La restauration du culte de l’intérêt général passera par le déploiement d’un enseignement repensé et par la mise en œuvre de transitions dans de multiples domaines. Entre tous, à l’évidence, un aspect global de la relation de l’individu à l’État devra être repensé : celui de la fiscalité et de la parafiscalité.
A cet égard, on peut s’interroger sur la question de savoir si, au cours des dernières décennies, l’État a bien (di)géré sa fiscalité. Par choix politique – et donc consenti –, l’état d’État-providence a conduit à une croissance astronomique de la dette publique. En soi, ce n’est pas grave si l’endettement répond à des impératifs d’investissements ou à un soutien à la demande intérieure, destinée elle-même à soutenir l’économie et le pouvoir d’achat.
Mais, en même temps, la plupart des pays d’Europe occidentale se sont acheté à bon compte des années d’immobilisme en demandant crédit aux générations suivantes. Cet arrangement silencieux et unilatéral avec l’avenir est pour le moins malsain dès lors qu’aucun plan de prospérité ne leur a été préparé et que la démographie décline.
Il se pourrait même que la politique fiscale ait été teintée d’un effet de « capture » générationnelle qui a conduit à ce que la charge fiscale soit reportée par les baby-boomers sur les travailleurs de la génération suivante au rythme de leur propre vieillissement. En quelque sorte, un effet d’aubaine, tel que décrit par l’économiste George J. Stigler (1911-1991), prix Nobel d’économie en 1982, quand il énonça sa théorie de l’économie positive de la réglementation.
La question de la morale collective de l’impôt est donc engagée. S’il n’est plus considéré comme juste dans le remboursement de la dette, il ne sera plus un facteur de cohésion, mais de fission sociale. Le remboursement de cette dette sera prélevé au prix d’un risque de tension générationnelle dès lors que la vague du coût du vieillissement submergera bientôt les finances publiques. Or, rien ne dit que les générations suivantes voudront, ou même pourront, payer nos dettes. Il pourrait même en résulter une désolidarisation générationnelle qui réfutera l’hypothèque de l’avenir fiscal par le présent budgétaire. C’est donc maintenant que le questionnement des fondamentaux de notre modèle fiscal et social qui doit être posé.
Dans ce cadre, et en revenant aux sources théoriques de l’État-providence, on peut se demander si, un jour, fiscalité et parafiscalité ne devraient pas être agrégées. En effet, aujourd’hui, la fiscalité des personnes physiques se fonde sur la taxation progressive de la capacité contributive. C’est-à-dire sur l’obligation de chacun de participer au financement des charges de l’État selon ses revenus. Ainsi, l’impôt croît marginalement au rythme de la capacité d’un contribuable à épargner une partie croissante de son revenu disponible. La parafiscalité quant à elle mutualise les risques des citoyens et assure une solidarité sociale entre ces derniers. A ce titre, elle relève de l’assurance, même si les « primes », correspondant essentiellement aux cotisations sociales, sont proportionnelles aux revenus professionnels.
Vu les crispations générationnelles sans doute inéluctables, la question de la fusion de ces systèmes doit être abordée sereinement. Et se diriger vers d’une méta-globalisation des revenus telle qu’une personne physique verrait ses cotisations et avantages sociaux modulés en fonction de ses revenus, à savoir que le niveau de revenu conditionne les prestations sociales ? Leur gratuité serait assurée pour les faibles revenus tandis que les hauts revenus seraient, par comparaison au modèle actuel, moins couverts par l’État.
Notons au passage que, depuis longtemps, une partie du financement de la sécurité sociale suit déjà ce modèle puisqu’elle est déjà assurée par l’impôt et que le problème du financement des retraites devra évidemment être partiellement solutionné par l’impôt car les cotisations sociales sont insuffisantes.
Le manque de prévisibilité et d’injustice générationnelle est, à cet égard, dans la plupart des pays européens, invraisemblable car, je l’ai souligné plus haut, la prospérité a été empruntée. Certains voudraient faire croire que c’est la crise financière qui a entraîné la crise économique. Ce serait trop simple. Pour autant, il n’est pas exclu que la crise financière ait été un révélateur ou une métastase d’un changement économique organique plus profond. En aucune façon, ce n’est la crise financière qui a créé le déséquilibre inhérent de nos finances publiques, à savoir le report systématique d’une richesse imméritée vers les générations suivantes.
On réalise aujourd’hui combien il sera indispensable de réfléchir au rôle de l’État et à notre modèle de contribution à la prospérité. Les stabilisateurs économiques sont une merveille sociale, mais quel est l’investissement dans les générations suivantes ? La globalisation dilue les pays dans un monde marchand qui efface les géographies. Il n’est donc pas possible de conserver des modèles de répartition sociale qui ne soient pas synchronisés avec les flux de commerce globaux. Sauf à imaginer que les économies nationales se murent dans une posture isolationniste.