Croissance ou redistribution ? Comparons les modèles européen et américain.

Dans le sillage de ma note précédente, je voudrais illustrer la différence de perspective entre l’impôt européen et américain.

En Europe, l’impôt est essentiellement progressif : selon des barèmes, chaque euro de revenu est taxé à un taux marginal supérieur. Comme les barèmes d’impôt sont progressifs, la taxation des revenus destinés à être épargnés augmente marginalement. Chaque unité monétaire épargnée est ainsi affectée d’une charge fiscale croissante. La progressivité de l’impôt sur le revenu des personnes physiques pénalise donc la formation d’épargne, ce que les économistes nomment la propension marginale à épargner.

Cette formulation correspond également à une théorie fiscale appelée l’« égalité du sacrifice ». Selon cette dernière, l’utilité d’un bien diminue à mesure que son volume augmente. L’impôt doit donc puiser dans les tranches de revenus affectées à des besoins non vitaux, voire moins indispensables. L’intensité du sacrifice fiscal doit croître avec le revenu.

On pourrait avancer que si la formation d’épargne est pénalisée par la progressivité de l’impôt, la propension à consommer est, par complémentarité, favorisée. Sous l’influence de Maynard Keynes, certains auteurs ont même avancé que le plein-emploi (découlant de la consommation) ne pourrait pas être atteint sans progressivité de l’impôt.

Aux États-Unis, l’impôt est également progressif, mais à un niveau inférieur à celui de l’impôt européen, et les taux d’imposition maximum sont atteints pour des revenus supérieurs à 700.000 $ pour des couples.

La différence entre le modèle capitaliste anglo-américain et l’État social européen est donc très révélatrice en matière de fiscalité directe sur les revenus des personnes physiques.

Les États sociaux européens sont caractérisés par une fiscalité plus lourde, reflétant le caractère commutatif de l’impôt, c’est-à-dire que ce dernier n’est légitime qu’à la condition d’avoir des contreparties satisfaisantes.

À la redistribution sociale, le néolibéralisme anglo-américain oppose la théorie du ruissellement – en anglais trickle-down theory – qui affirme que les revenus des individus les plus riches sont réinjectés dans l’économie, contribuant ainsi, directement ou indirectement, à l’activité économique générale et à l’emploi dans le reste de la société. Il faut donc libérer les plus nantis d’un impôt excessif.

Et voilà l’idée (erronée) du néolibéralisme : la croissance est un substitut à la redistribution.

Cela n’a pas fonctionné, sauf durant les Golden Sixties : les riches sont devenus encore plus riches, et les gains de productivité américains ont été arrachés des revenus du travail.

Mots clés

Articles recommandés