L’action paulienne : l’arme secrète du fisc

Introduction

Le droit successoral dispose que certains héritiers peuvent faire valoir une part réservataire. Cela signifie que ces héritiers ont droit à une part successorale minimum de la masse fictive (c’est-à-dire le patrimoine reconstitué du défunt). La part disponible du défunt (la part de la masse fictive dont il peut librement disposer) s’élève depuis la nouvelle loi successorale à 50 % de cette masse fictive. Pour autant et dans la mesure où cette quotité disponible est excédée par des libéralités, et donc que la réserve est atteinte, les héritiers réservataires peuvent demander la réduction. Du fait de la réduction, les libéralités reviennent dans la succession dans la mesure où la quotité disponible a été dépassée. Les héritiers réservataires sont de cette manière rétablis dans leur droit.


L’article 921 Code Civil dispose que seuls les héritiers réservataires peuvent demander cette réduction. Ils décident en principe personnellement, et chacun pour soi, s’ils intentent ou non cette action.


Sur base d’un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 12 avril 2018, cette dernière thèse doit toutefois être nuancée.


Les faits

En l’espèce, il s’agissait d’un contribuable qui avait une importante dette d’impôts impayée. Le fisc ne pouvait recouvrer cette dette, vu que le contribuable était insolvable. Pendant des années, des procédures de recouvrement fiscales étaient pendantes contre le contribuable sans que cela ne donne aucun résultat pour les services fiscaux. Peu de temps avant le décès de sa mère, le contribuable avait encore reçu une injonction de payer.


À un moment donné, la mère du contribuable décède donc après qu’elle ait désigné ses petits-enfants, les enfants du contribuable comme légataires universels. Cette attribution excédait largement la quotité disponible et entamait la réserve du contribuable (le fils).


Le contribuable ayant renoncé à la succession de sa mère, il ne pouvait plus invoquer la réduction. De cette manière, ses enfants pouvaient conserver la totalité de la succession de sa mère et le fisc mordait la poussière – c’est du moins ce que le contribuable pensait.


Cour d'appel

Le fisc n’a toutefois pas abandonné l’affaire et a exigé la non-opposabilité de la renonciation à la succession par le fils-contribuable, sur la base des articles 1167 et 788 C. Civ., et ensuite la réduction au nom du fils-contribuable sur base de l’article 1166 C. Civ.


L’article 1167 du Code Civil règle ce que l’on appelle l’action paulienne. L'action paulienne vise à l’indemnisation du dommage causé au créancier par l’appauvrissement frauduleux du débiteur. L’article 788 C. Civ. constitue une application spécifique de cette figure juridique en matière de droit successoral. Le créancier peut se faire autoriser en justice à accepter la succession du chef de leur débiteur qui a renoncé à la succession. La Cour de cassation exige toutefois la preuve par le créancier du fait que la renonciation était anormale et que le débiteur savait que le créancier serait préjudicié par cette renonciation. Le débiteur peut donc le cas échéant fournir la preuve que la renonciation à la succession n’avait pas pour objectif de préjudicier le créancier.


La Cour d’appel de Bruxelles a décidé qu'en l’espèce, cette preuve n’est pas fournie. La Cour décide que la renonciation à la succession s’est faite dans le seul but de préjudicier les créanciers. Le contribuable savait en effet que le fisc essayait de recouvrer des arriérés d’impôt depuis des années. Juste avant le décès, il avait même reçu une injonction de payer. Le contribuable ne fournit par ailleurs aucune preuve que la renonciation aurait un autre motif.


Vu que la Cour d’appel déclare l’action paulienne fondée, le contribuable est rétabli en sa qualité d’héritier réservataire. Le fisc peut de ce fait réclamer la réduction des libéralités effectuées aux petits-enfants, en application de l’article 1166 C. Civ. Cet article, qui règle ce qu’on appelle l’action oblique, permet en effet à un créancier d’exercer les droits de son débiteur. Cette disposition légale trouve son fondement dans le fait qu’un débiteur qui se trouve confronté à des difficultés financières a peu d’intérêt à un bon recouvrement des créances. Le produit irait en effet de toute façon à ses propres créanciers.


La Cour réduit donc les libéralités faites aux enfants du contribuable à la quotité disponible: le montant qui doit être réduit devra être payé par les enfants au créancier de leur père, c’est-à-dire le fisc.


Cette décision n'est pas surprenante. Dans le passé déjà, le Tribunal de première instance de Hasselt avait décidé que le fisc pouvait invoquer l’article 788 C. Civ. pour accepter une succession qui avait été précédemment refusée par le contribuable (Trib. Hasselt du 27 février 1995, Cour. Fisc., 1995). Le Tribunal de première instance de Mons a décidé pour sa part que les créanciers d’un héritier réservataire peuvent demander la réduction par le biais d’une action oblique, au cas où les héritiers réservataires ne le font pas eux-mêmes (Trib. Mons, 6 septembre 2000, Rev.not.b. 2001, 57).


Conclusions

Il ressort de cet arrêt qu’en principe il n’est pas possible de porter préjudice au fisc et aux autres créanciers en renonçant à une succession.


Ce qui est important c’est que l’action paulienne ne peut être invoquée que s’il s’agit d’un appauvrissement frauduleux. Il faut donc insister sur le fait que la renonciation poursuit bien des objectifs légitimes. Dans cette optique, il est conseillé de bien préciser et documenter à l’avance pour quel motif la renonciation a lieu, le soutien a ses propres enfants pouvant constituer naturellement un élément important et légitime.


De cette manière, la preuve d’un appauvrissement frauduleux sera plus difficile à fournir pour le fisc, vu que la renonciation est motivée par d’autres raisons que l’intention de préjudicier les créanciers.


Fréderic Stynen et Dirk De Groot - Avocats SherpaLaw


Cet article a été publié dans ‘Accountancy et fiscalité’, à retrouver dans notre base de données Taxwin Expert www.taxwin.be

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