Je ne cacherai pas que la crise des subprimes de 2008 m’a fortement influencé. À l’époque, je dirigeais la bourse belge et j’étais membre du comité de direction de la bourse de New York. Ce fut une crise existentielle pour de nombreuses banques qui, deux ans auparavant, augmentaient les dividendes, mais surtout procédaient à des rachats d’actions, c’est-à-dire à une diminution de leurs capitaux propres en les restituant au marché. Pourtant, ces capitaux propres sont la garantie essentielle pour les déposants, assurant que la banque puisse absorber des pertes. Ce fut notamment le cas de KBC et d’ING, qui se sont délestées de capitaux qui auraient été bien nécessaires en 2008.
Et que constate-t-on depuis quatre ans ? Les rachats d’actions effectués par les banques augmentent dans des proportions très importantes. Certes, comparaison n’est pas raison. Différents phénomènes, notamment liés à la politique monétaire de la BCE, expliquent que la rentabilité des banques ait été exceptionnelle.
Mais attention car je me pose une question à laquelle je n’ai pas de réponse. Mais si cette réponse s’avérait positive, elle pourrait complètement bouleverser les référentiels financiers et bancaires : est-ce que les cryptomonnaies pourraient conduire à de nouveaux circuits bancaires ? Les États-Unis évoquent déjà la possibilité de constituer une réserve stratégique de cryptomonnaies, dont la contrepartie bilantaire serait évidemment le dollar. Certaines banques américaines souhaitent pouvoir émettre des cryptomonnaies garanties par des actifs financiers (actions, obligations). Il n’est pas impensable qu’un jour, nous puissions effectuer des dépôts bancaires libellés en cryptomonnaies, ce qui introduirait un nouveau flux monétaire, qui conduirait à une multiplicité de monnaies à côté de celles qui ont cours légal. C’est d’ailleurs ce que l’économiste Hayek (qui influence Musk) promouvait.
En effet, l’essentiel de la monnaie est créé par les banques commerciales grâce à ce que les économistes appellent le « multiplicateur des crédits » . Ce mécanisme fait qu’un dépôt auprès d’une banque commerciale est prêté à nouveau par celle-ci à un autre agent économique. Cet agent utilisera la monnaie empruntée pour effectuer des transactions qui finiront par devenir des dépôts dans d’autres banques, et ainsi de suite.
Si un flux monétaire similaire venait à être créé via les cryptomonnaies, ce serait une révolution qui se ferait au détriment des monnaies ayant actuellement cours légal. Une telle évolution pourrait entraîner une volatilité monétaire inédite et difficilement contrôlable. Ce scénario exige une attention particulière. Et des capitaux propres bancaires pour absorber les risques éventuels associés à cette nouvelle réalité.
Je suis conscient du fait que cette note pourrait paraître fumeuse. Mais qui sait ?