• FR
  • NL
  • EN

Casier judiciaire: l’employeur peut-il le consulter pendant l’exécution du contrat de travail?

​​En Belgique, la consultation du casier judiciaire est strictement encadrée par la loi, notamment par la loi du 30 juillet 2018 relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel (ci-après Loi du 30 juillet 2018) ainsi que par le règlement général sur la protection des données du 26 avril 2016 (ci-après RGPD).


1. Principe d’interdiction

En principe, l’employeur n’est pas autorisé à consulter le casier judiciaire d’un travailleur ou d’un candidat, car cette information constitue une donnée à caractère personnel particulièrement sensible[1]. La protection de la vie privée impose en effet que l’employeur ne traite pas ce type de données, sauf dans des cas strictement prévus par la loi (par exemple lorsque le code judiciaire l’exige)[2].


2. Consultation du casier judiciaire durant l’exécution du contrat de travail sous l’angle de l’article 10 du RGPD et de la loi du 30 juillet 2018

2.1 Cadre juridique général

Pendant l’exécution du contrat de travail, le cadre juridique est flou et très peu de jurisprudence existe dans ce domaine à l’heure actuelle. Dès lors que la consultation d’un casier judiciaire est considérée comme un traitement de données personnelles, il convient de se pencher sur l’article 10 du RGPD et l’article 10 1°, 5° et 6° de la loi du 30 juillet 2018.

L’article 10 du RGPD précise que le traitement des données à caractère personnel relatives aux condamnations pénales, aux infractions ou aux mesures de sûreté connexes ne peut être effectué que sous le contrôle de l’autorité publique, ou si le traitement est autorisé par le droit de l’Union ou par le droit d’un État membre, qui prévoit des garanties appropriées pour les droits et libertés des personnes concernées.

La Belgique a transposé cette disposition dans la loi du 30 juillet 2018 relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel. L’article 10 de cette loi prévoit notamment :

« Le traitement des données à caractère personnel relatives aux condamnations pénales et aux infractions pénales ou aux mesures de sûreté connexes est effectué :

1° par des personnes physiques ou par des personnes morales de droit public ou de droit privé pour autant que la gestion de leurs propres contentieux l'exige ;

5° si la personne concernée a autorisé explicitement et par écrit le traitement de ces données à caractère personnel pour une finalité ou plusieurs finalités spécifiques et si leur traitement est limité à ces finalités ;

6° si le traitement porte sur des données à caractère personnel manifestement rendues publiques par la personne concernée, de sa propre initiative, pour une finalité ou plusieurs finalités spécifiques et si leur traitement est limité à ces finalités. »

Dans la situation de l’employeur, nous avons choisi de retenir uniquement ces trois points.

2.2 Concernant l’article 10, 1°

L’expression « leurs propres contentieux » soulève un flou juridique.
Les travaux parlementaires[3] et l’APD[4] n’apportent pas de précision sur la volonté du législateur. La notion de contentieux n’est donc pas clairement définie.

Dès lors, il pourrait être considéré que la situation avec un employé soulève un contentieux étant donné le conflit qui peut exister entre les parties. Cependant, au vu de l’interprétation restrictive de l’APD[5] concernant la consultation du casier judiciaire en dehors des professions dont la loi exige la possession d’un casier judiciaire vierge, il semble que cette notion doive être comprise comme un contentieux judiciaire entre l’employeur et son employé.
Ainsi, la possibilité de consultation se limite à des situations où un litige concret a lieu au tribunal entre l’employeur et l’employé et qui justifie ce traitement.

2.3 Concernant l’article 10, 5° de la loi du 30 juillet 2018

L’article 10, 5° prévoit une autre exception : la consultation du casier judiciaire est possible si, dans le cas d’espèce, le travailleur donne son consentement explicite et écrit pour une finalité spécifique.

Dans ce cas, afin que ce traitement de données soit légal, l’APD énonce trois principes fondamentaux du RGPD doivent être respectés, à savoir les principes de finalité, de proportionnalité et de transparence. Ces principes peuvent être expliqués comme suit[6] :

  • Principe de finalité : la consultation ne peut avoir lieu que pour un objectif déterminé, explicite et légitime.
  • Principe de proportionnalité : seules les informations strictement nécessaires à l’évaluation de la situation peuvent être traitées.
  • Principe de transparence : le travailleur doit être clairement informé du traitement, de sa finalité et de ses droits.

Cependant, le Comité européen de la protection des données (EDPB)[7] souligne que, dans le cadre des relations de travail, il existe un déséquilibre de pouvoir entre employeurs et employés. En raison de cette dépendance, un employé est rarement en mesure de donner un consentement véritablement libre. L’EDPB considère donc problématique que le consentement soit utilisé comme base légale pour ces traitements, car il est difficile d’assurer qu’il soit donné librement.

Toutefois, dans des situations exceptionnelles où l’employé peut refuser sans subir de conséquences, le consentement peut rester une base juridique valide[8].

L’employeur pourrait donc se retrouver démuni face à un refus de la part de son employé alors que la nécessité de consulter son casier judiciaire est peut-être tout à fait pertinente.

2.4 Concernant l’article 10, 6° de la loi du 30 juillet 2018

L’article 10, 6° prévoit que le traitement peut également être effectué si les données ont été manifestement rendues publiques par la personne concernée, de sa propre initiative, pour une ou plusieurs finalités spécifiques et si leur traitement est limité à ces finalités.

Cette hypothèse reste toutefois marginale, car elle suppose une publicité volontaire et explicite des données par la personne concernée.

La consultation du casier judiciaire reste encadrée de manière très stricte par la loi, et les exceptions prévues par l’article 10 de la loi du 30 juillet 2018 demeurent limitées et difficiles à interpréter. En l’absence d’un fondement légal clair, tout traitement de ce type comporte un risque juridique important pour l’employeur.

Nous restons à votre disposition pour vous accompagner dans toute situation de conflit ou de litige avec votre employé, afin de vous conseiller sur les démarches légales et les mesures adaptées à votre contexte, tout en respectant les obligations en matière de protection des données personnelles.


_______________

[1] https://www.autoriteprotectiondonnees.be/citoyen/themes/vie-privee-sur-le-lieu-du-travail/donnees-des-travailleurs/traitement-des-donnees-des-travailleurs

[2] ibidem

[3] Projet de loi du 17 juillet 2018 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel DOC 54 3126/006, p.14 ; Projet de loi du 3 juillet 2018 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel DOC 54 3126/002 ; ; Projet de loi du 12 juillet 2018 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel DOC 54 3126/005 ; Projet de loi du 6 juillet 2018 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel DOC 54 3126/003 ; ; Projet de loi du 11 juin 2018 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel DOC 54 3126/001.

[4] Avis n° 33/2018 du 11 avril 2018 Avant-projet de loi relatif à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel (CO-A-2018-026), p.26, https://www.autoriteprotectiondonnees.be/publications/avis-n-33-2018.pdf.

[5] https://www.autoriteprotectiondonnees.be/professionnel/themes/vie-privee-sur-le-lieu-de-travail/recrutement-des-candidats.

[6] https://www.autoriteprotectiondonnees.be/citoyen/themes/vie-privee-sur-le-lieu-du-travail/donnees-des-travailleurs/traitement-des-donnees-des-travailleurs

[7] EDPB, Guidelines 05/2020 on consent under Regulation 2016/679.

[8] Ibidem.

Mots clés

Articles recommandés

La Commission lance «Ressources pour la science de l'IA en Europe»

Vous avez recu un mail avec comme objet « Nécessité de mettre à jour vos données de connexion": méfiance !

​Augmenter le plafond de la PLCI pour rendre le système de pension plus équitable?