En date du 31 juillet 2020, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles a rendu une décision favorable au contribuable sur le recours fiscal introduit à l'encontre d'une décision administrative ayant rejeté une demande de dégrèvement d’office pour « fait nouveau », basée sur l’inconstitutionnalité de l’évaluation forfaitaire de l’avantage de toute nature pour mise à disposition gratuite d'un logement par une société à son dirigeant.
Rappelez-vous il y a quelques années que les Cours d’appel de Gand (Gand, 24 mai 2016 et Gand, 20 février 2018) et d’Anvers (Anvers, 24 janvier 2017) avaient jugé inconstitutionnelles les règles visées à l’article 18 § 3, 2 AR/CIR 92 relatives à l’évaluation forfaitaire des avantages de toute nature résultant de la mise à disposition d’un logement à titre gratuit.
Cette inconstitutionnalité résultait de la différence de traitement dans le mode de calcul en fonction du statut de celui qui accordait l'avantage :
Faisant suite à cette jurisprudence, l’administration fiscale s’est inclinée et a publié une circulaire 2018/C/57 du 15 mai 2018, reconnaissant cet état d’inconstitutionnalité de ces règles, si bien que l'évaluation de l'avantage était restée limitée à 100/60e du RC indexé dans l’attente de l’adoption de nouvelles dispositions de l’article 18 § 3, 2, AR/CIR 92.
Ces nouvelles dispositions ont été introduites par l'arrêté royal du 7 décembre 2018. Pour les avantages de toute nature attribués à partir du 1er janvier 2019, un facteur de multiplication de 2 sera appliqué dans tous les cas, quelle que soit l'identité de celui qui met l'immeuble à disposition et quel que soit le montant du RC.
Quant aux avantages attribués avant le 1er janvier 2019, de nombreux contribuables ont introduit une demande de dégrèvement d’office sur pied de l’article 376 du CIR 92 en vue de revendiquer le remboursement de l’impôt indûment payé sur l’avantage calculé selon les règles d’évaluation forfaitaire antérieures (jugées inconstitutionnelles).
Pour rappel, le dégrèvement d’office est accordé en cas de surtaxes résultant (i) d’erreurs matérielles, (ii) de doubles emplois ou (iii) qui apparaitraient à la lumière de documents ou faits nouveaux probants dont la production ou l’allégation tardive par le redevable est justifiée par de justes motifs.
La demande de dégrèvement d’office doit également être introduite dans les cinq ans à partir du 1er janvier de l’année au cours de laquelle l’impôt contesté a été établi, et la taxation litigieuse ne doit pas avoir déjà fait l’objet d’une décision définitive sur le fond.
En ce qui concerne la notion de « fait nouveau », l’article 376 § 2 du CIR 92 précise qu’un « nouveau moyen de droit » ou un « changement de jurisprudence » ne peut être considéré comme un fait nouveau.
C’est sur cette base que l’administration fiscale a estimé que cette jurisprudence des Cours d’appel de Gand et d’Anvers – se prononçant sur l’inconstitutionnalité des règles d’évaluation forfaitaire – ne pouvait être qualifiée de « fait nouveau » au sens de l’article 376 § 2 du CIR 92.
Plusieurs juridictions se sont prononcées tantôt en faveur de l’administration fiscale (Civ. Anvers, 7 février 2018 et Civ. Anvers, 18 avril 2018) tantôt en faveur du contribuable (Civ. Gand, 31 janvier 2019).
Entretemps, la Cour constitutionnelle a été saisie d’une question préjudicielle sur cette problématique et ne s’est pas encore prononcée à ce jour.
Le tribunal de première instance francophone de Bruxelles a eu à connaitre d’une affaire similaire. Dans un récent jugement du 31 juillet 2020, le juge a « contourné » la problématique précitée soumise à l’appréciation de la Cour constitutionnelle, et a donné gain de cause au contribuable au motif que la circulaire 2018/C/57 (et non plus la jurisprudence des Cours d’appel de Gand et d’Anvers) devait être considérée comme un « fait nouveau » au sens de l’article 376 § 2 du CIR 92.
A cet égard, le tribunal s’est référé à l’arrêt n° 160/2006 du 8 novembre 2006 de la Cour constitutionnelle qui a considéré que « compte tenu des objectifs du texte d’origine et des modifications successives ayant conduit au texte actuel de cette disposition légale (article 376 du CIR 92), il n’était pas raisonnablement justifié de ne pas accorder de dégrèvement d’office au redevable taxé en application d’une disposition dont il a été jugé qu’elle est inconstitutionnelle et dont l’administration ne considère pas que la question de sa constitutionnalité doit à nouveau être posée à la Cour constitutionnelle, alors que ce dégrèvement d’office est accordé à celui qui invoque des ‘faits nouveaux probants’ (autre qu’un arrêt de la Cour d’arbitrage considérant, en réponse à une question préjudicielle, qu’une disposition législative est incompatible avec le principe d’égalité et de non-discrimination) ».
De plus, la Cour constitutionnelle a jugé que l’article 376 du CIR 92 pouvait être interprété en ce sens que, bien qu’il soit le produit d’un raisonnement juridique, le dispositif d’un arrêt de la Cour d’arbitrage statuant sur question préjudicielle n’est ni un « nouveau moyen de droit » ni un « changement de jurisprudence » et qu’il pouvait être considéré comme un « fait nouveau » au sens de l’article 376 § 2 du CIR 92.
Par identité de motifs, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles a, dans son jugement du 31 juillet 2020, considéré qu’il était question de « fait nouveau » au sens de l’article 376 § 2 du CIR 92 dès lors que l’application de l’article 18 § 3, 2 AR/CIR 92 est écartée par la voie d’une décision administrative de portée générale en vertu de laquelle l’administration fiscale s’est ralliée à un ensemble de décisions judiciaires reconnaissant l’inconstitutionnalité de cette disposition réglementaire. Selon le tribunal, bien qu’elle soit le produit d’un raisonnement juridique, la décision d’écarter l’application d’une telle disposition réglementaire dans l’ensemble des cas n’est ni un « nouveau moyen de droit », ni un « changement de jurisprudence ».
Et le tribunal a ajouté que l’interprétation restrictive de la notion de « fait nouveau » par l’administration fiscale dans sa circulaire 2018/C/57 du 15 mai 2018 n’avait aucune portée obligatoire.
Dans cette procédure judiciaire, l’administration fiscale a également tenté d’invalider la circulaire 2018/C/57 du 15 mai 2018.
S’il est vrai que la circulaire 2018/C/57 du 15 mai 2018 ne lie pas les cours et tribunaux, le tribunal de première instance a toutefois considéré qu’elle constituait un « fait nouveau » devant entraîné un dégrèvement de la surtaxe. Selon le juge, rien ne justifiait en effet que cette circulaire admette :
Enfin, le tribunal a balayé d’un revers de la main l’argument de l’administration fiscale selon lequel, conformément à l’ancien texte de l’article 376 § 2 du CIR 92, un « changement de la jurisprudence administrative ou judiciaire » n’était pas considéré comme un fait nouveau. En effet, l’actuel article 376 § 2 du CIR 92 ne vise plus qu’un « changement de la jurisprudence » depuis l’arrêt Walgraffe du 10 juin 1998 de la Cour d’arbitrage (actuellement, Cour constitutionnelle) et de la Loi du 15 mars 1999 relative au contentieux en matière fiscale (à la suite de quoi, le directeur des contributions directes n’est plus investi d’une mission juridictionnelle).
Ainsi, le tribunal en a conclu que la décision générale de l’administration de ne plus appliquer une disposition (réglementaire) considérée comme désormais inconstitutionnelle, ne constituait plus un « changement de jurisprudence » au sens de l’article 376 § 2 du CIR 92 mais, a contrario, un « fait nouveau ».
Le jugement du 31 juillet 2020 du tribunal de première instance francophone de Bruxelles doit à notre sens être applaudi et constitue une nouvelle ligne de défense pour le contribuable en vue de réclamer le remboursement d’impôt indument payé sur l’avantage de toute nature résultant de la mise à disposition d’un immeuble ou d’une partie d’immeuble à titre gratuit.