La Cour d’appel de Gand accorde le taux réduit en droits de succession pour l’exploitation de biens immobiliers – lacune ou décision correcte

​La Cour d’appel de Gand confirme dans son arrêt du 21 juin 2022 que les activités immobilières qui vont au-delà de la simple gestion passive d’un bien immobilier sur une base permanente peuvent être qualifiées d’activité économique réelle. Selon la Cour, l’absence de personnel et la location de biens immobiliers ne font pas obstacle à l’application du taux réduit en droits de succession.

Quand une société immobilière remplit-elle la condition d’activité économique réelle ?

Le régime de faveur flamand relatif à la transmission d’entreprises familiales accorde une exonération de l’impôt de donation et un taux forfaitaire réduit de 3 % (ou 7 %) pour l’impôt de succession sur les actions de sociétés ayant une activité économique qualifiante. L’une des principales conditions est l’obligation d’exercer une activité économique.

Dans son arrêt, la Cour d’appel de Gand se prononce sur le test de l’activité immobilière par rapport à cette condition d’activité économique. Plus précisément, la question est de savoir quels sont les critères auxquels une société immobilière doit répondre pour qu’il y ait une réelle activité économique conformément au décret.

La condition d’activité telle que stipulée dans le texte du décret n’exige pas la présence d’un nombre minimum de personnel. Toutefois, l’existence d’une « activité économique réelle » doit être vérifiée de manière effective sur la base d’un certain nombre de critères comptables. Si une entreprise a plus de 50 % de biens immobiliers à l’actif de son bilan (consolidé) et qu’elle consacre 1,5 % du total de ses actifs ou moins aux coûts salariaux, elle est légalement présumée ne pas avoir d’« activité économique réelle ».

Toutefois, il est possible pour le contribuable de fournir des preuves contraires. Cette preuve contraire consiste à démontrer que, malgré le non-respect des seuils comptables susmentionnés, l’activité immobilière dépasse la simple gestion passive du patrimoine et qu’il existe donc une réelle activité économique. Dans ce cas, la condition d’activité sera remplie.

En prévoyant la possibilité de cette réfutation, le législateur a voulu exclure uniquement les sociétés patrimoniales purement passives, et non les sociétés immobilières ayant une réelle activité économique.

L’administration fiscale flamande (de Vlaamse belastingdienst « VLABEL ») et l’activité immobilière

VLABEL précise sa position sur les preuves à fournir dans sa Circulaire 2015/2 : « Le contribuable doit démontrer que tous les biens immobiliers présents dans l’entreprise sont affectés à l’activité économique. Selon VLABEL, la location de biens immobiliers (privés ou commerciaux) ne peut en principe pas bénéficier des preuves contraires susmentionnées (à l’exception de la location de locaux professionnels qui sont exclusivement utilisés pour l’activité opérationnelle de filiales ou de sociétés affiliées). » (Traduction libre)

VLABEL, dans sa décision anticipée n° 19008 du 29 avril 2019, a accepté la preuve contraire dans le cas d’une société qui exploitait activement des biens immobiliers et louait également des biens dans ce contexte. Compte tenu des techniques commerciales utilisées (telles que la publicité, une main-d’œuvre importante, un financement externe comme levier et le recours à des prestataires de services externes spécialisés), de la portée des activités, de l’organisation et de la croissance durable du groupe, la location à des tiers peut néanmoins être considérée comme une activité économique dans ces circonstances, selon VLABEL. VLABEL a justifié cela en se référant au nouveau droit des sociétés et au Code de droit économique : « on ne peut nier que les activités immobilières (y compris la location) peuvent dans certains cas être considérées comme une activité économique (notion fonctionnelle d’entreprise) ». (Traduction libre)

Dans la pratique, VLABEL semble imposer des exigences très élevées à ces « sociétés immobilières professionnelles » et se montre dans certains cas excessivement stricte dans l’évaluation des preuves contraires.

La Cour d’appel de Gand et la preuve contraire concernant l’exploitation des immeubles

Dans l’arrêt du 21 juin 2022 de la Cour d’appel de Gand, cette discussion est revenue sur le devant de la scène. Les héritiers souhaitaient bénéficier du régime de faveur pour la société familiale du défunt dont ils avaient hérité des actions. Il s’agissait d’une société holding passive qui détenait des participations dans une filiale d’exploitation de biens immobiliers. Sur la base des critères comptables, la société a été exclue du régime fiscal favorable et donc considérée comme n’ayant pas d’« activité économique réelle ». Selon VLABEL, la preuve contraire n’a pas pu être fournie, précisément parce qu’elle concernait une société immobilière. Le contribuable a contesté cette décision devant le tribunal. Le Tribunal de première instance a donné tort au contribuable.

En revanche, la Cour d’appel de Gand a décidé que la société pouvait effectivement bénéficier du taux réduit.

Il convient de noter que la Cour s’était déjà prononcée sur la question de savoir si les preuves contraires avaient été fournies ou non par un contribuable. Toutefois, dans son précédent arrêt du 1er juin 2021, les faits étaient fondamentalement différents en ce sens qu’il s’agissait d’une société ayant une activité mixte : d’une part, l’exploitation d’une boucherie, et d’autre part, la location d’un certain nombre de biens immobiliers. Tant le contribuable que VLABEL ont convenu que ces biens n’étaient pas destinés à l’activité économique de la société (à savoir l’exploitation de la boucherie) et avaient un caractère « privé » (et étaient en partie utilisés par la famille du défunt). La Cour a ensuite précisé que le contribuable pouvait aussi apporter la preuve contraire sur la base de l’activité de boucherie. L’exercice effectif de cette activité de boucherie était considéré comme la preuve de l’activité économique réelle, et était donc en principe pleinement éligible au taux réduit des droits de succession, même si la société possédait des biens immobiliers qui n’étaient pas destinés à l’activité économique de la société. Toutefois, la Cour a rouvert le débat de l’éventuel caractère discriminatoire d’une telle règle du « tout ou rien ». Dans son arrêt du 29 mars 2022, la Cour a ainsi posé un certain nombre de questions préjudicielles à la Cour constitutionnelle. À ce jour, aucun arrêt n’a été rendu à ce sujet.

À l’inverse, dans l’affaire qui fait l’objet de l’arrêt du 21 juin 2022, la preuve contraire porte sur l’activité immobilière elle-même. Selon la Cour, il n’y a aucune raison d’exclure une activité immobilière de la notion d’« activité économique réelle ». VLABEL se réfère au droit commercial et économique et interprète littéralement les termes du décret (« activité industrielle, commerciale, artisanale ou agricole, ou profession libérale »). Selon la Cour d’appel de Gand, VLABEL ajoute donc une condition qui n’est pas mentionnée dans le décret.

La Cour précise que la notion d’« activité économique réelle » doit être comprise et interprétée dans son sens ordinaire. La Cour poursuit en indiquant : « si les activités immobilières constituent une activité économique réelle pour la société, en ce sens qu’elles génèrent une valeur ajoutée pour la société de manière durable et dépassent la gestion purement passive de biens immobiliers, ces activités immobilières constituent une activité économique réelle, tel que l’exige le décret ». (Traduction libre)

Ensuite, la Cour évalue toute une série d’arguments factuels en vue de déterminer si la société exerce une activité économique réelle, à savoir:

  • L’étendue de l’activité immobilière (achats et ventes, rénovations, locations, etc.) ;
  • L’organisation de l’activité immobilière (examen des projets, achat et vente à long terme de biens immobiliers, réinvestissement des bénéfices, etc.);
  • La régularité de l’examen des projets impliquant des intervenants extérieurs (par exemple, architectes, bureaux d’études, agences immobilières, syndicats, etc.);
  • Le savoir-faire particulier d’un dirigeant personne physique de l’entreprise ;
  • Le financement (financement externe) qui accroît le risque de l’entreprise.

Selon la Cour, le fait que la société immobilière en question n’employait pas son propre personnel ne l’empêche pas d’exercer une activité économique (réelle). En effet, le décret n’impose pas une condition d’emploi dans le cadre de la condition d’activité. Pour l’application du régime favorable, il est important que l’activité immobilière dépasse la gestion passive du patrimoine. Par ailleurs, il est également apparu que la société ne possédait pas de patrimoine privé, mais uniquement des biens immobiliers destinés à l’activité immobilière.

Conclusion : La Cour conclut qu’il ressort de l’ensemble des documents présentés que les nombreuses transactions forment un tout et constituent une activité économique continue et habituelle s’étendant sur une période au cours de laquelle le décès est survenu. La société s’expose ainsi à des risques financiers et à un environnement concurrentiel similaire à celui de toute autre entreprise ayant une activité économique.

Application correcte ou lacune ?

L’arrêt du 21 juin 2022 juge ainsi que les activités immobilières, qui vont au-delà de la gestion passive du patrimoine, relèvent bien du régime favorable applicable à la transmission des sociétés familiales.

La Cour énonce un principe important, à savoir qu’une activité économique doit être comprise au sens ordinaire du terme, et non pas de manière strictement littérale comme une activité industrielle, commerciale ou artisanale. Ainsi, une activité immobilière qui va au-delà de la gestion passive d’actifs (y compris la location de biens) peut, en principe, être considérée comme une activité économique réelle.

À notre avis, cette position est correcte et constitue une application de l’intention du législateur. Après tout, le décret établit un certain nombre de critères comptables (basés sur la proportion de biens immobiliers et les frais de personnel). Si ces critères sont remplis, l’entreprise est en principe exclue du régime de faveur. Mais le contribuable peut toujours apporter la preuve contraire de l’existence d’une activité économique.

Ce mécanisme que le législateur a intégré laisse l’évaluation finale, généralement factuelle, de ces preuves contraires à VLABEL et, en dernier ressort, au tribunal. C’est exactement ce que la Cour a fait ici. Sur la base d’une évaluation des faits présentés, la Cour conclut qu’il y a bien une activité économique et que les preuves contraires ont été fournies.

Il ne sera pas toujours facile de déterminer en pratique si une activité immobilière dépasse ou non la gestion passive d’actifs. Les discussions factuelles se poursuivront à l’avenir, mais la Cour d’appel fournit un certain nombre de critères possibles qui peuvent être utilisés pour procéder à l’évaluation. Espérons que VLABEL s’inspirera de cette jurisprudence et ne s’en tiendra plus à une application stricte du texte de sa circulaire, qui exclut en principe du régime favorable toutes les activités de location (à l’exception des locations intra-groupe). Il ne s’agit donc pas ici d’une lacune du texte de loi.

ALAIN VAN GEELGRIET VANDEN ABEELEROMINA ABIUSOGILLES VAN EYKENMARYLL CALLARI

Source : Tiberghien Avocats, 29 juin 2022

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