Comment les instruments traditionnels et les nouveaux instruments de politique monétaire affectent-ils l’économie de la zone euro et l’économie belge ? Défis et résultats de l’estimation

Des chocs de politique monétaire, de leur identification et de leurs effets sur le PIB et sur le niveau de prix dans un modèle VAR.

À partir de 2019, les articles de la Revue économique sont publiés en français et en néerlandais sous forme de digests, leur version complète n’étant disponible qu’en anglais (voyez en annexe "How do standard. and new monetary policy instruments affect the economy of the euro area and Belgium ? Estimation challenges and results, M. Deroose").

Contexte Communiqué de presse

ll n’est guère aisé d’identifier et d’estimer l’effet des chocs de politique monétaire. Le déploiement de nouveaux outils de politique monétaire (tels que les orientations prospectives et les achats d’actifs) a allongé la liste des défis à relever.

L’article met en lumière les difficultés en la matière. Il répond aux questions suivantes :

>.Que sont les chocs de politique monétaire ?

> Quels sont les problèmes liés à leur identification de manière générale et, plus précisément, dans un modèle vectoriel autorégressif (VAR), et comment les résoudre ?

> Comment les chocs de politique monétaire se transmettent à l’économie ? Concernant cette dernière question, l’exercice empirique met en avant une méthode permettant de montrer de quelle manière l’instrument de politique traditionnel de la BCE (qui fait varier les taux à court terme) et les mesures non standards (qui font évoluer les taux à long terme) affectent la production et le niveau des prix dans la zone euro. L’effet sur les principales variables macroéconomiques belges est aussi brièvement abordé

Introduction

Comment la politique monétaire affecte-t-elle l’économie ? Il s’agit d’une question cruciale en macroéconomie, que la littérature en la matière a déjà amplement examinée et qu’elle continue d’examiner

En ce qui concerne l’incidence de modifications des taux directeurs à court terme – qui sont l’instrument traditionnel de politique monétaire –, un relatif consensus prévaut, selon lequel, en résumé, une hausse inattendue des taux directeurs entraîne une baisse temporaire de l’activité économique, tandis que le niveau des prix diminue de manière persistante. Les nombreuses études menées ainsi que la grande expérience dans l'utilisation des taux directeurs, principal instrument de politique monétaire, ont permis aux banques centrales de comprendre de quelles manières les variations des taux d’intérêt se transmettent à l’économie dans son ensemble.

Toutefois, au cours de la dernière décennie, les banques centrales – y compris la Banque centrale européenne (BCE) – ont dû étendre leur “boîte à outils” et déployer de nouvelles mesures, telles que les orientations prospectives et les achats d’actifs à grande échelle. Plutôt que de chercher à influencer les taux courts, ces nouvelles mesures visent à faire baisser les taux longs[1]. En effet, ces nouvelles mesures garantissent que les banques centrales, même lorsqu’elles ne peuvent plus réduire les taux directeurs, soient toujours en mesure de stimuler l’économie et de ramener l’inflation vers son objectif. Étant donné que, au moment de leur mise en œuvre, ces instruments étaient encore à un stade très expérimental (ils étaient en effet qualifiés de « non standards » ou de « non conventionnels »), l'évaluation des canaux de transmission de ces politiques non standards étaient à un stade peu avancé. L’identification et l’estimation de l’incidence de ces nouveaux instruments de politique monétaire ont également posé de nouveaux défis, qui ont (en partie) été relevés grâce à des innovations en matière de modélisation économique.

Nous avons, à présent, une idée de la manière dont les nouveaux instruments de politique monétaire affectent l’économie. Les études menées jusqu’à présent ont, pour la plupart, conclu que les nouveaux instruments monétaires ont contribué au bon fonctionnement des marchés financiers et qu’ils sont parvenus à stimuler l’économie[2]. Dans le cadre de l’examen de sa stratégie entamé en janvier 2020, la BCE a également évalué l’efficacité de ses nouveaux instruments et a conclu que les taux directeurs restent le principal instrument de politique monétaire et que les nouvelles mesures « resteront une partie intégrante de la panoplie d’outils, qui pourront être utilisés de manière appropriée »[3].

L’article s'intéresse aux questions relatives à l’évaluation de ces instruments, en se concentrant sur les défis que représentent l’identification des chocs de politique monétaire et l’estimation de leur propagation à l’ensemble de l’économie à l’aide d’un modèle vectoriel autorégressif (VAR). L’analyse empirique fait appel à une méthode d’identification relativement nouvelle pour illustrer l’incidence dynamique de la politique monétaire traditionnelle (au travers de variations du taux directeur à court terme) et des nouvelles mesures de politique monétaire (au travers de variations des taux longs) sur les principales variables macroéconomiques de la zone euro et de la Belgique.

Etudier l’effet causal de la politique monétaire représente un vrai défi

Pour estimer les effets causaux de la politique monétaire sur l’économie, il faut identifier les chocs de politique monétaire, c.-à-d. les actions de politique qui ne sont pas liées aux mouvements d’autres variables. La plupart des mouvements des instruments de politique monétaire s’expliquent toutefois par le caractère systématique des réactions de la banque centrale aux circonstances économiques. Ceci est conforme au fait que les banques centrales poursuivent généralement leur objectif de stabilité des prix en menant une politique monétaire cohérente et prévisible. En effet, cela aide les agents privés à former correctement leurs anticipations et contribue ainsi à une plus grande stabilité de l’inflation et de la production.

Distinguer les réactions systématiques des évolutions non anticipées dans la dynamique des instruments de politique monétaire n’est pas chose aisée. Cela est d’autant plus vrai que les banques centrales ont fait preuve d’une plus grande transparence et adopté une attitude plus systématique ces dernières décennies. De plus, la mise en œuvre de nouvelles mesures de politique monétaire s’est accompagnée de nouvelles difficultés d’identification et d’estimation. Une des questions serait, par exemple, de savoir comment cerner l’incidence des nouvelles initiatives, étant donné que bon nombre d’entre elles ont été annoncées simultanément. En outre, la période d’utilisation relativement courte des nouvelles mesures implique aussi que le nombre de chocs pouvant être décelés est limité. Enfin, l’efficacité des nouvelles mesures n’est analysée que dans un environnement de taux d'intérêt bas, de sorte qu’il n’est pas simple de généraliser les résultats empiriques.

En général, il est nécessaire de recourir à des modèles structurels pour différencier les chocs des variations systématiques de la politique monétaire et pour analyser leur propagation (par des fonctions de réponse impulsionnelle). Dans ce cadre, les modèles à vecteur autorégressif (VAR) – qui sont au cœur de cet article – sont, par exemple, largement utilisés. L’article décrit, plus en détail, le problème d’identification qui doit être résolu dans un VAR et aborde brièvement une série de nouvelles approches économétriques qui contribuent à surmonter certaines difficultés d’identification évoquées précédemment. Notons que toutes les méthodes ont leurs avantages et leurs inconvénients, si bien que, dans la pratique, plusieurs stratégies et modèles d’identification sont souvent utilisés pour vérifier la robustesse des résultats obtenus. L’analyse empirique présentée dans l’article se base sur une approche d’identification relativement récente, dans laquelle des restrictions de signes sont imposées à des variables à haute fréquence.

Un modèle avec des variables financières à haute fréquence, des restrictions de signes et un canal d’information de la banque centrale

L’analyse a pour but de distinguer les chocs de politique monétaire traditionnelle (qui influent d’abord sur le taux directeur à court terme) des chocs de politique monétaire non standard (qui agissent principalement sur les taux à long terme) dans la zone euro. On observe pour cela les variations à haute fréquence du taux OIS à trois mois et du rendement des obligations d’État allemandes à dix ans (désigné comme le taux à long terme le plus sûr dans la zone euro) mesurées sur une brève période autour des annonces de politique monétaire de la BCE[4]. Cette courte fenêtre temporelle vise à s’assurer que les évolutions des marchés financiers examinées sont uniquement attribuables aux (éléments inattendus des) annonces.

Les annonces de politique monétaire peuvent, toutefois, ne pas porter uniquement sur des modifications apportées à l’instrument de politique (ce qui constitue un choc de politique monétaire), mais également sur l’évaluation par la banque centrale des perspectives économiques (ce qui constitue un choc d’information ). Par conséquent, une annonce imprévue est susceptible de faire évoluer la confiance des marchés puisqu’elle leur apporte, d’une part, des renseignements sur les trajectoires actuelle et future de la politique monétaire et, d’autre part, de nouvelles informations sur l’état de la conjoncture économique.

Afin de tenir compte du canal d’information de la banque centrale, une troisième variable à haute fréquence, à savoir la variation journalière du taux des swaps indexés sur l’inflation (inflation-linked swaps – ILS) à cinq ans, est prise en considération dans l’analyse[5]. C’est plus précisément le signe de la corrélation entre la mesure de l’inflation et le taux d’intérêt qui permet de différencier les chocs d’information de ceux de politique monétaire purs. Une corrélation négative révélera un choc de politique monétaire, puisque, d’après la théorie , un resserrement de la politique monétaire réduit les anticipations d’inflation. A contrario, une corrélation positive permettra de déceler un choc d’information de la banque centrale, dans la mesure où les signes de bonnes nouvelles concernant l’état futur de l’économie poussent les taux d’intérêt et les anticipations d’inflation vers le haut.

L'identification des trois chocs et l’estimation de leur incidence macroéconomique sur l’économie de la zone euro et sur l’économie belge apparaissent dans un modèle, suivant la méthodologie de Jarociński et Karadi (2020). Plus précisément, les trois variables financières à haute fréquence sont ajoutées directement (en tant que variables endogènes) à un VAR bayésien comportant sept variables mensuelles, à savoir : le taux OIS à trois mois, le rendement des obligations d’État allemandes à dix ans, l’indice boursier Eurostoxx 50, le PIB en volume de la zone euro, l’IPCH total de la zone euro, le PIB en volume de la Belgique et l’IPCH total de la Belgique. En appliquant des restrictions de signes sur les variables financières à haute fréquence (cf. tableau 1), on distingue les trois chocs les uns des autres. Comme exposé ci-dessus, le choc d’information de la banque centrale reflète les évolutions - non anticipées dans les déclarations de la BCE, révélant des informations sur la situation macroéconomique. On part de l’hypothèse que le choc d’information de la banque centrale entraine une augmentation du taux à court terme, du taux à long terme et des anticipations d’inflation.

En revanche, des évolutions non anticipées dans les annonces de politique monétaire de la BCE reflétant des écarts par rapport à la fonction de réaction habituelle ressortent des chocs de politique monétaire traditionnelle et non traditionnelle. La distinction essentielle entre les deux chocs est le signe imposé à la réaction de la courbe des rendements (c.-à-d. la différence entre le taux à long terme et le taux à court terme). Un choc de resserrement monétaire traditionnel entraine une augmentation du taux à court terme plus importante que le taux à long terme (c.-à-d. qu’il aplatit la courbe des rendements) et réduit les anticipations d’inflation. Un durcissement inattendu des nouveaux instruments de politique monétaire augmente plus le taux à long terme que le taux à court terme (c.-à-d. qu’il accentue la pente de la courbe des rendements) et réduit les anticipations d’inflation. Il convient de noter que le choc de politique monétaire non standard reflète tous les changements apportés aux mesures monétaires, qui influencent principalement le taux à long terme. Il couvre, par exemple, l’effet des orientations prospectives et des achats d’actifs par les banques centrales, mais également l’influence d’autres mesures, y compris celles antérieures à la crise financière et à la période relative à la borne inférieure des taux directeurs[6]. Aucune restriction n’est imposée aux réactions des variables à basse fréquence.

[1] Les orientations prospectives (c.-à-d. la communication des banques centrales sur l’orientation future de la politique monétaire), par exemple, consistent pour l’essentiel à influer sur les anticipations de taux d’intérêt, les indications selon lesquelles la politique va demeurer accommodante pendant un certain temps faisant baisser les taux longs. Par contre, les achats d’actifs des banques centrales visent principalement à réduire les primes de terme et de risque associées aux taux longs.

[2] Cf. par exemple BIS (2019) pour un aperçu de l’efficacité des outils non standards de politique monétaire et Rostagno et al. (2021) pour les constatations relatifs à la zone euro.

[3] Cf. la conférence de presse de la BCE sur les résultats de l’évaluation de la stratégie par Christine Lagarde et Luis de Guindos du 8 juillet 2021.

[4] Les évolutions non anticipées à haute fréquence des taux d’intérêt proviennent de l’« Euro Area Monetary Policy event study Database » constituée par Altavilla et al. (2019).

[5] Selon l’approche, par exemple, de Jarociński et Karadi (2020) ainsi que d’Andrade et Ferroni (2021).

[6] La présente analyse ne distingue donc pas l’incidence de nouvelles mesures individuelles. Rostagno et al. (2021), par exemple, proposent une étude consacrée à la zone euro qui distingue l’incidence financière et macroéconomique des taux d’intérêt négatifs, des orientations prospectives et des achats d’actifs respectivement.

Résultats

Les chocs sont représentés au graphique 1. On observe une certaine hausse de la volatilité dans les séries de chocs de politique monétaire traditionnelle durant la crise financière de 2008 et durant la crise de la dette souveraine dans la zone euro de 2010-2012. De plus, la volatilité du choc de politique monétaire non standard s’accroît sensiblement en 2015, ce qui coïncide avec la mise en œuvre du programme étendu d’achats d’actifs de la BCE. Notons que la série de chocs non standards varie également avant 2015, voire même avant le début de la crise financière, ce qui étaye l’interprétation de la série comme constituant une mesure synthétique générale des annonces de politique monétaire influençant principalement le taux à long terme.

Le graphique 2 présente les réponses des variables à basse fréquence aux trois chocs monétaires qui ont été identifiés (en bleu). Conformément aux restrictions de signes imposées, le choc de politique monétaire traditionnelle influence principalement le taux d’intérêt à court terme, là où celui de politique monétaire non standard se manifeste surtout au travers du taux d’intérêt à long terme. Les cours boursiers diminuent sous l’effet d’un choc non standard baissier ; leur réaction haussière à un choc conventionnel est contre-intuitive, même si la réponse est non significative. S’agissant des variables macroéconomiques, les deux types de choc de politique monétaire compriment le PIB et le niveau des prix dans la zone euro (bien que la réponse du PIB à la politique monétaire traditionnelle ne soit pas significative).

L’incidence dynamique des deux chocs de politique monétaire sur l’économie belge est globalement comparable à celle observée à l’échelle de l’ensemble de la zone euro, à ceci près que le recul de l’indice des prix en Belgique est légèrement plus marqué dans un premier temps (cf. lignes pointillées dans le graphique 2). Ce dernier résultat semble être dû à la composante énergétique de l'IPCH, qui tend à être plus volatile en Belgique que dans la zone euro. Lorsque l'IPCH total dans l'analyse VAR est remplacé par l'IPCH hors énergie et produits alimentaires, le niveau des prix de la zone euro et de la Belgique réagit beaucoup moins et plus lentement aux chocs de politique monétaire traditionnels et non traditionnels. Cependant, l'impact sur les prix reste négatif et très similaire pour les deux chocs et pour les deux économies.

Les réponses obtenues pour le choc d’information de la banque centrale sont cohérentes avec le scénario où la banque centrale communique des nouvelles favorables concernant la demande au sein de l’économie et, en phase avec sa fonction de réaction, resserre sa politique monétaire. En général, les variables réagissent fortement et significativement à un choc d’information, plus qu’aux chocs de politique monétaire purs. Il est difficile de dire toutefois dans quelle mesure cette réaction vigoureuse est le reflet de la matérialisation des projections clémentes ou d’un lien de cause à effet entre la communication de la banque centrale et l’économie.

Pour juger de la pertinence de la prise en compte du canal d’information de la banque centrale dans le cadre de l’évaluation de la transmission des chocs de politique monétaire, les résultats d’estimations obtenus à l’aide du même modèle mais avec l’identification de seulement deux chocs – l’un de politique monétaire traditionnelle et l’autre de politique monétaire non traditionnelle – sont également ajoutés au graphique 2 (en orange)[7]. Cette identification semble combiner les effets contraires des chocs de politique monétaire purs et des chocs d’information de la banque centrale. De manière générale, l’identification d’un double choc semble sous-estimer l’efficacité de la politique monétaire, ce qui souligne l’importance de distinguer les chocs de politique monétaire des chocs d’information de la banque centrale – comme le suggèrent Jarociński et Karadi - et Miranda-Agrippino et Rico (2020).

[7] En pratique, cela revient à supprimer la série relative aux anticipations de l’inflation des variables à haute fréquence et à imposer les mêmes restrictions de signes sur les évolutions inattendues des taux d’intérêt que celles décrites dans le tableau 1.

Pour résumer, l’analyse empirique menée dans cet article soutient l’hypothèse que les effets des mesures de politique monétaire non standard sur les variables macroéconomiques de la zone euro et de la Belgique sont comparables à ceux enregistré lors d’une évolution ordinaire non anticipé des taux directeurs. Il convient toutefois de noter que le débat n’est pas clos. Avec l’intégration (probable) de nouvelles mesures dans l’arsenal de base de la politique monétaire, l’efficacité de ces mesures restera sujette à débat et continuera de susciter l’intérêt de la recherche.

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Source : BNB, 15 septembre 2021

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