L’économiste Milton Friedman est notamment connu pour avoir parlé du « time lag », le laps de temps qui s’écoule entre le moment où un problème socio-économique émerge et le moment où la réponse politique qui lui est donnée porte ses fruits. Friedman utilisait cet argument pour limiter le rôle stabilisateur de l’activisme politique face aux fluctuations de la conjoncture : une mesure prise pour faire face à un recul de l’activité ne sortirait ses effets que quand l’activité aurait repris par ailleurs. Il en résulterait que les mesures de soutien ad hoc ne feraient que verser de l’huile sur le feu, qu’exacerber les fluctuations cycliques.
Il est un autre « lag », ou décalage, en matière de politique économique, que nous pourrions appeler « policy lag » et que la sagesse collective connaît déjà sous l’expression « il y a loin de la coupe aux lèvres ». Ce « policy lag » se décompose en deux parties : l’écart entre ce qui est promis et ce qui est décidé et l’écart entre l’effet espéré de ce qui est décidé et l’incidence effective. Illustrons-en la portée potentielle avec la politique commerciale annoncée par Donald Trump.
Au-delà de la versatilité de l’intéressé, il importe de mettre en exergue ce qui apparaît aux yeux de nombre d’observateurs comme des contradictions fondamentales dans le programme de D. Trump. Celui-ci a surfé sur le ressenti très fort de la population envers la hausse des prix, mais l’inflation va être alimentée par ce que seront vraisemblablement son activisme budgétaire et sa politique en matière de migration. Y ajouter de très fortes barrières douanières, qui plus est sur fond de marché du travail en forme, de vigueur de la confiance des consommateurs et d’effet richesse positif du fait des performances boursières, risque de faire repartir l’inflation à la hausse, surtout que ce sur quoi porteront ces droits relevés n’a souvent pas de substitut local échappant à un tel rel évènement.
Les entreprises disposent fréquemment, et plus encore les plus grandes d’entre elles, de la capacité à répercuter les hausses de coûts dans les prix de vente. Toutefois, on peut penser que, dans nombre de cas, la hausse des droits de douane sera pour une bonne part absorbée par la contraction des marges bénéficiaires réalisées sur les biens et services qui subiront cette hausse, que ce soit dans le chef des entreprises qui exportent vers les Etats-Unis ou dans celui des entreprises américaines qui importent et distribuent ces produits. Libéraliser le commerce, ce sont davantage les fédérations patronales que les associations de consommateurs qui le demandent ! On le voit en Belgique avec le traité Mercosur.
Donc, une hausse des droits de douane conduisant à une vive réaccélération de l’inflation, voilà une stratégie qui sera rapidement reconsidérée. Soit la hausse sera absorbée au fil de la chaîne de valeur, soit elle sera mise en sourdine après avoir crié haut et fort.
Les mesures annoncées en matière de droits de douane ont beau sembler extrêmement fortes, avec des pourcentages de hausse substantiels, il faut savoir en apprécier l’impact vraisemblable. Et celui-ci n’est pas la catastrophe que certains prédisent, et cela pour deux raisons.
Premièrement, les États-Unis ne sont pas comme la Belgique, une petite économie très ouverte sur ses pays voisins. Ce n’est pas que les Etats-Unis soient protectionnistes, ils ne le sont pas plus que l’Europe, mais l’économie américaine a une taille telle et une diversification telle que le poids du commerce international n’y est qu’une fraction de ce qu’il est en Belgique. Les études sur le projet de traité transatlantique entre Europe et Etats-Unis, le TTIP, avaient montré qu’une libéralisation nettement plus poussée des échanges entre ces deux zones aurait certes un impact global positif, mais extrêmement limité. Au bout de 15 ans, en cumulé, on parlait d’un effet de 0,5 points de PIB. On est ici dans l’ordre du marginal, pour ne pas dire de l’anecdotique. Si accentuer la globalisation à somme toute peu d’effet, la voir reculer – personne n’évoque sa fin complète, bien entendu – ne doit pas nous faire trop peur. La mondialisation, si elle stimule le PIB dans les pays industrialisés, c’est donc modérément,
Deuxièmement, le commerce international occasionne de sérieux dommages collatéraux qui ne sont pas pris en compte dans ce calcul économique étroit :
Selon un certain narratif, c’est la globalisation qui aurait fait la croissance économique ces 45 dernières années, et c’est le protectionnisme qui aurait fait la crise des années 30. A cette aune, il faudrait attendre le pire des annonces de D. Trump. Heureusement, il y a lieu de relativiser !
L’élection de D. Trump, avec des assemblées « à sa solde », est une nouvelle terrible, vu ce que pourront être les décisions prises et, en amont, ce que cela dit de la mauvaise santé de la démocratie, mais ce ne sont pas les freins aux échanges internationaux qui doivent le plus nous inquiéter, loin de là.