Digitalisation : du rêve aux réalités …

A partir du 1er janvier 2026, l’obligation de facturation électronique sera considérablement étendue. Ceci s’inscrit dans un projet de suivi en temps réel du détail de l’activité des entreprises par le fisc, comme cela est discuté actuellement au niveau européen dans le cadre de la Proposition de Directive Vida. Celle-ci pourrait bien être adoptée par le Conseil Ecofin du 13 mai prochain. Les promoteurs de la digitalisation y vu le moyen de réduire la charge de travail des fonctionnaires et d’accélérer la disponibilité de l’information. Ils ont persuadé les hommes politiques que cela réduirait la fraude.

Le rapportage électronique en temps réel existe déjà dans le domaine douanier depuis 2008. Mais la pratique tourne au désastre, tant pour les entreprises que pour le fisc. L’Administration Générale des Douanes et Accises ne parvient pas à traiter la masse d’informations dont elle dispose, au point de négliger les règles essentielles applicables aux taxes qu’elle est chargée de percevoir.

Généralisation de la facturation électronique obligatoire à partir du 1er janvier 2026

Une loi du 6 février 2024 (MB 20 février 2024) a modifié le Code TVA et le Code des impôts sur les revenus 1992 et introduit une obligation de facturation électronique à partir du 1er janvier 2026, soit dans à peine plus de 20 mois.

La facturation électronique consiste en une communication structurée de documents qui sont traités automatiquement par les ordinateurs du fournisseur et ceux de l’acquéreur. C’est donc beaucoup plus que simple envoi de documents par voie informatique.

La facturation électronique est apparue dans le courant des années 1980, même si elle n’a officiellement été introduite dans le Code TVA que depuis 2004. Depuis le 1er mars 2024, la facturation électronique est obligatoire pour les marchés publics dont la valeur dépasse 3 000 EUR (loi du 17 juin 2016 relative aux marchés publics telle que modifiée par la loi du 7 avril 2019 (M.B. 16 avril 2019).

Cette loi du 6 février 2024 impose l’émission et la réception électronique de factures dès lors que les parties sont assujettis à la TVA établis en Belgique. L’émission et la réception électronique de factures s’applique pour toutes les opérations entre des assujettis identifiés à la TVA établis en Belgique et cela même s’ils sont membres d’une unité TVA, même s’ils bénéficient du régime des PME ou qu’ils sont soumis au régime agricole.

Seuls seront déchargés de l’obligation d’émettre des factures électroniques :

  • les assujettis établis hors de Belgique,
  • les assujettis étrangers identifiés à la TVA en Belgique mais non établis en Belgique,
  • les entreprises en faillite,
  • les assujettis dont les activités exemptées.


La facturation électronique ne s’appliquera pas non plus aux opérations internationales, ainsi qu’aux livraisons de biens et services à des personnes physiques non assujetties.

L’entrée en vigueur de la loi du 6 février 2024 doit encore être soumise à l’adoption d’un arrêté royal concernant les standards informatiques. Pour être connectés entre ceux, ces ordinateurs utilisent des formats ou des langages informatiques. Il en existe des dizaines de types différents et ceux-ci sont en pleine évolution. Le format actuellement utilisé dans le cadre des marchés publics est l’EN16931 et CEN/TS 1631-2 :2017. Selon l’exposé des motifs de la loi du 6 février 2024, le format qui devrait finalement être adopté par arrêté royal serait le PEPPOL-BIS, alors même que d’autres formats (PEPPOL PINT et DBN) s’imposent aux Etats-Unis et en extrême Orient.

A la mi-mars 2023, cet arrêté royal n’a pas encore été publié. La raison en est probablement que pour pouvoir imposer l’obligation de facturation électronique,

  • soit la Belgique doit obtenir une dérogation du Conseil Ecofin et cette dérogation n’était pas encore accordée dans la troisième semaine du mois de mars,
  • soit il faut une modification de la Directive TVA, mais dans le meilleur des cas, cela risque encore de prendre du temps ...

Tout cela va imposer des coûts et à cette fin des déductions de frais majorées sont prévues, mais uniquement pour les petites entreprises.

Le Ministre Van Peteghem a été très clair sur l’objectif : la facturation électronique obligatoire n’est qu’une étape vers la généralisation du rapportage électronique permanent par toutes les entreprises (Réponse du ministre des finances à la question n° 1383 du 7 mars 2023 du député Freilich).

DroitF.F.F.Le gouvernement belge prévoit officiellement de rendre obligatoire la facturation électronique B2B.


Le projet de Directive Vida (VAT in the Digital Age) de facturation électronique généralisée et déclaration immédiate de chaque opération

Le 8 décembre 2022, la Commission européenne a déposé sur la table du Conseil la proposition de Directive Vida. C’est un Directive fourre-tout d’une complexité exceptionnelle même pour des textes européens. Elle traite des plateformes digitales (et plus particulièrement UBER et AirBNB), d’une réduction des cas d’identification à la TVA. Le Pilier I de cette proposition vise à rendre obligatoire la facturation électronique des opérations intra-communautaires (opérations B2B), la communication électronique du détail de chaque facture émise et reçue dans un délai de 2 jours à l’administration fiscale et l’émission d’une facture deux jours après le fait générateur de la TVA, la suppression des factures récapitulatives, y compris les notes de crédit récapitulatives.

Ce rapportage permanent existe déjà dans plusieurs Etats membres de l’UE tels que l’Espagne, la Pologne, l’Italie. Même la France et l’Allemagne envisagent de l’introduire. La raison en est que les Etats doivent lutter contre la fraude et puisque la Commission européenne ne propose pas de solution acceptable par tous, chacun y va de ses propres méthodes. Et pour les entreprises actives dans plusieurs Etats membres de l’UE, le coût d’adaptation des procédures de reporting TVA est insupportable. Le marché intérieur commence à se disloquer.

Selon les administrations fiscales des pays où un rapportage permanent a été introduit, on aurait observé une réduction de la fraude. Mais on est incapable d’expliquer comment, sauf que le nombre de contrôles a augmenté…On en arrive à des situations comme en Pologne où des comptes bancaires sont bloqués automatiquement par des ordinateurs pendant plusieurs jours et ce blocage est alors prolongé pendant plusieurs mois, après une première intervention humaine. Et lorsque l’affaire est portée devant un juge, le fisc a beau jeu de dire que l’on avait affaire à des fraudeurs puisqu’ils ont disparu…

Au fil du temps, l’aspect de lutte contre la fraude n’est même plus mentionné par les administrations fiscales. L’essence de proposition Vida, c’est pour les Etats de disposer des informations en temps réel sur le fonctionnement de chaque entreprise en particulier (Helena ALVES BORGES directrice générale de l’administration portugaise lors de la conférences The future of taxation in the EU, 24 octobre 2023). En effet, selon la proposition Vida, il conviendra de communiquer au fisc en temps réel pour chaque opération : la quantité et la nature des biens livrés ou l’étendue et la nature des services rendus, la date à laquelle est effectuée ou achevée la livraison de biens, le prix unitaire hors TVA, etc. Toutes ces informations seront stockées dans des endroits dont l’accès sera difficilement contrôlable ou non contrôlé. Le fisc aura tout le temps de les exploiter, sans la moindre garantie qu’il ne comprenne les informations qu’ils traitera. Et il y a fort à parier qu’avec l’aide de l’Intelligence artificielle, ces informations permettront, par exemple, d’établir avec précision les prix de transfert entre entreprises et bien d’autres choses encore. Et puis qui dit que le fisc sera seul à exploiter ces informations dont il disposera ?

L’expérience de la digitalisation de la perception des droits de douane

En Belgique, le rapportage électronique permanent existe déjà dans le domaine douanier depuis 2008. Une déclaration en douane comprend plusieurs dizaines de grilles et ces informations sont communiquées en temps réel à l’AGDA. Et il faut reconnaître que les résultats sont loin d’être concluants. Sur le plan budgétaire, c’est même un désastre.

Les douanes collectent en ligne les données contenues dans chaque déclaration d’importation. Pour déterminer la valeur en douane, les déclarants doivent apporter la preuve de la valeur des marchandises. Toutefois, les douanes peuvent rejeter la valeur soumise par le déclarant, notamment en se référant à des valeurs statistiques moyennes contenues dans des bases de données de la Commission européenne. Les douanes doivent alors proposer une valeur suivant une succession de 5 méthodes subsidiaires, comme cela avait négociée dans les années 1970 au sein de ce qui devenu Organisation Mondial du Commerce et qui ont été reprises dans le Code des Douanes de l’Union. Il ne suffit donc pas pour les douanes de rejeter une valeur. Une fois que cette valeur a été rejetée, les douanes ont la charge de la preuve suivant l’une des méthodes prévues par le Code. Ceci ne devrait pas créer de problèmes si les douanes avaient conservé les données qu’elles avaient elle-même récoltées, mais de l’aveu même du Ministre des finances, ces données n’ont pas été conservées. Les douanes disent alors qu’il faut se référer aux valeurs moyennes contenues dans des bases de données de la Commission européenne. Mais devant la Cour de justice elle-même, la Commission européenne affirme qu’elle ne dispose pas de telles bases de données qui permettraient de déterminer la valeur en douane.

La Commission constate des divergences entre les montants espérés de droit de douanes et les montants versés par l’Etat belge à la Commission européenne. Elle réclame la différence à l’Etat belge qui doit débourser des centaines de millions d’Eur. L’Etat belge attaque alors tous les importateurs et leurs administrateurs, les déclarants et les leurs administrateurs les accusant de fraude. Or toute erreur était détectée automatiquement au moment de la transmission en ligne des données. Et le plus souvent les déclarants n’ont fait que suivre les instructions des douaniers avec qui ils sont en contact permanent….

Alors que dans le domaine des douanes et accises, on ne va jamais devant les tribunaux tellement les sanctions sont élevées, les litiges sont portés par dizaines devant le tribunal correctionnel. Et dans le premier jugement du 20 avril 2023, le Tribunal correctionnel de Liège n’a pu qu’appliquer la loi et acquitter les importateurs et les déclarants.

La digitalisation et ses oublis ….

La digitalisation est un outil extraordinaire. Les hommes politiques se sont fait convaincre un peu vite que la solution à la fraude serait la transmission au fisc de plus de données et plus rapidement. Certes cela permet de gagner quelques jours pour lancer des contrôles, mais on a oublié le reste …. Mais ce serait une erreur de croire que c’est la solution unique.

Il faut prendre garde à des situations comme celles que l’on observe dans le domaine douanier. Des réformes essentielles ont été décidées dans l’opacité. Les informaticiens ont acquis une influence importante auprès des hommes politiques et ils ont imposé les priorités en ignorant des pans entiers des législations existantes. Ceci ne permet pas aux Législateurs et au Gouvernements de prendre des décisions bien informées.

Le problème est que la digitalisation permettra de découvrir chez les entreprises des masses de petites erreurs ou d’anomalies. Et celles-ci ne sont pas toujours frauduleuses. Malheureusement, aux yeux de juges ou de fonctionnaires qui n’ont que peu d’expérience d’un secteur ou de la vie quotidienne d’une entreprise, ceci pourrait vite être compris comme des indices de fraudes beaucoup plus larges …

Digitalisation, oui. Mais attention que le rêve de la digitalisation ne tourne au cauchemar ! Et n’oublions pas que les conseillers, et spécialement les conseillers en informatique, ne sont pas les payeurs !

Cet article est publié dans le cadre du Tax Tv Show du mardi 26 mars 2024.


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