La presse s’est récemment faite l’écho d’une double imposition des revenus en cas de mise en location meublée via des plateformes numériques d’immeubles situés à l’étranger. Il est ainsi considéré que le contribuable belge doit faire une distinction entre les revenus immobiliers d’une part et les revenus mobiliers issus de la mise à disposition du locataire du mobilier équipant ledit immeuble.
Si cette approche est conforme au droit interne belge, par application conjointe des dispositions inscrites aux articles 17,§1,3° CIR92 et 4,2°, b) AR CIR92, les justifications apportées par le SPF Finances, tant dans la presse que dans les avis de rectification, sont hautement contestables.
Le SPF Finances se justifie ainsi par voie de presse : « Dans la toute grande majorité des CPDI conclues par la Belgique, sauf démonstration par le contribuable que les meubles concernés par le loyer sont considérés comme des biens immobiliers dans le droit de l’Etat où ces biens sont situés – ce qui est peu probable-, l’article résiduaire «autres revenus» de la CPDI s’appliquera à la partie mobilière du loyer. Il donnera souvent le pouvoir d’imposition à la Belgique en tant qu’Etat de résidence du bénéficiaire des loyers ». (Echo du 27 août 2024, article signé par Mathilde Ridole) Et, l’administration fiscale belge rajoute une stupidité en indiquant que « dès lors, la partie des loyers correspondant à la location des meubles devra être exonérée dans l’Etat où se situe le bien ». Mais le SPF Finances tente de rassurer les crédules, et exclusivement ces derniers, que le contribuable peut, « en plus des recours de droit interne de chaque Etat, introduire une procédure amiable prévue dans la CPDI » afin de permettre aux autorités compétentes des Etats contractants de se concerter afin de résoudre la double imposition ou l’imposition non conforme par voie d’accord amiable. Il est d’ores et déjà indiqué dans cet article de presse que la France accusera, à juste titre, une fin de non-recevoir à pareille démarche initiée par le SPF Finances, lequel devrait, soit dit en passant, être plus prudent afin de ne pas se rendre (trop) ridicule aux yeux des autorités françaises !
Tous les avis de rectification émis récemment à destination des propriétaires qui ont mis en location meublée des immeubles sis à l’étranger doivent être contestés par les contribuables concernés, non seulement du fait des arguments farfelus décrits ci-dessus mais également sur base du caractère infondé de la preuve de l’origine du revenu et sur les droits de recours du contribuable.
Dans le souci de contraster les propos du SPF Finances repris ci-dessus, je me permets de reprendre ma propre analyse issue de l’édition 2012 du manuel paru chez Anthémis intitulé « L’optimalisation fiscale et financière du patrimoine immobilier » (Voir pages 365 et 366) : « En ce qui concerne la location d’un bien meublé en France, l’art. 8,1 §3 de la convention préventive de la double imposition précise que les revenus qui rémunèrent l’usage de biens mobiliers corporels ne sont imposables que dans l’Etat contractant dont le bénéficiaire est un résident. L’administration fiscale belge peut ainsi être en droit de considérer qu’une partie du loyer encaissé représente un revenu de la location, de l’affermage, de l’usage et de la concession de biens mobiliers, imposable en Belgique en vertu de l’art. 17 §1er 3° du CIR92. Sauf répartition différente stipulée dans le bail, il est considéré que 40% du loyer représente forfaitairement la rémunération brute de la mise à disposition du mobilier équipant le logement.
Par cette revendication, l’administration considère que les revenus immobiliers perçus en France ne sont exemptés en Belgique, malgré l’attribution du pouvoir exclusif d’imposition au pays de situation de l’immeuble en vertu des dispositions de l’article 3 de ladite Convention, qu’à concurrence de 60% du revenu, le solde restant imposable en Belgique. »
Il est dès lors surprenant, et intellectuellement inquiétant, de constater qu’en 2024, le SPF Finances se retranche derrière l’article 18 de ladite convention, dit article résiduaire, pour justifier son droit d’imposer la quote-part de revenus unilatéralement prétendue d’origine mobilière. Il semblerait que les dispositions de l’article 8, vieilles de plus de 60 ans, soient oubliées de nos jours ! Il va sans dire que, dans l’hypothèse où l’administration belge aurait l’outrecuidance d’introduire auprès de son homologue française une procédure amiable en vue d’un partage de l’imposition desdits revenus concernés, la direction internationale de la DGFiP adressera un refus sec et un recadrage sévère à ces fonctionnaires belges, principalement d’origine flamande, dont la méconnaissance de la langue française, du droit français et pire, du droit conventionnel, devient insupportable.
Si la convention de 1964 reste éloignée du modèle OCDE, la Belgique a, dans le texte de la nouvelle convention signée avec la république française le 9 novembre 2021, obtenu, à l’article 6 de la nouvelle convention non encore ratifiée, l’insertion et l’approbation du texte intégral repris dans son propre modèle standard belge de 2010, lequel prévoit explicitement, dans son §3, que « les dispositions du paragraphe 1 s'appliquent aux revenus provenant de l'exploitation ou de la jouissance directes, de la location ou de l'affermage, ainsi que de toute autre forme d'exploitation des biens immobiliers ». Il en découle que la Belgique a clairement exprimé son choix de renoncer, dès la ratification de cette nouvelle version de la CPDI belgo-française, à pouvoir imposer, sur son territoire, la quote-part des revenus qualifiés de mobiliers perçus par ses résidents en cas de location meublée d’immeubles sis sur le territoire français. Si l’administration reconnaît depuis de nombreuses années que les revenus immobiliers s’entendent, dans le modèle OCDE des conventions internationales, dans leur intégralité avec les accessoires y compris, pourquoi alors se décrédibiliser dans la presse en exigeant qu’il soit démontré, en 2024, par le contribuable belge que le droit du pays dans lequel il détient un immeuble considère les meubles meublant comme partie intégrante de l’immeuble ?
Est-ce à dire que la double imposition actuelle cessera lorsque la nouvelle convention sera entrée en vigueur ? Théoriquement, oui. Tant que le locataire de l’immeuble français restera non professionnel, le revenu immobilier d’origine française sera pris en considération, pour le calcul de la réserve de progressivité, sur base de son revenu cadastral initialement notifié au propriétaire, indépendamment du fait que l’immeuble soit laissé ou non à la disposition gratuite de son propriétaire et du fait qu’il soit loué vide ou meublé. Mais, le doute peut surgir au constat de l’état d’esprit exprimé par le SPF Finances dans les avis de rectification actuellement adressés aux propriétaires concernés. En effet, l’art. 22,2,a) de la nouvelle convention stipule que, pour les personnes physiques, l’exemption de revenus d’origine française n’est applicable que dans la mesure où ces revenus ont été effectivement imposés en France. Dès lors, le risque pourrait ne pas être nul que le SPF Finances redresse, le jour venu, un habitant du royaume à hauteur de 100%, et non plus 40%, du montant inscrit au point 7 a) de la fiche 281.48 dans l’hypothèse où le propriétaire belge serait dans l’impossibilité de démontrer avoir dûment déclaré ce montant dans sa déclaration française à l’impôt des revenus des non-résidents et y avoir réglé l’impôt dû.
L’assiette imposable au titre de la location des biens mobiliers repose sur une présomption inscrite au 2°b) de l’article 4, AR/CIR92 selon laquelle les 2/5 dudit loyer sont « censés » représenter le montant brut au titre de revenus imposables de biens mobiliers lorsqu'il est stipulé, dans la convention de bail, un loyer global pour les biens mobiliers et immobiliers. Cette présomption est bien entendu réfragable lorsque le propriétaire-bailleur a signé une convention de bail qui ne prévoit pas un loyer global ou qui prévoit un loyer pour le seul immeuble indépendamment du mobilier meublant ledit immeuble.
L’imposition belge ne peut dès lors être automatique et ne s’opère de manière forfaitaire qu’en cas d’absence de levée par le contribuable de la présomption légale, laquelle ne peut être unilatéralement considérée comme irréfragable par le SPF Finances. L’absence de levée de la présomption peut également résulter de l’ignorance ou de la négligence du propriétaire-bailleur domicilié en Belgique.
L’administration utilise des arguments infondés pour tenter de rectifier et sanctionner le contribuable qui aurait omis, volontairement ou involontairement, de déclarer dans la partie 1 de la déclaration à l'Impôt des Personnes Physiques, dans le cadre VI 'Revenus des capitaux et biens mobiliers', sous la rubrique B. 'Revenus nets de la location, de l'affermage, de l'usage ou de la concession de biens mobiliers' (code(s) 1156/2156) un montant issu du point 7 a) d’une fiche 281.48 établie par une plate-forme collaborative numérique au nom du contribuable et se trouvant dans son dossier sur l’application MyMinfin. Il y a lieu de rappeler que pareille fiche ne mentionne nullement l’adresse de l’immeuble ayant été à la source des revenus de la location meublée. Et, de son côté, le SPF Finances n’interroge nullement le contribuable afin de savoir si l’immeuble concerné est localisé en Belgique ou à l’étranger.
En indiquant au contribuable avoir fait usage des moyens de preuve prévus, entre autres, à l’article 340 du CIR92, l’administration commet un mensonge étant donné qu’elle ne dispose pas d’une copie de la convention de mise en location de l’immeuble ayant généré un revenu de location meublée. Il ne lui est ainsi pas permis d’affirmer avec certitude que la présomption légale inscrite à l’art. 4,2°,b) de AR/CIR92 s’applique de manière irréfragable. Factuellement, l’administration présume qu’une présomption légale l’autorise à lever un impôt sur base d’une convention régie par un droit étranger à la Belgique portant sur la mise en location d’un immeuble sis hors de Belgique et dont elle n’a aucune connaissance, ni sur l’existence, ni sur le contenu définissant les modalités de la location. En outre, lesdites conventions passées là où les immeubles sont situés et régies par le droit local ne doivent nullement faire l’objet de la formalité d’enregistrement en Belgique, pays de résidence du bailleur et non de situation de l’immeuble.
En outre, l’administration dit connaître l’existence d’une présomption en indiquant que « le montant brut devant être déclaré est censé concerner la location du bien immobilier pour 60% et les biens mobiliers qui s'y trouvent (meubles, articles ménagers, etc.) pour 40% (art. 4, 2°, b) AR CRI 92) », mais en nie son existence et ne consent, au contribuable, ni l’opportunité ni le droit de lever ladite présomption. Elle l’induit en outre en erreur en lui indiquant qu’il peut, s’il le souhaite, déduire ses frais réels en lieu et place des frais forfaitaires, mais sans lui rappeler qu’il est en droit de contester le ratio 60/40 qui pourrait ne pas s’appliquer à son cas d’espèce lorsque la convention de location ne prévoit pas spécifiquement un loyer global pour l’immeuble et les meubles.
L’administration pousse le vice en indiquant que «l’ examen de la déclaration correcte des revenus des biens immobiliers ne fait pas l'objet de cette vérification » et évoque une présomption d’absence simultanée de déclaration des revenus immobiliers en indiquant au contribuable : « si vous n'avez pas indiqué les revenus des biens immobiliers (RC) dans le cadre III de votre déclaration. vous pouvez les mentionner spontanément dans le formulaire de réponse afin qu'ils soient ajoutés à votre déclaration et ainsi, éviter un contrôle ultérieur. » Mais elle s’abstient honteusement d’envisager l’hypothèse par laquelle le contribuable avait bien indiqué, aux codes 1106/2106, le R.C. qui lui avait été notifié pour son immeuble sis en France ou ailleurs à l’étranger, par application de la loi du 17 février 2021, et de lui rappeler qu’il est en droit d’exiger, en cas d’acceptation de la rectification, la modification préalable de sa déclaration initiale en limitant le R.C. à 60% de son montant antérieurement déclaré.
Enfin, il va de soi, pour l’administration, que l’accroissement d’impôt de 10% s’applique bien évidemment et sans contestation possible pour déclaration incomplète ou inexacte, mais que cet accroissement est limité par tolérance étant donné qu’il ne s’agit que de la première infraction sans intention d’éluder l’impôt !
Ben voyons… ! Le Service de Conciliation fiscale risque d’être surchargé dans les prochaines semaines, car il faudra un arbitre pour combattre l’arbitraire…
Cet article est publié dans le cadre du Tax Tv Show du mardi 24 septembre 2024.