Je le confesse : je ne suis pas d’une nature intellectuelle particulièrement optimiste, mais c’est le sort des économistes qui s’accommodent mal du chaos du monde.
La prochaine crise financière approche, à bas bruit, et c’est précisément ce qui la rend extrêmement dangereuse, car elle ne s’imposera qu’avec un fracas que les murmures qui la précèdent n’auront pas su anticiper. J'étais le CEO de la Bourse de Bruxelles en 2008 et, croyez-moi, cela a métamorphosé mon intuition.
Deux facteurs vont se conjuguer, et c’est leur concomitance qui provoquera la crise.
Tout d’abord, les dettes publiques. Elles sont excessives partout, pour différentes raisons : stimulation budgétaire aux États-Unis, financement de l’État-providence en Europe, structuration de l’économie au Japon, etc. Quelques pays, comme la Chine, font exception, mais leur monnaie n’est pas librement convertible. En soi, une dette publique excessive n’est pas nécessairement dangereuse si elle se dilue parmi d’autres dettes publiques tout aussi excessives. Une dette publique est aussi extrêmement utile lorsqu'il s'agit de financer des investissements productifs, des projets sociétaux, des biens à la population, comme la santé, l'éducation, l'écologie, etc.
Cependant, la dette américaine devient problématique : son entretien, voire sa survie, dépend de la capacité des États-Unis à imposer le dollar comme monnaie de référence. C'était possible dans un monde unipolaire, comme celui de l’après-guerre, mais ce n’est plus le cas dans le monde multipolaire d’aujourd’hui, où la politique américaine, sous tous ses angles, tend vers l’isolationnisme. La dette américaine, autrefois considérée comme sans risque, devient risquée, et par extension, toutes les dettes publiques le deviennent. Une prime de risque se diffuse et s'accroît.
A cet égard, une information récente n’a d’ailleurs pas été prise à sa juste valeur : l’agence de notation Fitch a revu à la baisse sa perspective sur les dettes souveraines, la faisant passer de « neutre » à « détériorée », principalement en raison de la politique américaine.
Le second facteur est le dollar, qui devient lui aussi risqué et s’engage sur la voie de la dévaluation. Une politique monétaire américaine bientôt politisée pourrait provoquer des chocs majeurs, entraînant des dévaluations en chaîne, elles-mêmes ferments d’une inflation galopante. La combinaison d’une dette américaine excessive et d’un dollar brutalement dévalué accroîtrait la défiance vis-à-vis des États-Unis, ce qui emballerait le moteur de la crise.
Cette crise sera sévère, et il existe peu de moyens d’y échapper, car elle sera systémique, c’est-à-dire non diversifiable. S’extraire des actifs libellés en dollar est, à l’échelle mondiale, pratiquement impossible.
Voilà le prix d’avoir laissé le modèle américain nous anesthésier depuis des décennies.