Les propos ad hominem sont a priori à proscrire, mais parfois ils s’imposent. C’est le cas ce mois-ci, et la personne qui est visée est Mr Guy Verhofstadt, qui fut Premier Ministre de 1999 à 2007. Tant qu’à faire, mieux vaut s’en prendre aux puissants qu’aux faibles !
Dans l’Echo (et le Tijd) du samedi 6 mai, Guy Verhofstadt est longuement interrogé. Notre courroux, qui se manifeste dans le titre de cette chronique, vient du passage suivant, qu’il convient de reprendre in extenso.
L’argument de Mr Verhofstadt semble imparable : puisque les finances publiques seraient d’autant plus saines et soutenables que le niveau d’endettement est modéré, la baisse significative de celui-ci entre 1999 et 2007 lui donnerait une « grande distinction », et les observateurs critiques seraient victimes d’une infox, nom français de « fake news » et définie comme « information mensongère ou délibérément biaisée, contribuant à la désinformation ». Mais la vérité est toute autre, et s’il y a une infox, c’est de la bouche de Mr Verhofstadt lui-même qu’elle sort.
Ayant collaboré entre 1996 et 1999 avec Mr Dehaene, je peux ne pas être objectif, mais s’attribuer l’essentiel de l’assainissement réalisé en Belgique par rapport à la situation du début des années 90 est, pour Mr Verhofstadt, au-delà de toutes les convenances. Certes, le ratio entre dette publique et PIB a fortement baissé entre 1999 et 2007, de 115% à 87%, 87% que Mr Verhofstadt prend la liberté d’arrondir à 80%, et sachant que ce ratio avait culminé à 139% en 1993, mais Mr Verhofstadt ne peut pas, sous peine d’être gravement ignorant, ne pas savoir que cet indicateur est trompeur s’il s’agit de cerner l’orientation de la politique budgétaire. En effet, la dette en pourcentage du PIB est très sensible à la conjoncture, à l’évolution passée des taux d’intérêt et au taux d’inflation. Quand, en 2022, la poussée d’inflation fait gonfler le PIB nominal et donc baisser le ratio d’endettement public, il n’y a aucun gouvernant qui peut s’en enorgueillir. Ce n’est pas tout. La mesure de la dette est une mesure brute, qui ne tient pas compte des privatisations et autres opérations financières de ce genre. Ainsi, à titre d’illustration, au lieu de dépenser pour rénover la Tour des Finances, le gouvernement Verhofstadt-Reynders a vendu celle-ci et s’est engagé à reprendre le bien en location après désamiantage, et comme la location allait se faire à un prix « salé », le prix de vente a été artificiellement gonflé … et le produit de la vente est venu en diminution de la dette.
L’évaluation de la politique budgétaire ne peut réellement ressortir que d’une analyse qualitative détaillée mais, s’il faut s’en tenir à un indicateur quantitatif, c’est la notion de solde primaire structurel qui s’impose, tant dans la littérature académique que dans les recommandations des organisations internationales. Il s’agit ici de mesurer le solde budgétaire, soit la différence entre les recettes et les dépenses publiques, avec deux types de correctif. Premièrement, le terme « primaire » indique que sont exclues les dépenses d’intérêt, sur lesquelles les autorités nationales n’ont guère de prise : elles sont d’abord fonction du stock de dette et du contexte international passé des taux d’intérêt. Ensuite, le terme « structurel » indique que l’on en expurge les effets de la conjoncture et des opérations non récurrentes, telles que les privatisations.
Et ici, l’image qui en ressort est à l’opposé de l’histoire à laquelle veut nous faire croire Mr Verhofstadt. En effet, le solde primaire structurel s’est très gravement dégradé durant les années où il était Premier ministre. La Belgique a vu son solde primaire structurel s’améliorer de 5 points de pourcentage entre 1993 et 1998 et se détériorer d’autant entre 1999 et 2007 (source : BNB, Analyse de la politique d'assainissement des finances publiques belges, juin 2015). N’en déplaise à la tentative de réécriture des faits par le premier intéressé, les gouvernements Verhofstadt-Reynders sont passés à la postérité comme des gouvernements de mauvaise gestion budgétaire. Où sont les réformes que son capitaine avait promises dans les années 90 ? La loi de sortie du nucléaire ? La réforme des polices, avec harmonisation des statuts à la hausse ? L’abaissement, sans réelle réforme, des impôts sans baisse compensatoire des dépenses ? Le lancement du fonds de vieillissement, qui dispensait de réformer les retraites ?
Le jugement des observateurs des finances publiques sur l’époque Verhofstadt-Reynders est très sévère et sans appel. Mr Verhofstadt se serait grandi à le reconnaître. Il a préféré utiliser des arguments trompeurs. Est-ce par ignorance ou par malhonnêteté ?
Complément :
Cette chronique est également parue dans l'Echo.