelles ni la Wallonie ne disposent du temps nécessaire pour stabiliser leurs bases budgétaires. Si la tendance continue, un écartèlement régional serait un échec total, disqualifiant la Belgique et Bruxelles en tant que centre décisionnel pour les institutions supranationales. Les trois régions en seraient perdantes.

Mais comment sortir de ce cul-de-sac? Il faut réinventer le pays dans unelogique patriotique, à la hauteur de son prochain bicentenaire. La solution réside probablement dans un aggiornamento institutionnel qui préserve l’unité fédérale des dettes publiques, des attributs régaliens et de la sécurité sociale.

Au lieu d’évoquer des baisses d’impôts à usage populiste, Bruxelles et la Wallonie devraient solliciter des experts internationaux pour obtenir un diagnostic précis et élaborer un trajet budgétaire, socialement juste, inspiré d’exemples étrangers réussis.

Malgré l’opposition de certaines forces régionalistes, il est impératif de maintenir un système de solidarité interrégionale. Ce projet doit inclure un ambitieux plan énergétique, notamment nucléaire et donc écologique, pour renforcer notre compétitivité nationale, financé par un emprunt à long terme, voire perpétuel.

La rénovation des infrastructures, surtout en Wallonie et à Bruxelles, est également cruciale. À court et moyen terme, l’endettement public pourrait financer ces ambitions, mais il est nécessaire d’envisager une réforme fiscale qui assure une contribution équitable de tous, selon leurs capacités, pour un avenir durable. Il s’agit de payer ses impôts et de bénéficier de la Sécurité sociale selon la réalité de tous les revenus d’un contribuable.

Et, au lieu d’évoquer des baisses d’impôts à usage populiste, Bruxelles et la Wallonie devraient solliciter des experts internationaux pour obtenir un diagnostic précis et élaborer un trajet budgétaire, socialement juste, inspiré d’exemples étrangers réussis. Il faut désormais un regard extérieur pour s’extraire d’un tropisme local qui confine à l’entre-soi.

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