L’évaluation stratégique de la BCE plaide en faveur de l’intégration des coûts des logements occupés par leur propriétaire dans la mesure de l’inflation. Que représentent ces coûts ? Comment le processus d’intégration se déroulera-t-il ? Quelle est l’incidence sur la mesure de l’inflation ? L’accent sera mis sur les résultats de la Belgique.
En 2020, la BCE a entamé un exercice de révision stratégique dans le cadre duquel divers thèmes liés à la politique monétaire ont été abordés. Cet article se concentre sur la mesure de l’inflation, et plus particulièrement sur la prise en compte à cet égard des coûts liés à l’occupation de son propre logement (Owner-Occupied Housing – OOH).
En préparation de cette révision stratégique, la BCE et les banques centrales nationales ont mené des consultations baptisées « Listen Events ». L’événement organisé par la Banque a été intitulé « La BNB à votre écoute » (22 janvier 2021). Les participants se sont notamment déclarés largement préoccupés par la hausse des prix du logement, lorsque le thème de l’inflation a été abordé.
Afin de rendre l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) plus représentatif, la BCE a plaidé en faveur de l’inclusion de ces coûts. L’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) actuel, qui est la mesure de l’inflation employée par la BCE, exclut en effet une grande partie des dépenses liées au logement propre. Si les loyers et le coût des petites réparations (p. ex. peinture, nouveau robinet) notamment y figurent bien, d’autres frais, comme l’achat d’une habitation ou les droits d’enregistrement, ne sont pas (encore) pris en compte. Ces coûts représentent pourtant une part importante du budget des ménages.
La BCE a estimé que l’« approche des acquisitions nettes » était la meilleure manière de tenir compte de ces coûts. Cette approche, qui mesure les coûts d’acquisition des logements ainsi que d’autres frais liés à la propriété, est de fait celle qui respecte le mieux les principes de l’IPCH. Il s’agit de retenir les transactions monétaires réellement enregistrées. Or, ce principe n’est pas respecté lorsqu’on suit la méthode dite des « loyers imputés », qui se fonde sur l’estimation d’un loyer fictif qui serait tiré du logement. Le terme d’acquisitions « nettes » signifie en outre que seules les transactions entre les ménages et un autre secteur peuvent être prises en considération. Les transactions entre ménages (qui sont fréquentes sur le marché secondaire[1]) sont donc exclues[2].
Depuis 2016, Eurostat publie un indice des prix des logements occupés par leur propriétaire (Owner-Occupied House Price Index – OOHPI), qui est calculé selon l’approche des acquisitions nettes. Les données remontent à 2005 pour certains pays (et sont disponibles pour tous les pays depuis 2010). Il n’existe à ce stade aucune série relative à l’Owner-Occupied House Price Index pour la Grèce. Cet indice comprend plusieurs composantes, dont la principale concerne le coût d’achat des logements neufs (généralement clé sur porte) et celui des logements construits par les propriétaires eux-mêmes (lorsqu’ils coordonnent entièrement leur projet). L’indice tient aussi compte des assurances, du coût des grandes rénovations et de l’entretien, ainsi que d’« autres services liés à l’acquisition », comme les droits d’enregistrement et les honoraires des courtiers et des notaires.
[1] En théorie, les transactions entre ménages doivent bien être prises en compte lorsque, par exemple, elles concernent l’achat d’un bien pour occupation propre à un vendeur qui l’avait précédemment mis en location. Dans le cadre de cette transaction, le vendeur ne relève en effet pas du secteur des « ménages », mais de celui des « entreprises ». Cependant, de nombreux pays, y compris la Belgique, ne disposent d’aucune donnée à ce sujet.
[2] En ce qui concerne les transactions sur le marché secondaire, les prix des logements ne sont pas pris en considération dans l’Owner-Occupied House Price Index, car l’habitation est transférée d’un ménage à un autre. Les droits d’enregistrement et les honoraires des courtiers et des notaires qui sont payés sur ces transactions sont en revanche inclus, car ils constituent des transferts entre un ménage et l’administration publique/des entreprises.
En ce qui concerne l’Owner-Occupied House Price Index, une préoccupation majeure tient au fait qu’il n’est pas expurgé de la composante investissement, qui ne doit en principe pas figurer dans l’IPCH. En effet, lors de l’achat de son logement, l’acquéreur prend non seulement en considération la fonction de consommation que remplit l’occupation du bien, mais aussi l’éventuelle plus-value en cas de revente à une date ultérieure. La BCE encourage les statisticiens à extraire cette composante investissement de l’indice. L’une des possibilités pour y parvenir serait de considérer le terrain comme étant le principal élément d’investissement, dans la mesure où il n’est pas sujet à l’usure (contrairement au bâtiment). Ce point de vue ne fait toutefois pas l’unanimité, puisqu’une étude économique (Knoll et al, 2017) portant sur la période 1950-2012 a démontré que c’était précisément la valeur des terrains qui avait augmenté. D’aucuns soutiennent donc que le prix du terrain a malgré tout son importance si on souhaite rendre la mesure de l’inflation plus représentative. Il n’en demeure pas moins que la politique monétaire de la BCE est axée sur l’évolution des prix à la consommation. Dès lors, les principes de l’IPCH doivent être respectés en tout temps, et les investissements n’y ont pas leur place. Ils relèvent davantage du champ d’application de la politique macroprudentielle.
Dans certains pays (dont la Belgique), le terrain est déjà extrait de l’indice des prix de la composante « logements construits par les propriétaires eux-mêmes » ; néanmoins, les statistiques actuelles ne permettent toujours pas d’isoler entièrement la part que représente le « terrain » du prix total de la transaction pour l’indice des prix de la composante « achat de nouveaux logements ».
Même s’il existe déjà un indice des prix des logements occupés par leur propriétaire pour la quasi-totalité des pays européens, il faut encore poursuivre l’harmonisation de cet indice entre les pays. La pondération que l’OOHPI recevrait dans l’IPCH doit, elle aussi, encore être déterminée. Elle est actuellement estimée à 10 % pour la Belgique et à 9 % pour la zone euro (ECB, 2022). Une difficulté importante réside toutefois dans le fait que l’OOHPI est un indice trimestriel, publié avec un décalage d’un trimestre, tandis que la BCE doit réagir plus rapidement dans le cadre de sa politique monétaire, en se fondant sur un IPCH mensuel disponible rapidement (le mois suivant).
La BCE estime que les statisticiens parviendront à définir les pondérations et à établir un premier OOHPI pour la Grèce d’ici 2023. Ainsi, une première statistique expérimentale pourrait être publiée (sur une base trimestrielle), dans laquelle l’OOHPI serait intégré dans l’IPCH. Celle-ci est appelée IPCH-H dans le reste du texte. Cet indice est expérimental dans le sens où de fréquentes révisions seraient encore possibles. Dans le même temps, des travaux sont en cours pour affiner l’indice et le cadre réglementaire de l’IPCH. Un IPCH-H entièrement fiable devrait pouvoir être publié (sur une base trimestrielle) d’ici 2026. Reste à savoir si le dernier problème, c’est‑à‑dire celui de la fréquence et du décalage de la publication, pourra être résolu avec les données de base actuelles.
L’incidence de l’intégration des coûts des logements occupés par leur propriétaire au cours de la période récente n’est pas négligeable. En 2020, l’inflation de la Belgique se serait par exemple établie à 0,7 % en tenant compte de ceux-ci, au lieu du chiffre officiel de 0,4 %, soit une incidence de 0,3 point de pourcentage. L’effet en 2021 serait de 0,4 point de pourcentage sur la base des trois premiers trimestres. Durant la crise du COVID-19, les prix des logements – qui progressaient déjà – ont été plus encore influencés à la hausse par une série de facteurs. La demande de logements a augmenté, notamment sous l’effet de conditions de financement favorables et d’un accroissement de l’épargne. Des contraintes d’approvisionnement en matériaux de construction et de pénuries de main-d’œuvre (absence pour maladie) sont également apparues, tirant les prix de la construction vers le haut.
L’incidence relativement limitée de l’intégration des coûts des logements occupés par leur propriétaire considérée sur une longue période est la conséquence d’une série de facteurs plutôt techniques. Elle tient ainsi, d’une part, à la manière dont est établi l’indice des prix des logements occupés par leur propriétaire, et d’autre part, à la pondération qui lui sera attribuée dans l’IPCH. Premièrement, l’OOHPI augmente plus rapidement que l’IPCH mais cette progression est limitée. Cela s’explique notamment par le fait que, pour une sous-composante importante de l’OOHPI, les « logements construits par les propriétaires eux-mêmes », le terrain est déjà extrait des chiffres dans certains pays (dont la Belgique). De plus, comme pour l’IPCH, une correction est apportée à l’OOHPI pour tenir compte d’améliorations de la qualité. Dans le cas des logements, principalement ceux qui sont neufs, cette qualité a été très nettement rehaussée, notamment sous l’effet de la réglementation. Le durcissement considérable des normes d’isolation, par exemple, est considéré comme une amélioration qualitative, même si ces frais sont à la charge de l’acheteur. Or, cela ne peut pas être considéré comme un renchérissement dans un indice des prix. C’est pourquoi l’augmentation de l’OOHPI est probablement moindre que l’alourdissement des coûts du logement ressenti par les citoyens. Deuxièmement, la pondération des coûts des logements occupés par leur propriétaire dans l’IPCH serait assez limitée, à environ 10 %. C’est une conséquence du recours à l’approche des acquisitions dites « nettes », dans laquelle les transactions sur le marché secondaire ne sont pas prises en compte. En outre, la part que représente le terrain a bien été extraite dans les pondérations, et ce pour l’ensemble des sous-composantes.
Pour la zone euro, l’incidence serait encore un peu plus faible que pour la Belgique, mais elle s’est également accrue récemment. En 2020, l’inflation aurait été supérieure de 0,2 point de pourcentage en tenant compte des coûts des logements occupés par leur propriétaire. En 2021, sur la base des trois premiers trimestres, l’écart serait de 0,3 point de pourcentage.
Vous souhaitez en savoir davantage sur l’intégration des coûts des logements dans la mesure de l’inflation ? L’auteur de cet article y a également consacré un article de blog, dans lequel elle explique clairement pourquoi cette décision ne fait pas l’unanimité et anime les débats depuis des années.
Source : BNB