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Le rôle du réviseur dans la taxation des plus-values sur titres

Le gouvernement fédéral belge a adopté une nouvelle taxation des plus-values mobilières qui entrera en vigueur le 1er janvier 2026. Cette mesure, issue de la loi-programme devrait être approuvée en juillet 2025, instaure un dispositif de solidarité fiscale visant à mettre fin à l’exonération généralisée des plus-values réalisées par les particuliers et les entités.

La réforme constitue une rupture majeure avec le régime actuel. Elle impose aux praticiens de mesurer dès à présent les impacts concrets sur les opérations de cession, les transmissions patrimoniales ou les restructurations.

Pour éviter toute imposition rétroactive sur les plus-values latentes, deux options sont offertes pour les titres non cotés détenus au 31 décembre 2025 :

  • Valorisation forfaitaire basée sur la formule : Fonds Propres + EBITDA multiplié par 4
  • Une valorisation alternative par un expert indépendant, à condition qu’elle soit réalisée avant le 31 décembre 2026

Un enjeu technique majeur réside dans la détermination de la valeur d’acquisition des titres non cotés détenus avant l’entrée en vigueur de la réforme.

Pour les petites entreprises, des formules simplifiées resteront souvent suffisantes. Toutefois, il faut être conscient que pour les start-ups, pour les sociétés à forte croissance ou pour certains secteurs spécifiques la formule standard (fonds propres + l’EBITDA multiplié par 4) n’est probablement pas adéquate. Dans ces hypothèses, une évaluation sur mesure réalisée par un expert indépendant permettra de refléter plus fidèlement la réalité économique de la société et ainsi d’éviter par la suite une fiscalité excessive.[1]

Cet article est écrit et diffusé dans le cadre du Tax TV Show du mois de juillet, disponible en live et en replay sur oFFFcourse.

L’indépendance de l’expert : un point névralgique du dispositif

Les réviseurs d’entreprises et les professionnels du chiffre disposent, en effet, d’une expertise largement reconnue en matière d’évaluation d’entreprises, qu’il s’agisse de missions de due diligence, d’apports en nature, d’évaluations à l’occasion de restructurations ou de transmissions d’entreprises.

Un expert indépendant est :

  • Quelqu’un qui connait son domaine, càd qui maîtrise la littérature scientifique sur le sujet
  • Quelqu’un qui ne modifie pas son message en fonction des enjeux et des interlocuteurs
  • Quelqu’un qui n’a pas de conflit d’intérêt et au pire des cas l’annonce ouvertement s’il en existe un

Dans ce contexte, l’option de la valorisation indépendante devient une opportunité stratégique pour :

  • Obtenir une valorisation fidèle à la réalité économique de l’entreprise
  • Fixer une base taxable adaptée et sécurisée vis-à-vis de l’administration
  • nticiper fiscalement une cession ou une restructuration futureA

Il est indispensable de conseiller dès à présent les dirigeants et actionnaires sur la pertinence d’une valorisation alternative. La coordination avec un professionnel du chiffre certifié sera essentielle pour produire des rapports solides, opposables et techniquement défendables.

Le recours à un expert indépendant : une voie stratégique

Au-delà des formules mécaniques, l’expert devra intégrer les paramètres qualitatifs, élaborer des scénarios plausibles et justifier ses hypothèses en toute transparence.

L’éthique et l’indépendance de l’expert sont également fondamentales, conformément à l’article 3 :62 du Code des sociétés et des associations, la loi du 7 décembre 2016 sur la profession de réviseur d’entreprises et au Code de déontologie de l’ITAA.

L'ICCI a apporté dans son avis du 10/03/2020 la question suivante : « Un réviseur d’entreprises peut-il réaliser une valorisation pour une société holding ou pour les actionnaires d’une société dans laquelle il exerce la mission de commissaire, en l’absence de comité d’audit ? »

La position de l’ICCI est la suivante : lorsqu’un réviseur d’entreprises valorise une société détenue par une holding alors qu’il exerce également la mission de commissaire dans cette société, un risque d’auto-révision se présente. Cette situation est susceptible de porter atteinte aux principes d’indépendance du commissaire. En effet, la valorisation qu’il aurait réalisée pourrait influencer son jugement professionnel lorsqu’il devra ultérieurement intervenir en tant que commissaire sur les comptes de cette même société.

Par ailleurs, une telle mission comporte un risque de violation du secret professionnel. La valorisation demandée par la holding ou ses actionnaires pourrait nécessiter l’utilisation d’informations confidentielles obtenues dans le cadre de la mission de commissaire. Or, dans ce contexte, le réviseur n’étant pas commissaire de la holding, il ne dispose d’aucune dérogation au secret professionnel à son égard.

En résumé, cumuler ces missions soulève des questions d’éthique professionnelle, tant du point de vue de l’indépendance que du respect du secret professionnel.

L’importance de l’indépendance est rappelée dans un communiqué de presse de l’IRE publié le 17 juillet 2025 : « Le réviseur d’entreprises désigné ne pourra pas être le commissaire ou le conseil habituel de la société. Cette indépendance est essentielle pour protéger l’intérêt général et éviter tout conflit d’intérêts. »

La simplicité d’une valorisation forfaitaire ne nuit-elle pas à sa pertinence ?

Le recours à une formule standardisée peut sembler attractif pour des raisons de simplicité administrative. Pourtant, cette approche soulève plusieurs critiques :

1) Risque d’arbitraire

Pour les sociétés en difficulté ou en phase d’investissement massif, un EBITDA faible voire négatif conduit à une sous-valorisation. À l’inverse, pour les entreprises disposant d’avantages concurrentiels spécifiques (brevets, technologies propriétaires), une approche purement mécanique peut conduire à une sous-estimation de leur valeur.

2) Méthode insensible à la singularité des entreprises

La formule ne tient pas compte des spécificités comme l’endettement, les actifs immatériels, les perspectives de croissance ou les risques propres.

3) Distorsions pour certains secteurs

Pour les start-ups, les entreprises en forte croissance ou les sociétés actives dans la tech et les biotech, les flux futurs sont souvent volatils et leur modèle économique encore en construction. Une valorisation basée uniquement sur l’EBITDA historique est donc particulièrement inadaptée.

4) Limites des multiples sectoriels

Qui détermine le multiple pertinent ? Sur quelle base de transactions ? Quelle méthodologie ? Ces éléments sont rarement transparents, ce qui fragilise leur objectivité.

Quelles normes applicables ?

Bien qu’aucune norme belge spécifique n’encadre actuellement cette mission, plusieurs référentiels s’imposent :

Les réviseurs d’entreprises et les experts comptables sont soumis à des normes de qualité (ISQM). Le cabinet doit concevoir, de mettre en œuvre en assurer un système de qualité des missions y compris des missions connexes telles que les évaluations.

Il ne s’agit pas d’une mission d’audit ou de contrôle légal mais d’une mission d’évaluation indépendante, réalisée dans un cadre contractuel spécifique avec un enjeu fiscal.

Les normes IVS (International Valuation Standards) publiées par l’IVSC sont pertinentes dans un contexte où la Belgique envisage une adhésion progressive à ces standards internationaux. Ces normes recommandent une approche structurée, combinant données financières, méthodologies comparées et analyse des risques spécifiques.

Conclusion : anticipation et stratégie patrimoniale

Cette réforme transforme profondément le paysage fiscal belge.

Si la méthode forfaitaire offre simplicité et sécurité juridique, elle ne garantit pas à elle seule une évaluation juste et représentative pour tous les profils d’entreprises.

Le recours à un professionnel certifié pour une valorisation indépendante ne doit pas être perçu comme un coût supplémentaire, mais comme un investissement stratégique permettant :

  • D’optimiser la gestion patrimoniale,
  • De sécuriser la fiscalité future,
  • Et d’éviter les risques de litiges avec l’administration.

Il s’agit d’une opportunité pour transformer une contrainte fiscale en levier de maîtrise patrimoniale.

[1] Communication IRE-IBE, Eric Van HOOF du 17/07/2025

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