Intelligence artificielle : qui sera la victime expiatoire?

À chaque résonance de révolution industrielle, et elles furent nombreuses, se pose la question du partage des gains de productivité. Comment, en effet, partager la richesse créée par l’invention et sa diffusion ? Le capital étant plus mobile que le travail, et le travail devenant moins utile par la mécanisation associée à une révolution industrielle, ce partage s’est effectué au bénéfice du capital, jusqu’à ce que les revendications sociales rééquilibrent les choses.

C’est entre autres ce qui avait conduit Karl Marx, avec Friedrich Engels (1820-1895), à conclure leur Manifeste du parti communiste de 1848 par le fameux : "Proletarier aller Länder, vereinigt euch !" Karl Marx voyait dans l’affrontement entre les capitalistes et les prolétaires autour du partage de la valeur ajoutée entre capital et travail, le fondement d’une lutte des classes qu’il voyait gagnée par les actionnaires.

Sans représentation collective des travailleurs, c’est le capital qui s’accapare les gains de productivité. L’exemple américain est frappant : les salaires ont stagné, en termes désinflationnés, depuis 30 ans alors que la croissance des gains de productivité associée à Internet et à la financiarisation a été stratosphérique.

La victime des révolutions industrielles est donc le travailleur. Les canuts et les luddites en fournissent de bonnes illustrations, mais jusqu’à il y a un siècle, des enfants travaillaient dans les étroites chicanes des mines de charbon anglaises. Mais parfois, les choses tournent différement. Les capitalistes sont combattus (de manière éphémère) par une doctrine politique, tandis que le spéculateur est vilipendé. D’ailleurs, étrangement, ce capitaliste fut, depuis des siècles et alors que le commerce de l’argent lui était abandonné, le juif que les forges du mal nazies et pétainistes avaient associé aux déracinements sociaux et à la déterritorialisation associés à la mutation du capital. C’est le fameux : “la terre, elle, ne ment pas” de Pétain.

Mais aujourd’hui, qui sera la victime expiatoire de l’intelligence artificielle dont les maîtres américains sont vénérés jusqu’à se glorifier dans le tourisme spatial ? Je ne sais pas. Les vieux, peut-être. Les laissés pour compte de la mondialisation, certainement. Ou peut-être tout le monde, au motif que les machines rendent les capacités cognitives des humains superflues et que les exosquelettes magnifient les corps. Comme cette révolution industrielle est mondiale et d’application instantanée dans un monde accéléré, nul doute que des forces s’y opposeront. Celles de ceux qui veulent ralentir l’économie pour retrouver de nouveaux ancrages. Les gilets jaunes ne sont peut-être pas loin. Barres et ses déracinés non plus. Et Maurras n’est jamais loin.

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