Pour bien comprendre ce qui pourrait arriver avec le dollar, il faut impérativement se souvenir que la monnaie est consubstantielle à l’autorité des États, ce qui explique évidemment la notion de cours légal. Elle fait écho au paiement de l’impôt, les deux droits régaliens – à savoir celui de battre monnaie et de lever l’impôt – étant l’avers et l’envers de la même réalité, reflétés par la locution Monetandi jus principum ossibus inhæret (le droit de battre monnaie est inséparable de la souveraineté), qui rappelle la tutelle étatique de la monnaie sur toutes les dettes et créances des citoyens.
C’est aussi valable pour le dollar. Tout dollar qui n’est pas imprimé par le Trésor américain, qui n’est pas inscrit en compte dans une banque américaine située aux États-Unis, ou qui n’est pas symbolisé par une dette de l’État américain, est souvent un dollar qui, certes, existe, mais n’est toléré que parce qu’il fait l’objet d’un échange entre banques centrales. Comme les États-Unis veulent imposer leur monnaie comme l’étalon universel, ils facilitent ces échanges.
Mais ce n’est pas tout : les États-Unis doivent être financés par le reste du monde. Leur dette publique est insoutenable et exigerait une prime de risque pour couvrir un éventuel non-remboursement. Cependant, puisque le dollar est l’étalon de référence, il ne peut être affecté par le moindre risque perçu. C’est un privilège exorbitant, qui se combine avec le fait que le dollar doit être abondant pour servir de référence transactionnelle. Il en résulte que le dollar est une monnaie obligatoirement dévaluationniste.
Mais l’endettement américain ne peut pas être sans limites, ne serait-ce que parce que d’autres puissances émergent avec leurs propres ancrages monétaires. À un moment donné, les États-Unis verront peut-être une hausse des taux d’intérêt leur être imposée, ou bien ils devront eux-mêmes relever les taux pour contrer une inflation domestique alimentée par tous les programmes de Trump.
Il y aura donc inévitablement un point de rupture : les Américains devront impérativement découpler leur endettement croissant des taux d’intérêt qu’ils jugeront trop élevés, tout en diffusant leur monnaie de manière toujours plus abondante. Il y aura donc un coup d’État monétaire, qui prendra différentes formes mais qui conduira inéluctablement à une chute du dollar.
Et ceux qui croient que les cryptomonnaies les protégeront sont, à mon sens, dans l’erreur. Pour ceux que les précédents historiques ne rassurent pas, rappelons que lorsque le président Roosevelt dévalua le dollar américain de 40,94 % en janvier 1934, cette mesure fut précédée, en 1933, par l’obligation pour tous les Américains de remettre leur or au Trésor afin d’éviter qu’ils ne puissent échapper à la dévaluation. Il y a aussi cette idée d’inonder le marché de stable coins émises par les Etats-Unis, mais il semble peu probable que reste du monde leur accorde cours légal.