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Directive mère-filiale et abus de droit: l’approche holistique consacrée par la CJUE (affaire Nordcurrent, C-228/24)

L’arrêt rendu le 3 avril 2025 par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans l’affaire Nordcurrent (C-228/24) constitue une étape importante dans l’interprétation de la mesure anti-abus de la directive mère-filiale. Il clarifie notamment la manière d’apprécier l’authenticité d’un montage, le moment pertinent de cette appréciation et la distinction entre les éléments objectifs et subjectifs de l’abus. Cet arrêt offre une lecture exigeante et cohérente du dispositif anti-abus, avec un écho évident dans la pratique du M&A international.


1. Les faits à l’origine de l’arrêt

En l’espèce, une société holding établie en Lituanie s’est vu refuser le bénéfice de l’exonération prévue par la directive mère-filiale sur des dividendes distribués par sa filiale britannique, sur le fondement de la clause anti-abus intégrée à cette directive.


2. Une consécration de l’approche holistique

Le premier enseignement de la Cour est la nécessité d’adopter une approche globale (holistique) pour évaluer le caractère abusif ou non du montage.

  • Il convient de prendre en compte l’ensemble des faits et circonstances pertinents.
  • Un montage peut être abusif même en l’absence de sociétés relais (ou “conduit companies”) — une position en ligne avec les arrêts danois du 26 février 2019.

Ainsi, même si les bénéfices distribués ont été générés dans le cadre de l’activité de la filiale, et même en l’absence d’interposition artificielle, l’exonération peut être refusée si les éléments objectif et subjectif de l’abus sont réunis.


3. Quand faut-il apprécier l’abus ? La notion de “momentum”

La CJUE insiste sur le moment pertinent pour évaluer le caractère abusif du montage.

  • Il faut considérer non seulement les circonstances au moment de la distribution de dividendes,
  • mais aussi celles existantes au moment de la création de la holding.

Cette approche temporelle rappelle l’arrêt “Primus” (CA Gand, 1er décembre 2020 – Cass., 30 novembre 2023), où des justifications commerciales initiales (entrée d’un investisseur au capital d’une SOPARFI luxembourgeoise) n’ont pas suffi à exclure l’abus, compte tenu de l’évolution du montage.

La CJUE précise qu’un montage initialement justifié peut devenir, avec le temps, non authentique, en cas de changement de contexte ou d’intention.


4. Comment apprécier l’avantage fiscal ?

L’arrêt apporte aussi une précision majeure sur la distinction entre le montage non authentique et l’objectif fiscal.

  • L’analyse ne se limite pas à l’existence ou non d’une activité économique réelle (ressources humaines, matérielles, substance…).
  • Il faut aussi évaluer l’effet fiscal global, c’est-à-dire l’économie d’impôt effectivement réalisée par le choix de la localisation dans l’État membre de la filiale.

L’élément subjectif — c’est-à-dire la volonté d’obtenir un avantage fiscaldoit être apprécié distinctement, à la lumière de l’impact fiscal global de la structure.


Conclusion

L’arrêt Nordcurrent confirme le durcissement de la jurisprudence européenne en matière de lutte contre les montages abusifs dans le cadre de la directive mère-filiale. Il impose aux praticiens une vigilance accrue sur :

  • la justification continue du montage,
  • la cohérence temporelle du schéma,
  • et l’évaluation complète de l’effet fiscal recherché.

Plus que jamais, l’authenticité économique et la transparence doivent guider la structuration des groupes internationaux, sous peine d’un refus des avantages fiscaux pourtant prévus par le droit européen.

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