Comment partager les gains de productivité, c’est-à-dire la richesse qui en est extraite ?

La vision dystopique de la Silicon Valley : des États épuisés à combler des inégalités sociales et dominés par un nouveau capitalisme hors de contrôle.

L’intelligence artificielle va poser la même question que toutes les révolutions industrielles : comment partager les gains de productivité, c’est-à-dire la richesse qui en est extraite.

Karl Marx en avait fait une fine analyse sur la base de l’émergence du machinisme, au XIXᵉ siècle : il juxtaposait cette révolution industrielle à la marchandisation de la force de travail, sous-payée par rapport à sa valeur ajoutée.

Aujourd’hui, c’est une révolution incommensurablement plus importante puisqu’elle sublime les capacités cognitives de l’homme qu’elle dépassera et capturera. Qui engrangera ses gains de productivité ? La machine, c’est-à-dire ses propriétaires : les capitalistes. Il n’y a aucun fondement à penser que les dirigeants des méga-entreprises technologiques n’imaginent pas un monde composé d’une fine élite richissime, à côté d’un océan de bouches à nourrir.

Nous entrons donc dans l’hypercapitalisme, avec des entreprises privées qui, plus qu’avant, dominent les États, des marchés financiers d’une puissance inégalée et omnisciente, et des inégalités qui vont s’accroître. C’est d’ailleurs pour cette raison que certains penseurs de la Silicon Valley prédisent que l’intelligence artificielle risque de détruire nos civilisations, à tout le moins sous leur forme actuelle. Au reste, la vision apocalyptique de la Silicon Valley, c’est un avenir sans humanité.

Face à ces réalités, nos États se sont désagrégés et dilués dans des structures plus imposantes (l’Union européenne, l’euro, etc.) et dissous dans l’économie de marché, dont la formulation est explicite, à savoir que tout doit être un marché.

Et nos responsables politiques n’ont pas de vision, et pour la plupart, aucune expérience internationale dont ils peuvent se prévaloir. Ils ramènent les choses à leur échelle, c’est-à-dire celle du terroir, alors que la mutation économique est mondiale.

Pour ces raisons, devant ces constats, toutes les réactions des États sont envisageables : la résignation, le refus du progrès (ce qui ramène aux thèses pétainistes et maurrassiennes), le repli identitaire, la révolution réactionnaire.

Et je vais plus loin en affirmant qu’un déploiement débridé d’hypercapitalisme, les déséquilibres que je pressens, sont porteurs de conflits, civils ou autres, de régimes autoritaires, et d’un désordre social qui, déjà, est brûlant sous la cendre.

Et pourquoi ? Parce que le capitalisme non régulé — et il n’est plus régulé, et le sera de moins en moins — porte dans son essence l’inégalité, puisque c’est un système qui prône, au-delà de tout, l’enrichissement personnel au détriment de la cohésion sociale et de la solidarité, que des États appauvris, et incapable de domestiquer de grands groupes internationaux qui les dominent déjà.

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