En finir avec les montages financiers abusifs. Réprimer les intermédiaires qui favorisent les délits fiscaux et la criminalité en col blanc

Ces dernières décennies, le monde a vu se commettre des délits financiers de plus en plus ingénieux aux ramifications internationales – et l’intérêt du public pour la lutte contre ces problèmes s’est également accentué, comme l’ont montré les fuites dont les médias se sont amplement fait l’écho, telles les enquêtes Panama Papers et Paradise Papers (ICIJ, 2020[1]). Ces délits sont souvent facilités par des juristes, des comptables, des établissements financiers et d’autres experts qui aident à concevoir les structures juridiques et financières d’opérations de fraude fiscale et d’infractions financières complexes. Le petit groupe de spécialistes qui contribuent à l’exécution et (ou) à la dissimulation des délits de cette nature ne mettent pas seulement en péril la règle de droit, mais font du tort à leur propre profession, à la confiance du public envers le système juridique et financier, et à l’uniformité de traitement entre les contribuables respectueux des règles et ceux qui les bafouent. À terme, c’est l’intérêt général que présentent les recettes fiscales et leur disponibilité à des fins publiques qui est compromis. Des mesures ciblant les intermédiaires fiscaux et visant à mettre fin à leurs activités s’imposent donc pour s’attaquer aux racines mêmes de cette criminalité.


La plupart des professionnels sont intègres et remplissent une mission importante en aidant les entreprises et les particuliers à comprendre et à respecter la loi, et le système financier à fonctionner sans heurts. Il convient de les distinguer d’un petit groupe d’experts qui mettent leurs compétences et leur connaissance du droit à profit pour inciter leurs clients à commettre des infractions et leur proposer des services en vue de faciliter ces opérations. Le présent rapport a pour ambition d’aider les responsables publics et les autorités d’application de la loi à lutter contre les activités de ce noyau de juristes, conseillers fiscaux, notaires, établissements financiers et autres intermédiaires qui sont des « intermédiaires fiscaux » résolus à aider leurs clients à commettre des actes illicites.


Les intermédiaires fiscaux jouent un rôle essentiel en ce qu’ils donnent aux contribuables les moyens de frauder l’État et de se soustraire à leurs obligations fiscales, par exemple en mettant à leur disposition des structures et des dispositifs opaques pour occulter la véritable identité des individus à l’origine des activités illégales. Les opérations de cette nature ont acquis une dimension politique internationale et nationale de premier plan et ont fait l’objet d’une large couverture médiatique. Ces scandales mettent également en évidence le problème plus vaste de la fraude fiscale pour la société, à savoir le préjudice qu’elle porte à la confiance des citoyens et aux deniers publics, et le sentiment croissant d’instabilité dû aux inégalités qu’elle suscite. Dans le sillage de la pandémie du COVID-19, de nouveaux risques continuent de surgir, comme la possible intervention d’intermédiaires fiscaux pour favoriser l’accès frauduleux aux financements de soutien, ce qui met en lumière la menace persistante que ces spécialistes représentent pour la société.


Les pouvoirs publics ont donc pris conscience qu’il fallait viser les intermédiaires fiscaux qui exploitent activement les possibilités de commettre et de dissimuler des délits fiscaux et d’autres infractions financières pour neutraliser une composante essentielle de la planification et de l’exécution d’actes délictueux. Cette stratégie n’est pas la seule nécessaire pour combattre l’ensemble des délits fiscaux et financiers mais, en restreignant l’accès aux instruments perfectionnés de fraude et de malversations fiscales, et en limitant ainsi les possibilités de perpétrer ces délits, elle peut s’avérer avantageuse sur le plan économique.


Les pays ont toutefois signalé que, bien que conscients de l’importance du problème, ils se heurtent à des difficultés pour mener une lutte efficace contre les intermédiaires fiscaux. Le présent rapport examine différentes stratégies gouvernementales visant à détecter, prévenir et faire cesser les activités de ces intervenants.



Le rapport


Le rapport présente les mesures que les autorités peuvent adopter pour remédier au problème des intermédiaires fiscaux dans cinq domaines fondamentaux :

  1. compréhension du rôle des intermédiaires fiscaux ;
  2. méthodes d’identification des intermédiaires fiscaux ;
  3. cadres juridiques et réglementaires pour mettre fin à l’activité des intermédiaires fiscaux ;
  4. stratégies de dissuasion à l’encontre des intermédiaires fiscaux ;
  5. mesures multilatérales, nationales et internationales visant les intermédiaires fiscaux.

Bien que cette catégorie couvre un large éventail de particuliers, d’intermédiaires et d’établissements qui proposent toute une gamme de services dont les spécificités peuvent varier d’un pays à l’autre, le présent rapport expose les méthodes communément utilisées pour lutter contre le recours à ces spécialistes. Il s’adresse principalement aux autorités responsables de la lutte contre la délinquance fiscale, mais vise aussi à être utile à d’autres autorités répressives compte tenu des liens entre les infractions fiscales et d’autres délits financiers, comme le blanchiment de capitaux ou la corruption, et de la similarité des méthodes employées pour les perpétrer, notamment en ce qu’il souligne l’importance d’une action multilatérale et multi-institutionnelle. Le rapport a été établi par le Groupe d’action de l’OCDE sur les délits fiscaux et autres délits, d’après l’expérience des pays membres et non-membres de l’OCDE. Conclusions et contre-stratégies recommandées pour lutter contre les intermédiaires fiscaux


Le rapport permet de mieux appréhender le problème posé par les intermédiaires fiscaux et les diverses mesures susceptibles d’y remédier ; il vise ainsi à encourager les pays à élaborer une stratégie nationale spécifiquement conçue pour combattre ceux qui prennent activement part aux délits fiscaux et à d’autres infractions financières.


Il appelle les pays à envisager l’adoption d’une stratégie, ou le renforcement de la stratégie en vigueur, pour lutter contre ces intermédiaires. Dans ce cadre, il les invite à se pencher sur les contre-stratégies recommandées présentées dans le schéma suivant.



Contre-stratégies recommandées pour lutter contre les intermédiaires fiscaux


> Principaux éléments


Veiller à ce que les enquêteurs fiscaux soient dotés des connaissances, des informations et des compétences analytiques nécessaires pour identifier les groupes d’intermédiaires fiscaux opérant sur leur territoire, et pour déterminer les risques liés à la manière dont ces derniers conçoivent, commercialisent, mettent en œuvre et dissimulent les délits fiscaux et financiers.
  • Examiner la nécessité d’une définition commune des intermédiaires fiscaux, tenant compte de leur rôle et des différents degrés de culpabilité dans différents secteurs
  • Informer les différents organismes publics des catégories de services fournis par les intermédiaires fiscaux et les raisons pour lesquelles ils constituent un risque.
  • Élaborer des indicateurs de risque pour identifier les intermédiaires fiscaux à partir des nombreuses sources de données disponibles

> Législation


Veiller à ce que la loi confère aux enquêteurs et procureurs des pouvoirs suffisants pour identifier, poursuivre et sanctionner les intermédiaires fiscaux, de manière à dissuader et pénaliser ceux qui ont facilité la criminalité fiscale.
  • Envisager la nécessité d’un régime de responsabilité spécifique pour les intermédiaires fiscaux afin de mieux prévenir leur action
  • Évaluer si le cadre juridique offre aux procureurs des moyens suffisants pour prouver l’infraction consistant à intervenir en tant qu’intermédiaire fiscal
  • Réfléchir à la question de savoir si le secret professionnel fait obstacle au bon déroulement de l’enquête et des poursuites judiciaires
  • Examiner si la possibilité pour les suspects de recourir à un règlement négocié compromet l’effet dissuasif de la loi
  • Évaluer la possibilité de mettre à contribution des organismes professionnels de contrôle ou de réglementation pour empêcher les intermédiaires fiscaux d’opérer

> Dissuasion et neutralisation


Vérifier qu’il existe une stratégie cohérente et pluridisciplinaire visant à parer et mettre fin aux activités des intermédiaires fiscaux et consistant notamment à communiquer des informations, à mobiliser les organismes de contrôle et les secteurs industriels, à encourager la divulgation rapide et la dénonciation des irrégularités et à mettre concrètement en œuvre des modalités d’application vigoureuses.
  • Prévenir les irrégularités moyennant l’information des contribuables et la sensibilisation des professionnels
  • Mobiliser les compétences des organismes professionnels de contrôle et de réglementation et exploiter les informations dont ils disposent
  • Encourager une gouvernance d’entreprise de qualité et une culture de la conformité
  • Établir des mécanismes de déclaration volontaire, de signalement et de dénonciation
  • Envisager l’instauration de règles de communication obligatoire d’informations exigeant des intermédiaires qu’ils déclarent les montages éventuels dès les premières phases de leur mise en œuvre


> Coopération


Veiller à ce que les autorités compétentes mettent spontanément à la disposition d’autres organismes nationaux et internationaux le plus grand nombre d’informations et de renseignements possible et leur confèrent les pouvoirs d’enquête nécessaires pour combattre les intermédiaires fiscaux qui mènent des opérations complexes et transfrontalières.
  • Faire appel aux dispositifs nationaux applicables à l’ensemble de l’administration, comme la déclaration de soupçons, l’échange d’informations, les enquêtes interinstitutions et d’autres mécanismes de coopération volontariste
  • Recourir aux mécanismes de coopération internationaux, notamment à toute la gamme d’échanges de renseignements (sur demande et automatique, demandes sur des groupes de contribuables, échanges spontanés, et transmission à d’autres organismes), ainsi qu’aux mécanismes multilatéraux.


> Mise en œuvre


Désigner sur le territoire de compétence un responsable et un organisme chargés de superviser la mise en œuvre de la stratégie, notamment de procéder à un examen de son efficacité dans la durée et d’y apporter des modifications le cas échéant.
  • Obtenir l’engagement des responsables des organismes chargés de l’application des politiques et de la loi à s’attaquer et remédier au problème des intermédiaires fiscaux, à contribuer à l’élaboration de la stratégie, et à mettre en œuvre les volets de la stratégie qui les concernent
  • Nommer un point de contact national chargé d’assurer la coordination entre les différents organismes publics et d’évaluer les besoins, les problèmes et les points forts de chacun d’eux dans l’optique de la lutte contre les intermédiaires fiscaux
  • Organiser des débats ouverts entre les pouvoirs publics, les entreprises, les citoyens, les milieux universitaires et les associations professionnelles de manière à prendre en compte l’expérience et les avis de tous les secteurs
  • Veiller à assurer un niveau de ressources suffisant pour une mise en œuvre efficace de la stratégie.


Bon à savoir


Intitulé En finir avec les montages financiers abusifs : Réprimer les intermédiaires qui favorisent les délits fiscaux et la criminalité en col blanc, ce rapport sera présenté au cours d’une session ad hoc du Forum mondial de l’OCDE sur l’intégrité et la lutte contre la corruption qui se tiendra en mode virtuel le 24 mars de 16h45 à 17h45. Le Forum sera ouvert au public, et les personnes intéressées sont invitées à s’enregistrer pour y participer.



Source : OCDE, 25 février 2021, communiqué, "L’OCDE appelle les pays à lutter contre les intermédiaires qui favorisent les délits fiscaux et la criminalité en col blanc"


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