​Billet de Philadelphie, ou ce que je partage des USA en ce mois de novembre (I)

​​Je profite de quelques jours aux États-Unis pour partager des réflexions sur le changement profond qui affecte ce pays, et dont je crois avoir bien pressenti l'amplitude depuis plusieurs années, dans mes livres et bien sûr sur LinkedIn, dont je remercie mes fidèles lecteurs.

Aujourd'hui, les États-Unis ont choisi un programme isolationniste, alors que ce pays a longtemps promu la mondialisation, qualifiée "d'heureuse" par Alain Minc. Le sentiment qui prévaut, et qui est savamment entretenu par une élite en grande partie responsable, est que les États-Unis plongent dans un déclassement et qu'ils sont les victimes d'une mondialisation alimentée à leur insu. Ce qui est en déclin, c'est l'accès au rêve américain et le progrès du capitalisme populaire prôné par Ronald Reagan. À cela s’ajoute un rejet massif des élites, accusées d'avoir trahi le peuple. Mais en réalité, ce sentiment n'est pas infondé, car les écarts de revenus et de patrimoine se sont accrus dans des proportions inimaginables.

Le récent vote reflète une souffrance, une perte de repères, un abandon sociétal et un décrochage salarial qui se sont aggravés avec la récente vague inflationniste. Trump adopte une attitude sulpicienne, mais il incarne une véritable douleur sociale, même si l’égalitarisme reste un mirage, car les États-Unis continuent de renforcer la vigueur (et la vitalité) de leur système économique fondé sur la maximisation de l’enrichissement individuel.

Mais une chose est rarement dite : c'est bien le système américain qui a conduit à priver les travailleurs d'un juste partage des gains de productivité depuis plus de 30 ans. Cette réalité traduit également l'abandon d'un système tempéré de concurrence raisonnée au profit d'un monde oligopolistique, qui dispose d'influences et de capacités de fixation des prix inédites.

Il s'agit aussi de l'échec du ruissellement. À la redistribution sociale, le néolibéralisme anglo-américain oppose en effet la théorie du ruissellement – en anglais trickle-down theory – qui affirme que les revenus des individus les plus riches sont réinjectés dans l’économie, contribuant ainsi à l’activité économique générale et à l’emploi pour le reste de la société. Cette théorie a conduit, dans les années 1980, à baisser la charge fiscale sur les plus riches pour que leurs patrimoines et revenus soient investis en faveur de la prospérité des moins fortunés. Cependant, le ruissellement semble avoir fonctionné à l'inverse, transférant la richesse des moins riches vers les plus fortunés, et entraînant un accroissement des inégalités sociales .

En fait, au-delà de tout ce qui est écrit, les États-Unis sont dans la contradiction de chercher un refuge dans la présidence de Trump, alors que ce dernier va promouvoir un capitalisme encore plus acharné. Mais c’est cela, la réalité du capitalisme américain : un monde amnésique où chacun est seul, chaque jour, face à son destin et à l'exigence de combattre la fatalité par le travail.​​​

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