La déduction des charges professsionnelles relatives à un immeuble acquis par une société : le point sur la question

De nombreuses décisions de jurisprudence, notamment de la Cour de cassation, ont créé de véritables difficultés en matière de prévision lorsqu’une société acquiert un immeuble qu’elle met à la disposition de son dirigeant. D’un rejet fondé sur la théorie de l’objet social à une acceptation basée sur la théorie de la rémunération, un équilibre semble se dessiner même si les contours demeurent assez flous.


Il est toutefois difficile de pouvoir poser avec certitude les règles en la matière, surtout que les juridictions du Nord et du Sud tirent des enseignements assez différents de ces arrêts.


LE PROBLÈME - Bien que la Cour de cassation considère qu’il n’est plus nécessaire d’avoir égard à l’objet social de la société pour apprécier le respect des conditions de l’article 49 CIR92 sur la déduction des frais professionnels et que le fait de rémunérer son dirigeant est en soi une dépense, encore faut-il pouvoir, selon la Cour, démontrer que cet avantage de toute nature (ci-après ATN) rémunère des prestations réellement effectuées (Cass., 14 octobre 2016). Or, selon nous, la règle est toujours la même : les frais dont la déduction est postulée doivent avoir été supportés en vue d’acquérir des revenus ou de les conserver. Pourquoi la règle serait-elle différente ou plus sévèrement appréciée selon que l’on rémunère son dirigeant par un montant en espèces et/ou par un ATN ?

La jurisprudence de fond est d’ailleurs très élastique quant à l’application de ce principe.


AU NORD – Les Cours d’appel de Gand - le 8 janvier 2019 – et d’Anvers - le 26 mars 2019 – ont fait preuve d’une grande sévérité dans leur appréciation du caractère effectif des prestations alors même qu’un avantage en nature était imposé dans le chef du dirigeant, à l’impôt des personnes physiques. Peu importe que l’ATN soit bien une rémunération et que celle-ci soit déductible dans le chef de la société (conformément à l’article 195 du CIR 92), il faut encore passer le test de l’article 49 du CIR 92 et prouver que la dépense a été supportée en vue d’acquérir ou de conserver des revenus professionnels. En l’espèce, il faut donc prouver le lien entre la dépense relative à l’immeuble et les prestations effectives fournies par le dirigeant. Dans ces deux affaires, les Cours d’appel ont considéré que les investissements avaient été effectués dans l’intérêt privé du dirigeant. En outre, selon elles, arguer de la taxation de l’ATN dans le chef dudit dirigeant ne serait pas un argument en soi mais plutôt une distorsion du système fiscal en vue de servir un intérêt privé.


AU SUD - Au printemps et durant l’été, un vent du sud est néanmoins venu réchauffer le cœur de certains contribuables. La Cour d’appel de Mons a validé – le 29 mai 2019 - le caractère déductible, dans le chef d’une société, des frais déduits à titre de charge professionnelle et relatifs à un immeuble mis à disposition de ses dirigeants (tels les amortissements, les intérêts, les factures d’eau et d’électricité et le précompte immobilier). Certes, le contrat de gestion conclu entre ceux-ci et la société prévoyait expressément la mise à disposition de l’immeuble en sus d’une rémunération fixe. La Cour a toutefois tenu à rappeler qu’il n’appartient pas à l’administration d’apprécier la pertinence et le montant de la rémunération attribuée au dirigeant, si elle n’est pas excessive (ce dernier point n’était pas soutenu par l’Etat belge en l’espèce).


Le 13 août 2019, dans une affaire relative à la déduction des frais de chauffage et d’électricité d’un immeuble, à la fois pour la partie privée et professionnelle, la même Cour a rappelé le principe du libre choix de la forme de rémunération attribuée au dirigeant. Ce libre choix doit être admis même s’il permet de bénéficier d’un traitement fiscal avantageux, comme un utile rappel de la validité du libre choix de la voie la moins imposée. Enfin, elle confirme que, dans la mesure où l’avantage octroyé au dirigeant a permis d’augmenter sa motivation et par conséquent, pour la société, d’acquérir ou de conserver des revenus, ces frais répondent aux conditions de l’article 49 CIR92 et sont donc déductibles (sans que la Cour se penche sur les mentions d’un éventuel contrat de gestion).


LA COUR DE CASSATION PERSISTE ET SIGNE - Dans un arrêt du 21 juin 2019, la Cour de cassation a rappelé sa jurisprudence selon laquelle l’objet social ne doit plus nécessairement être pris en compte pour juger de la déductibilité des frais professionnels. Nonobstant, dans cette décision, elle a refusé la déduction des frais d’acquisition, par une société, d’un droit d’usufruit sur un immeuble (un cabinet dentaire et trois appartements mis en location) détenu par le gérant. La Cour a motivé sa décision en invoquant que l’opération n’avait pas eu pour but d’engendrer des profits dans le chef de la société (à cause d’un emprunt hypothécaire trop élevé par rapport aux rendements locatifs, notamment). L’opération visait en réalité à « servir les intérêts de son gérant ». Les conditions de l’article 49 CIR92 n’étaient donc pas remplies, selon la Cour.


ESPOIR ? La Cour d’appel de Gand, qui a rendu sa décision le 3 décembre 2019, a - se fondant pourtant sur cette jurisprudence - admis que les frais liés à un appartement à la côte belge, détenu par une société et mis à disposition de son dirigeant, étaient déductibles en l’espèce.


Dans cet arrêt, la Cour a apprécié l’applicabilité de l’article 53, 9° CIR92, qui empêche la déduction des frais liés aux résidences d’agrément (un appartement à la côte), sauf à ce qu’ils soient nécessités par l’objet social ou compris dans la rémunération imposable de celui qui en bénéficie. Elle rappelle toutefois que la non-applicabilité de cet article n’empêche pas d’avoir égard aux conditions générales de l’article 49 CIR92 pour évaluer la déductibilité des frais.


La Cour procède à cette analyse et rappelle à cette occasion la jurisprudence de la Cour de cassation évoquée ci-dessus. Contrairement à ce que l’on aurait pu attendre de sa part, elle constate ici que les frais relatifs à un appartement à la côte, s’il est détenu en pleine propriété par une société et repris comme immobilisation corporelle à l’actif du bilan, peuvent être déductibles à l’impôt des sociétés. La Cour précise également que la seule circonstance qu’un investissement est réalisé en vue d’obtenir un gain, même à long terme - par exemple lors de la revente du bien -, répond aux conditions de l’article 49 CIR92.

En l’espèce, la Cour a effectué une véritable analyse du retour sur investissement pour la société, constatant que la valeur de l’immeuble aura certainement doublé lors de la vente de ce dernier, les rendements locatifs faibles (avancés par l’administration) n’étant dès lors pas pertinents.


Elle évoque encore la jurisprudence de la Cour de cassation ci-dessus, a contrario, pour préciser que c’est bien la société qui bénéficiera des retombées économiques puisque, in casu, elle est pleine propriétaire du bien.


L’ART SUBTIL DE PRÉDIRE LA MÉTÉO - Doit-on voir, dans ces arrêts, l’arrivée d’un vent plus doux que celui qui a soufflé sur les immeubles détenus en société durant l’hiver dernier ? Rien n’est moins sûr. Toutefois, ce qui peut être retenu : (i) il conviendra de se ménager la preuve de l’effectivité de la prestation du dirigeant (en se calquant en réalité sur ce qui est déjà devenu la règle en matière de management fees) et (ii) la société qui investit dans un immeuble doit y avoir un intérêt économique, ce qui sera plus souvent le cas lorsqu’elle acquiert le bien en pleine propriété (fut-ce par la plus-value à long terme) que lorsqu’elle n’en a que l’usufruit et qu’elle n’en tire aucun loyer (de par la mise à disposition).

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