La taxe Caïman a été insérée dans le Code des Impôts sur les revenus par une loi-programme du 10 août 2015.
C’est quoi ? Il s’agissait d’un régime de lutte contre l’évasion fiscale visant à rendre inutile, du point de vue de l’impôt sur les revenus, la détention d’avoirs par l’intermédiaire de structures « offshores », peu ou pas taxées, - telles que les trusts, les fondations, les sociétés situées dans des paradis fiscaux - qualifiées alors de « constructions juridiques ».
Comment ? En rendant ces entités fiscalement transparentes. C’est donc leur « fondateur(s) » - au sens défini par la loi – qui supporte(nt) l’impôt sur les revenus perçus par ces constructions juridiques comme s’il(s) les avai(en)t perçus directement.
Cette taxation en transparence s’accompagne d’une taxation des distributions qui sont, depuis l’avènement de la taxe Caïman 2.0 portée par la loi-programme du 25 décembre 2017, invariablement qualifiées de dividendes et taxables comme tels.
Ainsi, si la construction juridique est supposée « inexistante » au moment de percevoir ses revenus, elle retrouve une réalité fiscale lorsqu’elle procède à des distributions.
Afin toutefois d’éviter une double imposition des mêmes revenus (en transparence d’abord et ensuite lorsqu’ils sont distribués), la loi prévoyait – l’utilisation de l’imparfait est de rigueur – que les revenus ayant déjà subi leur régime d’imposition en transparence, n’étaient pas qualifiables de dividendes lors de leur distribution.
Depuis son adoption, la taxe Caïman a été modifiée à de nombreuses reprises, l’objectif étant toujours d’en élargir le champ d’application et d’en corriger certaines lacunes ponctuellement identifiées.
En a résulté un système excessivement complexe et difficile à appliquer en pratique. Son efficacité et sa capacité à répondre aux objectifs poursuivis posaient également sérieusement question.
Au vu de ce contexte et de ces difficultés pratiques, il était clair qu’une réforme était nécessaire.
Il n’est toutefois pas ici question d’une réforme en profondeur basée sur une évaluation complète et, surtout, objective du régime qui aurait visé à en évaluer la pertinence, la cohérence et les failles éventuelles. À ce travail, essentiel mais certes plus complexe, le Gouvernement, par la voix du ministre des Finances, a préféré un travail de dactylographie visant à transcrire dans la législation les recommandations établies par la Cour des comptes dans son rapport publié le 5 avril 2023. Or, ce rapport n’était déjà qu’une compilation peu critique des désidératas – parfois fondés, parfois plus discutables – de l’administration fiscale. En effet, si ledit rapport relate avoir examiné « la doctrine » en la matière - ce qui n’est pas flagrant à la lecture du rapport -, la Cour des comptes n’a mené des entretiens qu’avec les services de l’administration (ISI, AGFisc et SDA, notamment). Aucun professeur ou praticien n’ayant été entendu, il n’était pas surprenant que ce rapport et les recommandations qu’il édicte fassent la part belle aux désirs de l’administration qui, et là est bien sa mission, ne s’attache qu’à faciliter l’établissement et la perception des impôts. On aurait toutefois espéré que le législateur, dans le cadre de son travail parlementaire, mène des examens complémentaires visant d’une part à, à tout le moins, prendre connaissance des observations des citoyens qu’il représente et d’autre part, à prendre un peu de hauteur afin de mieux cerner les conséquences plus globales des mesures que l’administration fiscale appelait de ses vœux.
Il n’en est rien. C’est donc une taxe Caïman 2.1. (soit la taxe Caïman 2.0. modifiée) que nous devrons désormais appliquer et non une taxe Caïman 3.0.
Le Conseil d’État s’en est désolé : « Dans l’exposé des motifs, les auteurs de l’avant-projet se réfèrent à ce rapport de la Cour des comptes. Il apparaît au Conseil d’État que les modifications en projet de la taxe Caïman sont de nature ponctuelle. En outre, il ne ressort pas d’emblée de l’exposé des motifs que la taxe Caïman aurait été évaluée dans son ensemble. Cette approche a une incidence sur la complexité, la cohérence et la logique de l’imposition dans le régime des impôts sur les revenus. Les modifications en projet sont de surcroît d’une nature très technique, si bien qu’il n’est pas aisé d’en cerner toutes les finesses, a fortiori dans un avis donné dans un délai de cinq jours ouvrables. L’examen de celles-ci au regard du principe d’égalité n’est dès lors pas évident ».
Conclusion : il reviendra, vraisemblablement, à la Cour constitutionnelle de trancher la compatibilité de ces nouvelles mesures avec les principes fondamentaux d’égalité et de non-discrimination, ainsi que leur conformité avec les normes supérieures (Convention préventive de la double imposition, Traités européens et notamment les principes de libre circulation des personnes et des capitaux, etc.).
Jusqu’à présent, la loi contenait uniquement les définitions générales des entités qualifiées de « constructions juridiques ». Elles sont au nombre de trois, en substance : les Trusts et fiducies (type a), les associations et sociétés dotées de la personnalité juridique qui ne subissent pas un impôt d’au-moins 15% sur une base imposable reconstituée « à la belge » (type b), les contrats d’assurance dans lesquels ont été logées des constructions juridiques de type a ou b (type c).
Pour les constructions juridiques de type b, la loi prévoyait également une exception, elle aussi générale, pour les entités situées dans l’Espace Economique Européen (ci-après EEE). Il revenait au Roi de déterminer, par sous-exception, parmi ces entités EEE lesquelles étaient néanmoins qualifiées de constructions juridiques.
Si le premier arrêté royal adopté le 18 décembre 2015 énonçait quelques cas (la Stiftung et l’Anstalt du Liechtenstein, la Fondation patrimoniale et la SPF du Luxembourg), le second du 21 novembre 2018 prévoyait quant à lui des définitions larges visant les entités hybrides (dotées de la personnalité juridique mais fiscalement transparentes), les entités dotées de la personnalité juridique mais non soumises à un impôt équivalent à au moins 1% de la base imposable « belge » et les OPC dits « privés ».
Ces définitions sont désormais coulées dans le texte légal.
Notons toutefois que cette transcription dans le texte légal n’est pas parfaite.
Ainsi, concernant les entités hybrides, le texte de l’AR contenait, en effet, deux exceptions :
Cette exception n’a pas été reprise dans le texte légal.
Le cas des SCI : C’est sur base de cette exception, notamment, que les SCI françaises étaient exclues de la définition de « construction juridique ».
Une SCI restera toutefois exclue dès lors que ses revenus sont soumis, dans le chef de ses associés, à un impôt sur les revenus et que cet impôt s’élève à au moins 1% de la part de cet associé sur le revenu imposable de la SCI déterminé conformément aux règles applicables à l’impôt belge sur les revenus correspondants.
Certains commentateurs en ont conclu que lorsque le(s) bien(s) détenu(s) en SCI n’est / ne sont pas donné(s) en location, celle-ci sera nécessairement qualifiée de construction juridique. Tel n’est pas notre avis : la base imposable d’une société en Belgique ne comprend en tout état de cause que les revenus effectivement perçus, que les biens soient ou non donnés en location n’est donc pas déterminant. Il est exact, en revanche, qu’il conviendrait chaque année de reconstituer la base imposable belge afin de vérifier que l’impôt payé en France est suffisant tenant compte des amortissements et des frais professionnels qui auraient été admis en Belgique.
En tout état de cause, il est évident, à nos yeux, que les conventions préventives continueront de primer la loi nationale et, en l’espèce, la CPDI actuelle (de même que la future, non encore entrée en vigueur) empêchera une taxation en transparence en Belgique des revenus immobiliers perçus par la SCI. En ce qui concerne les distributions, elles étaient, en tout état de cause, taxables en Belgique à titre de dividendes suivant la jurisprudence de la Cour de cassation.
Pour la fine bouche, on notera que dans les travaux préparatoires, l’exemple de la SCI est donné comme un exemple évident de construction juridique… d’une part, c’est inexact et d’autre part, pourquoi diable le législateur voudrait sanctionner le contribuable belge qui détient un immeuble en France au travers d’une SCI, outil conçu pour détenir des biens immobiliers français ? Détenir un immeuble en France relèverait-il de l’évasion fiscale ? La Cour de Justice de l’Union Européenne ne l’entendrait certainement pas de cette oreille.
Et la STAK ? La Stichting Administratie Kantoor des Pays-Bas est une construction juridique. Ceci avait déjà été souligné par la doctrine et a été confirmé par le ministre des Finances dans le cadre des travaux préparatoires.
Toutefois, ce dernier a également confirmé que ni la taxation en transparence, ni la taxation des distributions ne s’appliquait si :
Ceci confirme l’analyse de Tetra Law sur cette question (B. Paquot, « La certification de titres à l’aune du CSA et ses impacts fiscaux », R.I.P., 2021, n°8).
En ce qui concerne les États hors EEE, la loi contient désormais des présomptions réfragables suivant lesquelles sont des constructions juridiques :
Le texte de loi contient, également depuis l’origine, des exceptions générales. Ne sont pas des constructions juridiques : les sociétés cotées, les fonds de pension et certains OPC publics ou institutionnels.
A cet égard, il convient de saluer une modification bienvenue : le législateur a élargi la définition des OPC exclus de la notion de construction juridique. Il confirme ainsi ce qu’il exprimait déjà dans les travaux parlementaires de la loi-programme du 10 août 2015 : le but n’est pas de viser les « vrais » organismes de placement collectifs où qu’ils soient situés dans le monde. Ceci avait toutefois été mal traduit dans le texte légal qui, techniquement, ne permettait d’exclure que les fonds faisant appel public à l’épargne en Belgique ou s’adressant à des investisseurs qualifiés belges.
Le nouveau texte corrige cette erreur et prévoit désormais que tout OPC, où qu’il soit situé, est exclu dès lors qu’il respecte les conditions établies par les directives européennes OPCVM et OPCA.
Évidemment, cette exclusion ne vaut pas pour les OPC dits « dédiés ».
La troisième est-elle la bonne ?
Pour la troisième fois, le législateur serre la vis sur les OPC dédiés.
En effet, le législateur avait dès la première loi correctrice de la taxe Caïman (loi du 26 décembre 2015) tenté de viser les OPC dits « dédiés » c’est-à-dire détenu par une seule personne ou des personnes liées entre elles. Cette première tentative s’était soldée par un échec pour des raisons légistiques. Cette erreur avait été rectifiée par l’adoption de nouveaux Arrêtés Royaux (EEE et hors EEE, respectivement en 2018 et 2019).
Le constat était toutefois sans équivoque : il était trop facile de sortir du champ d’application de la taxe puisqu’il suffisait de céder une participation minimale à un tiers.
La notion d’OPC dédiés est, à présent, considérablement élargie. En effet, désormais, tout fonds ou compartiment de fonds dont les droits sont détenus à plus de 50% par une personne ou plusieurs personnes liées entre elles sont des constructions juridiques.
Le législateur réaffirme ainsi sa volonté de viser les SICAV à fonds dédiés et de réserver le régime fiscal avantageux applicable aux OPC aux investissements véritablement collectifs – s’ils sont hors de la Belgique, à tout le moins -.
Le Conseil d’État a habilement soulevé la question de la concurrence entre l’application de l’article 19bis du CIR92 - qui qualifie d’intérêt tout ou partie des plus-values réalisées en cas de cession à titre onéreux d'actions ou de parts, en cas de rachat de parts propres ou en cas de partage total ou partiel de l'avoir social d'un OPC obligataire – et de l’article 18,3° du CIR 92 qui qualifie de dividende toutes sommes attribuées ou mises en paiement par une construction juridique. Le législateur a expressément précisé qu’en cas de concours, la taxe Caïman devait primer.
Bien qu’il y ait des arguments de texte à invoquer, il est donc clair que la volonté du législateur est de soumettre les OPC dédiés à la taxation en transparence ainsi qu’à la taxation des distributions et des rachats.
Remarque importante : la loi ne contient aucune clause de grandfathering. Cela signifie qu’une entité qui devient, par l’élargissement des définitions, une construction juridique à partir de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi est entièrement soumise au régime Caïman. En d’autres termes, les réserves accumulées avant l’application de la taxe Caïman seront qualifiées de dividendes lors de leur sortie. |
La taxe Caïman 2.0. avait introduit la notion de construction juridique « mère » et « filiale » afin de permettre l’application de la taxe Caïman en cascade. Ainsi, lorsqu’une construction juridique (par exemple un trust) détenait les parts d’une autre (par exemple, une société au BVI), la taxe Caïman s’appliquait, dans le chef du ou des fondateur(s), à tous les niveaux de la chaîne.
En revanche, l’interposition d’une entité non qualifiée de construction juridique, empêchait l’application de la taxe Caïman à partir de cette structure.
Cela était logique : imaginons une personne physique qui détient les parts d’une SRL belge qui elle-même détient les parts d’une société des BVI, lorsque la BVI va distribuer à la SRL, celle-ci sera taxable sur les dividendes perçus (le régime RDT ne pourra évidemment pas s’appliquer) et lorsque la SRL distribuera à son actionnaire personne physique, celui-ci sera également taxable sur le dividende perçu. Aucun vide de taxation, donc.
Qu’à cela ne tienne, la Cour des comptes avait estimé que cette interposition d’une entité non Caïman empêchait l’application de la taxe et qu’il s’agissait donc d’une faille du système…
Résultat : la nouvelle loi créée la notion de « construction intermédiaire ».
La construction intermédiaire est définie comme l’entité, qui elle-même n’est pas une construction juridique, mais qui détient les parts d’une construction juridique.
Le but ? que l’interposition d’une entité non Caïman ne fasse plus obstacle à l’application de la taxe Caïman. Dans notre exemple, la personne physique qui détient les parts de la SRL sera considérée comme fondatrice « indirecte » de la BVI et sera donc taxable en transparence sur les revenus de celle-ci et taxable également sur les distributions de dividendes effectuées à la SRL belge… En revanche, la taxe Caïman ne s’appliquera pas au niveau de la SRL, la « construction intermédiaire ».
Si la question fondamentale reste « pourquoi ? » étant donné que cette structuration n’impliquait aucun vide de taxation, la plus prégnante sera « comment ? » en pratique, appliquer un tel système ubuesque. Interrogé à ce propos, le ministre des Finances a simplement rétorqué que les contribuables concernés auront nécessairement une bonne vision de la chaîne de détention et des flux financiers… À considérer que tel soit le cas (certainement si on est actionnaire majoritaire, moins évident si on est minoritaire), cela impliquera la tenue d’une double comptabilité afin de s’assurer de pouvoir identifier ce qui sera du revenu déjà taxé (en transparence ou au moment de sa distribution à la SRL) afin d’éviter une double imposition lors de la distribution de ce revenu par la SRL au contribuable personne physique. L’article 21,12° a d’ailleurs été adapté en ce sens.
La définition existante de fondateur « 4ème tiret », soit les personnes qui détiennent des droits juridiques ou économiques dans des constructions juridiques » est adaptée afin de viser la détention « indirecte » par le biais d’une « construction intermédiaire ».
En outre, une nouvelle présomption réfragable est insérée dans le texte légal afin de prévoir qu’une personne identifiée comme bénéficiaire effectif d’une construction juridique dans un registre UBO est présumée en être le fondateur.
Bien que les travaux parlementaires aient pu laisser penser à certains stades que cela entraînerait une qualification automatique de fondateurs pour tous les bénéficiaires effectifs, tel n’est pas le cas. Les définitions de fondateur ne sont d’ailleurs pas modifiées à cet égard. Il s’agit uniquement d’une présomption réfragable visant, à défaut de coopération du contribuable, à faciliter le travail de l’administration.
Des modifications techniques sont apportées au texte pour permettre la taxation en transparence de constructions juridiques détenues indirectement par le biais d’une « construction intermédiaire ».
Autre modification : le texte précise désormais que la taxation en transparence prime la taxation des distributions en cas de distribution des revenus la même année que leur perception.
Cette question avait déjà été tranchée par le SDA. On aurait toutefois pu accueillir favorablement cette précision légale si une autre modification prévue par le même projet de loi ne rendait pas cette précision quasiment inutile. Nous y revenons ci-dessous.
Il existait préalablement à la réforme une exception à la taxation en transparence dite « de substance ». En bref, échappait à la taxation en transparence une construction juridique :
- Établie dans un État coopératif (avec lequel la Belgique a signé une CPDI ou un autre instrument prévoyant l’échange d’informations), et ;
- Dont les revenus sont principalement recueillis à la suite de l'exercice d'une ou plusieurs activités économiques effectives, activités qui ne peuvent avoir pour but la gestion du patrimoine privé du fondateur ou d'un des fondateurs de cette construction juridique, et ;
- Qui a un ensemble de locaux, de personnel et d'équipements à sa disposition qui est en rapport avec les activités économiques effectives poursuivies.
La Cour des comptes avait considéré que l’interprétation de ces conditions, notamment la poursuite d’une « activité économique effective » posait des difficultés d’interprétation, spécifiquement lorsqu’il s’agissait de la gestion de patrimoines très (très) importants.
Le législateur a donc décidé de clarifier cette notion. Désormais, il faut démontrer :
- Que la construction juridique exerce une activité économique substantielle, au moyen de personnel, d’équipements, de biens et de locaux, et que ses revenus sont principalement réalisés par celle-ci, et que ;
- Cette activité substantielle n’a pas pour but la gestion du patrimoine privé du fondateur ou d’un des fondateurs de cette construction juridique.
En outre, la notion d’activité économique est définie comme étant : « l’offre de biens ou services à un marché déterminé ».
Cette même exception est reprise à l’article 18,3° du CIR92 qui qualifie les distributions de dividendes.
Cela pose deux problèmes fondamentaux :
Quid des Holding ? Une holding peut tout à fait se justifier dans une structuration internationale mais n’a pas nécessairement pour objet d’offrir des biens ou des services sur un marché sans que cela n’affecte sa substance.
Dans les travaux parlementaires, le ministre des Finances semble confirmer qu’une holding pourrait bénéficier de l’exception si elle participe activement à la gestion du groupe. Cette précision est toutefois donnée dans le cadre de l’application du régime CFC.
Quid des associations caritatives ? Dans tous les États du monde, comme en Belgique d’ailleurs, les associations caritatives (qu’importe la forme sous laquelle elles sont constituées) bénéficient de régimes fiscaux exorbitants de droit commun au vu, précisément, de la mission sociétale qu’elles accomplissent. Elles sont donc, au sens de la loi belge, souvent des constructions juridiques. Or, la définition légale « d’activité économique » est catastrophique pour le secteur caritatif. En effet, une association caritative n’a généralement pas pour activité substantielle l’offre de biens ou de services sur un marché. Elles sont donc, par définition, dans l’impossibilité de justifier d’une exception à la taxation en transparence mais donc aussi des distributions. Conclusion : si la Fondation Bill Gates décidait de soutenir un hôpital belge pour des projets de recherche, ces dons seraient taxables au taux de 30%.
Sur ce point, le législateur ne dit mot.
Dans sa grande largesse, le législateur précise que la taxe Caïman ne s’applique pas lorsque les revenus d’une construction juridique sont déjà taxés en transparence dans le chef d’une société belge en application du régime CFC.
De même, la taxation en transparence ne s’applique pas s’il est démontré que les revenus d’une construction juridique sont déjà taxés en transparence dans le chef d’une autre personne physique ou morale.
Il s’agit d’une disposition anti-abus spécifique : afin d’éviter qu’une entité procède habilement à des distributions lorsqu’elle a perdu sa qualité de construction juridique, il est considéré pour les besoins de la taxation des distributions que cette entité reste une construction juridique durant trois ans.
Cela interviendra, par exemple, lorsqu’une construction juridique aura changé de forme sociale (une SPF luxembourgeoise, transformée en Soparfi, par exemple) ou lorsqu’elle aura transféré son siège vers la Belgique – n’était-ce pas là pourtant le but recherché ? -.
Par exemple, si une fondation privée du Liechtenstein déplace son siège d’imposition vers la Belgique en 2024, ses distributions resteront qualifiées de dividendes jusqu’en 2027.
À nouveau, si ladite construction juridique est une société, cela ne changera rien – une société distribue des dividendes, taxe Caïman ou non -. En revanche, une fondation privée qui transférerait son siège en Belgique resterait une construction juridique durant 2 périodes imposables après son transfert, que celle-ci soit caritative ou non, poursuive un but d’intérêt général ou non -.
L’ancienne construction juridique pourra toutefois, gardant cette qualité, bénéficier de la non-taxation des distributions s’imputant sur des revenus déjà taxés en transparence s’il y en a.
Autres mesures hautement critiquables : la nouvelle loi institue deux cas où une exit tax sera due sur un dividende fictif.
Ainsi, conformément au nouvel article 18,3°/1 du CIR 92, sont des dividendes :
Les bénéfices non distribués d’une construction juridique visée à l’article 2, § 1er, 13°, a) et b), qui sont censés être attribués ou mis en paiement au fondateur d’une construction juridique, au moment où :
1) Les droits économiques, les actions ou parts ou les actifs de la construction juridique sont apportés dans une autre construction juridique ou personne morale ou sont transférés vers un autre État ou juridiction que la Belgique, ou ;
2) La personne physique qui est le fondateur de cette construction juridique a transféré sa résidence ou le siège de sa fortune à l’étranger, ou ;
3) L’établissement précité ou le siège de gestion ou d’administration de la personne morale visée à l’article 220 qui est le fondateur de cette construction juridique est transféré à l’étranger ».
Autrement dit, une fiction de distribution des réserves (revenus nets réalisés qui n’auront pas été distribués) qui impliquera la taxation d’un dividende fictif, le cas échéant, de manière étalée – s’appliquera :
- Si la construction juridique ou ses avoirs sont transférés dans une juridiction autre que la Belgique ou dans une autre construction juridique ou même une autre personne morale ou ;
- Si son fondateur déplace son domicile hors de la Belgique.
Ces nouvelles exit tax sont éminemment discutables à plusieurs égards :
D’abord, est-il compatible avec la liberté de circulation de pénaliser si durement les transferts de capitaux ou de personnes au sein de l’Union européenne ?
Est-ce bien proportionné aux objectifs poursuivis qui visent à favoriser un rapatriement de ces capitaux en Belgique – précisément à l’heure où le législateur décide de mettre un terme aux procédures de régularisation, ce qui, en pratique, compliquera excessivement ces rapatriements – et de palier à la difficulté de contrôler les « faux changements de résidence » de certains contribuables ?
La réponse est, à notre sens, absolument négative.
Ensuite, est-ce raisonnable de taxer les réserves accumulées hors de Belgique, surtout si l'entité n'était pas une construction juridique lors de leur constitution et que son fondateur n'était pas résident belge ?
Par exemple, un citoyen anglais, ayant constitué ou « hérité » d’un trust dans le cadre de sa planification successorale (tout à fait classique au Royaume-Uni), résident en Belgique pour des raisons professionnelles, serait soumis à l'exit tax en Belgique lors de son départ, même après quelques années de résidence seulement.
Le ministre des Finances a été interpellé sur cette problématique précise et sur le fait que notre pays deviendrait de facto un Pays à éviter pour les talents expatriés originaires d’États de tradition Common Law (États-Unis, Grande-Bretagne, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, etc). En résulterait donc une perte d’attractivité pour la Belgique sur la place internationale.
Réponse : « Les recommandations de la Cour des comptes ont été suivies »…
Le texte de loi prévoit heureusement que ces exit tax ne s’appliquent pas lorsque les exceptions à la taxation en transparence sont réunies, notamment donc, l’exception de substance.
Toujours est-il que ni les trusts, ni les fondations, ni plus largement les associations caritatives ne pourront jamais bénéficier de cette exception.
Il reste à espérer que la Cour constitutionnelle sera saisie de cette question.
Dernière modification concernant le sort de distributions et non des moindres : désormais, les revenus, ayant subi leur régime d’imposition en transparence, n’échapperont à la qualification de dividende lors de leur distribution que dans le cas où ils ont été effectivement soumis à l’impôt.
Le texte précise désormais que si, en transparence, ces revenus ont été exonérés en application de la loi fiscale belge (les plus-values sur actions, par exemple) ou d’une convention préventive de la double imposition (les revenus immobiliers, par exemple), ils seront taxables à titre de dividendes lors de leur sortie.
C’est la logique initiale de la taxe Caïman qui est ici balayée.
En effet, comme annoncé à l’origine, la taxation en transparence visait à rendre la détention d’avoirs au travers de structures peu ou pas taxée, inutile. Le but était donc précisément que les contribuables détenant des constructions juridiques soient taxés, à l’impôt des personnes physiques, comme si ces structures n’existaient pas. La taxation des distributions permettait alors de « rattraper » les réserves anciennes, accumulées avant l’avènement de la taxe Caïman.
Le constat de la Cour des comptes était que dans certains cas, l’application de la taxe Caïman pouvait s’avérer plus avantageuse pour le contribuable que la taxation ordinaire respectant la réalité fiscale de l’entité interposée.
En outre, cela n’est vrai que pour les sociétés. Dans ce cas précis, l’application de la taxe Caïman permet, de ne pas être taxé sur les dividendes distribués alors que dans le régime ordinaire toute distribution est qualifiée de dividendes et ce, même si les revenus perçus par la construction juridique étaient des plus-values sur actions, en principe, non taxables à l’IPP.
Pour la fine bouche, on notera que l’exemple repris dans les travaux préparatoires est relatif à une SCI française. Cet exemple ne saurait être plus mal choisi. D’abord parce qu’une SCI n’est, a priori, pas une construction juridique et ne l’était jamais avant cette loi. Ensuite, parce que ses distributions sont taxables à titre de dividendes (et ce sans recours à la taxe Caïman).
Prenons l’exemple plus pertinent d’une société du Panama qui détient un portefeuille-titres logé au sein d’une banque suisse. Si ce portefeuille est investi pour générer majoritairement des plus-values sur actions non taxables en transparence (par exemple, 80% du revenu, les 20% restant étant des dividendes et des intérêts), il ne sera taxé, en transparence, que sur 20% du revenu mais il pourra se distribuer 100% sans taxation car les 80% de plus-value auront bien subi leur régime d’imposition en transparence (la non-taxation). Sans l’application de la taxe Caïman, il aurait simplement été taxé sur 100% du dividende distribué.
Dans ce cas donc, il est exact que la taxe Caïman conduit à ce qu’une distribution auparavant qualifiée de dividendes, ne soit pas taxable. On peut certes entendre que cela soit perçu comme une conséquence négative de la taxe Caïman par le législateur.
MAIS, c’est là la simple conséquence du choix qu’il a lui-même posé d’anticiper un impôt qui aurait en tout état de cause été dû à la sortie (les sociétés distribuaient des dividendes avant la taxe Caïman et le CRS/Fatca permet à l’administration d’obtenir toutes les informations utiles à la taxation).
Pour les autres constructions juridiques, ce constat est erroné : les trusts, fondations ou associations n’effectuaient généralement pas de distribution taxable – et certainement pas à titre de dividende - avant l’avènement de la taxe Caïman. La taxe Caïman a donc indubitablement alourdi la taxation et cela est indiscutable.
À nouveau, est-ce que cette mesure est bien proportionnée au but poursuivi ? La justification est-elle adéquate ? Est-il justifié que des distributions effectuées par une fondation privée belge ne soient pas taxables alors qu’elles le seront venant d’une fondation privée du Liechtenstein (notons qu’avant 2002, la fondation privée belge n’existait pas, raison pour laquelle la fondation privée du Liechtenstein était privilégiée), voire d’une fondation américaine ?
Plus fondamentalement, cette mesure crée indéniablement une double imposition juridique (soit deux impôts qui frappent le même contribuable et le même revenu).
Ces questions mériteraient également d’être posées à la Cour constitutionnelle.
Enfin, on notera également que le texte de l’article 21,12° du CIR92 est adapté afin qu’il s’applique aux entités qui ne sont plus des constructions juridiques mais qui l’ont été au cours d’une des trois dernières années ainsi qu’aux constructions intermédiaires.
Dernière modification, et certainement la plus pertinente de toutes, le législateur a considérablement alourdi les obligations déclaratives.
L’objectif ? Être enfin capable de déterminer ce que ta taxe Caïman rapporte et monitorer son application.
Ainsi, dès la prochaine déclaration fiscale – applicable aux revenus 2023 – il conviendra de joindre une annexe précisant :
- Le nom complet, la forme juridique, l’adresse et le cas échéant le numéro d’identification de la construction juridique ;
- Le nom et l’adresse de l’administrateur de cette construction juridique lorsqu’il s’agit d’une construction juridique visée à l’article 2, § 1er, 13°, a) ;
- Les revenus repris dans la déclaration qui ont été recueillis par chaque construction juridique séparée, de même que le montant du patrimoine de la construction juridique à la fin de la période imposable, la partie du patrimoine qui a été apportée par le fondateur, les dividendes visés à l’article 18, alinéa 1er, 3° et 3°/1, qui étaient repris dans la déclaration, ainsi que ceux qui ont été exonérés en application de l’article 21, alinéa 1er, 12° et ceux qui ne doivent pas être repris dans la déclaration parce qu’ils ont fait l’objet d’une retenue de précompte mobilier.
Hormis les nouvelles obligations déclaratives qui entrent en vigueur pour les revenus 2023 (Exercice d’imposition 2024), ces nouvelles mesures entrent en vigueur pour les revenus obtenus (régime de transparence) et distribués (taxation des distributions) à partir du 1er janvier 2024.
Le but de ces modifications est clairement annoncé : dissuader les contribuables belges de détenir (directement ou indirectement) des constructions juridiques et les forcer à rapatrier les constructions juridiques ou les avoirs qu’elles détiennent en Belgique.
Fort bien. Si l’on peut le comprendre pour des sociétés au Panama, voire des fondations privées du Liechtenstein (bien que…), sur quelle base le législateur belge estime pouvoir sanctionner un contribuable qui détient une SCI française ou une SICAV dédiée luxembourgeoise ? D’autant que si cette même SICAV est rapatriée en Belgique, la taxe Caïman ne sera plus applicable… n’y a-t-il pas là un énorme problème d’égalité de traitement et de violation de la libre circulation des capitaux ? De même, comment la Belgique pourrait-elle s’arroger le droit de taxer les réserves d’un trust anglais dont le fondateur serait venu s’installer en Belgique seulement quelques années pour des raisons professionnelles ?
À nouveau, cette nouvelle réforme a été adoptée à la hâte sans réflexion profonde. En témoigne la réponse trop souvent formulée du ministre des Finances se référant uniquement au rapport de la Cour des comptes comme s’il en était le greffier.
Au demeurant, de nombreuses questions – parfois également soulevées par la Cour des comptes – restent sans réponse : qu’en est-il d’un éventuel concours entre la taxe Caïman et les droits de succession ? Qu’en est-il de la compatibilité de la taxe Caïman avec les conventions préventives de la double imposition et, plus généralement, des Traités internationaux que la Belgique s’est engagée à respecter ?
Ce n’est pas avec la taxe Caïman que l’on résoudra les problèmes d’inéquité fiscale dans notre pays. Cela nécessitera une réforme globale et cohérente de notre système.
Celle-ci ayant été torpillée c’est, malheureusement à nouveau, à coup de mesurettes que nos dirigeants veulent montrer qu’ils agissent. Résultat : ils ont bouché les trous au prix de toute logique et le contribuable, lui, ne voit plus clair.
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