Nous allons assister à une augmentation simultanée des recettes fiscales et des dépenses sociales dans un contexte de répression financière.
Depuis plusieurs années, l’endettement public augmente inexorablement. Quelle en est l’origine? Elle remonte à un demi-siècle, lorsque les États européens, ébranlés par de multiples crises monétaires, deux chocs pétroliers et une mutation du modèle industriel, mirent en œuvre une politique de stimulation de la demande destinée à combattre les vicissitudes des crises économiques.
Et même si quelques années furent entre-temps prospères, d’autres chocs mirent en péril la stabilité budgétaire, et donc l’endettement public. Il suffit de penser à la crise bancaire de 2008, suivie d’une mise en jeu de l’euro par la crise des dettes souveraines, à la crise du Covid, et plus récemment à une vague inflationniste liée, entre autres, à la guerre russo-ukrainienne.
Mais même si l’économie retrouve des bases stabilisées, les déficits budgétaires et l’endettement public vont inexorablement s’aggraver. Chaque prochaine année affrontera probablement un déficit budgétaire de 4%. Si aucune mesure n’est prise pour réduire les dépenses ou augmenter les recettes fiscales, en moyenne, l’OCDE estime que la dette publique progresserait de plus de 60% du PIB d’ici 2040.
Quelle est la principale source de l’augmentation future de l’endettement public? Ce sont les dépenses liées au vieillissement de la population. En effet, les années d’après-guerre furent caractérisées par une poussée démographique qualifiée de «baby-boom», conventionnellement constatée entre 1945 et 1963. Ce phénomène trouve désormais sa transposition dans un «mamy/papy-boom» qui, sur la base d’un départ à la retraite à 65 ans, couvre les années 2010 à 2048, en prenant en compte l’augmentation de l’espérance de vie.
C’est ainsi qu’en 2040, les dépenses sociales au sens large pourraient atteindre 30% du PIB. Ce vieillissement de la population va aussi contribuer à un phénomène de stagnation économique. On pourrait aussi assister au maintien d’une inflation modérée liée à différents phénomènes qui se croisent: l’inversion démographique qui réduit, en termes relatifs, l’emploi des travailleurs actifs dont les salaires vont augmenter, alors que le vieillissement de la population ralentit la croissance économique, les restrictions à l’immigration vers les pays riches qui vont rigidifier la mobilité internationale du travail et la démondialisation qui va introduire des frictions au commerce international.
Par ailleurs, l’endettement public, même s’il est généralisé, va conduire à une augmentation des taux d’intérêt, elle-même alimentée par l’inflation et le risque de crédit étatique. Bref, c’est le scénario dangereux, puisque la croissance ne permettra pas de compenser l’augmentation de l’endettement public, comme dans les années nonante. De plus, le coût des investissements publics associés à la transition climatique et à la rénovation environnementale pèsera lourdement sur l’endettement public, car il est illusoire de croire que seuls les entreprises et les ménages seront en mesure d’en assurer le financement. Ceci étant, une dette publique ne se rembourse pas: elle se refinance, tant que des créanciers acceptent de le faire à un taux d’intérêt acceptable.
Au cours des dernières années, ce sont les banques centrales, dont la BCE, qui ont financé l’augmentation stupéfiante des dettes publiques au travers d’une création monétaire sans précédent. Les banques centrales ont acquis des dettes publiques en contrepartie d’une impression monétaire. Cette dernière permet d’éviter un effet d’éviction constaté lorsque les bilans bancaires sont essentiellement exploités pour le financement des dettes publiques plutôt que pour le crédit privé.
Mais cette création monétaire est aujourd’hui abolie, puisqu’elle a probablement contribué à alimenter l’inflation que ces mêmes banques centrales doivent combattre. Les dettes publiques devront être financées non plus par la création monétaire, mais par l’épargne déjà constituée. Et cela change tout, car cela signifie inévitablement que les banques et les entreprises d’assurance seront obligées, de manière plus ou moins coercitive, de canaliser les dépôts et les réserves qui leur sont confiés vers le financement des États. Cela signifie que le contrôle public sur les banques va s’accentuer au travers d’une étatisation plus contraignante, que certains voudront transformer en nationalisation.
Il est évident que cette situation se conjuguera avec une répression financière destinée à maintenir des taux d’intérêt très bas, et malheureusement pour l’épargnant, inférieurs au taux d’inflation, afin dediluer la dette publique dans le temps.
On peut bien sûr s’insurger contre cette situation, mais en vain, car l’erreur est de ne pas avoir anticipé le vieillissement de la population au profit d’une jouissance immédiate, quitte à mettre en péril la solidarité intergénérationnelle. Et le débat est bien là: on peut réduire les dépenses sociales, et certainement mieux les cibler, mais cela exigerait de les discriminer en fonction des citoyens qui en ont vraiment besoin.
Cela passe par une globalisation des revenus pour évaluer correctement la capacité de revenus de chacun d’entre nous. C’est pour cette raison que ceux qui plaident pour une diminution aveugle des dépenses sociales, et qui sont les mêmes que ceux qui exigent des baisses d’impôts, conduisent inévitablement au démantèlement de l’État social. Au contraire, je pense que nous allons assister à une augmentation simultanée des recettes fiscales et des dépenses sociales dans cette répression financière à laquelle je faisais référence. Le combat contre l’augmentation de l’endettement public est – je le crains — perdu pour 20 ans.