Il est difficile de reconnaître s’être trompé. L’économie, qui s’y connaît en erreurs, montrent la voie.
Les amateurs de simplismes et de caricatures vont être déçus ! Beaucoup, parmi les critiques de la science économique, résument celle-ci à un ensemble de recommandations universelles qualifiées de néolibérales ou d’ultra-libérales. Celles-ci formeraient ce qui est appelé le « consensus de Washington », car promues par les Etats-Unis et les institutions internationales basées dans la capitale américaine, à commencer par le Fonds Monétaire International (FMI). Or, quel est le titre de la dernière livraison de la revue trimestrielle « grand public » du FMI ? Ce n’est rien moins qu’un impératif : « Economie : comment doit-elle changer ? » Et le contenu est à la hauteur du titre !
Avant d’y revenir, notons que dans le genre critique, il est des manières plus ou moins intelligentes de s’y prendre, et Madame Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne (BCE) s’est franchement rangée dans le camp des secondes. Il est profondément salutaire que la BCE, elle aussi, stimule le débat économique mais il semble mal venu que Madame Lagarde, dans une déclaration faite à Davos en janvier dernier, accuse les économistes de former une « clique tribale » (sic !) basant leur analyse sur les modèles beaucoup trop simplistes et réducteurs. Le problème n’est pas qu’elle n’est pas économiste elle-même mais qu’elle manque de cohérence. Le rôle d’un dirigeant est de bien faire fonctionner son organisation. Si les modèles des économistes ne servent à rien, elle aurait dû agir en conséquence, restructurer ses services et arrêter de diffuser des analyses faites par ses services et reposant sur une méthodologie déclarée foireuse.
Revenons-en à l’analyse sans concession proposée par le FMI, et pointons trois éléments marquants. Le premier est l’appel à la contextualisation et à la prise en compte de particularismes, bien loin de la vision du prêt-à-penser néolibéral où la bonne politique économique à mener est toujours et partout la même. L’auteur, Dani Rodrik (Harvard), y redit ce qu’il avait déjà oser écrire : “En économie, la bonne réponse à pratiquement toutes les questions est ‘cela dépend’. » Et d’appeler à une économie qui se montre créative, pour répondre aux trois défis majeurs que sont la transition environnementale, l’érosion de la classe moyenne et l’état des pays pauvres. Il s’agit aussi d’intégrer les contraintes politiques, qui font qu’une solution sous-optimale, dite « de second rang », sera préférable à une chimérique solution de premier rang.
Le deuxième est donné par Angus Deaton (Princeton, Prix Nobel d’Economie 2015), qui, tout en réaffirmant l’intérêt de l’économie, reconnaît sans ambages qu’il a récemment changé d’avis sur des questions d’importance. Et d’illustrer son propos avec le rôle des syndicats, qu’il a longtemps critiqué avant de regretter aujourd’hui l’érosion de la qualité de l’emploi associé à leur perte d’influence, et avec la globalisation, qui, aujourd’hui lui apparaît comme ayant excessivement nui aux travailleurs des pays industrialisés, et sans que cette perte ne soit compensée par l’amélioration du bien-être dans les pays émergents.
La troisième contribution marquante, de Jeffry Frieden (Harvard), est de rappeler que l’économie se limite à ce qui est mesurable. Ainsi en va-t-il des coûts en termes de cohésion sociale, quand l’ouverture au commerce international conduit les habitants de zones désindustrialisées à devoir changer de vie et de lieu de vie. La déperdition en termes de liens sociaux n’est pas quantifiable, mais doit être prise en compte. Que faire ? La réponse de Frieden est simple : s’en remettre au politique, en admettre la primauté. Et d’offrir cette belle phrase en temps de campagne électorale : « La politique est le mécanisme par lequel une communauté fait des choix difficiles entre des options qui sont souvent difficiles à comparer ».
Le compliment est mérité, mais s’accompagne pour nous d’une exhortation : que, comme les économistes, les politiques acceptent de reconnaître publiquement leurs erreurs !