De quoi la guerre commerciale sera-t-elle faite demain ? Une bonne partie de la réponse se trouve dans la capacité de négocier de la Chine face au rouleau-compresseur américain. De la Chine, nous savons ce qu’elle pèse, et il est bon de rappeler qu’elle fait dix fois le poids de la Russie, nous connaissons ses échanges commerciaux avec l’Oncle Sam, mais nous ne connaissons pas vraiment la vigueur de son économie et le degré de contrôle de la situation socio-politique par Xi Jinping. Or, de cela dépendra le rapport de force entre les deux premières économies mondiales.
La relation entre les Etats-Unis et l’empire du Milieu est multiple. Le mot à faire prévaloir est interdépendance. Des deux côtés de l’Océan Pacifique, on connaît des dépendances significatives dans des secteurs d’activité clef. Il est bien loin, le temps d’avant l’intégration de la Chine dans le commerce, une époque qui remonte à près d’un demi-siècle. Depuis, avec le « doux commerce », le Pacifique paraît nettement moins vaste. « Tu me vends plus de jouets bon marché que je ne te vends des voitures et, avec la différence, tu finances mon déficit budgétaire », voilà, en termes simplifiés, le « deal » des Etats-Unis avec la Chine, histoire d’utiliser le langage que l’autoproclamé « roi du deal » affectionne. Les flux économiques ont pris une telle ampleur depuis la fin de l’ère Mao Zedong et l’émergence de Deng Xiaoping qu’à peine un quart de siècle plus tard l’historien anglais Niall Ferguson et l'économiste allemand Moritz Schularick proposaient le néologisme « Chimerica », contraction de Chine et Amérique, avec, ajoute Wikipedia, le fait que « les auteurs jouent notamment de la proximité du terme avec celui de chimère pour souligner l’instabilité de la situation. »
Bien vue, la chimère, à en juger par la situation de 2025, et même d’un peu avant, quand une prise de conscience a émergé que la Chine se retrouvait en capacité de devenir un rival des Etats-Unis. Qu’il s’agisse de télécoms, de ports, de matières premières, des routes de la soie, de la mise au pas d’Alibaba ou de l’accentuation de la pression sur Taiwan, la Chine est apparue comme la grande menace.
Aujourd’hui, « la Chine est l’unique superpuissance manufacturière mondiale », pour reprendre l’expression de Richard Baldwin (VoxEU, janvier 2024). Pour l’auteur, les pays avancés ont encore un avantage compétitif dans les secteurs les plus avancés, mais pour le reste, l’avantage revient à la Chine dans presque tous les domaines. Un découplage par rapport à la Chine apparaît dès lors difficile, pour ne pas dire impossible. Et même dans les domaines de technologie sophistiquée, la Chine est loin d’être en reste. Il y a le fameux cas des TGV, pour lesquels il y a plus de kilomètres de voies en Chine que dans l’ensemble de tous les autres pays de la planète, et la disponibilité de terres rares mais cela concerne aussi les batteries, les panneaux photovoltaïques, les voitures électriques, les drones, les éoliennes, les imprimantes 3D, etc.
Parmi les facteurs explicatifs de cette excellence, commentons-en deux. Le premier est le système éducatif chinois, qui forme en masse des jeunes dans les domaines dits STEM, pour Science, Technologie, Ingénierie et Mathématique. Cela devrait nous inspirer ! Le second est le soutien public à ces secteurs. Après la grande crise financière, la Chine a, on le sait, tablé sur le secteur immobilier, mais avec un terrible effet boomerang ces dernières années. A la place est venue une stimulation, à force de crédits bancaires, de subventions et de réglementation complaisante, de la technologie, qu’il s’agisse de voitures, de semi-conducteurs, de robots, d’avions, d’électronique, etc. Ajoutons, avec Noah Smith, que ce soutien, s’il est réel, ne doit pas occulter les mérites entrepreneuriaux des BYD et Xiaomi de ce monde.
On peut être bluffé par la maîtrise technologique dont témoigne la Chine, mais souvenons-nous du colosse aux pieds d’argile. Ainsi, l’argument selon lequel la Chine qui détient les clefs du financement à bon compte du Trésor américain n’est pas convaincant. Une petite dette est le problème du débiteur. Une grande dette est le problème du créancier ! La Chine n’a pas intérêt à arrêter le « vendor financing » et à voir le dollar s’effondrer. Ce n’est pas tout. Il y a peu, The Economist se faisait l’écho d’une marmite sociale chinoise en bouillonnement. Or, même les régimes les plus déterminés à garder le pouvoir à tout prix peuvent tomber. C’est évidemment le cas de l’empire soviétique et c’est, plus récemment, le cas de la Syrie de Bachar al-Assad. Il y a aussi eu la gestion de la Covid, qui a été à l’opposé de ce qui était attendu, à savoir une leçon d’efficacité politique donnée à l’Occident. La complète désillusion du Kremlin, où Kiev allait tomber en 72 heures, invite le fort à douter de sa force. Et puis il y a les signaux conjoncturels : confiance des consommateurs en berne, effet-richesse négatif du fait de l’immobilier, taux de chômage des jeunes élevé, enquête auprès des responsables des achats aux sombres perspectives en termes d’exportations, évolution tendancielle des bénéfices par action des entreprises cotées (voir notamment E. Yardeni, The Year of the Snake, 2 mai 2025).
Qu’il s’agisse de l’état de santé actuel de la Chine ou du degré de contrôle de la situation socio-économico-politique par le régime, nous savons que nous ne savons, comme nous savons que nous ne savons pas ce que D. Trump va annoncer demain, mais le scénario le plus probable est que la rationalité chinoise fera ne pas jouer avec le feu, et, qu’après une posture de fermeté, viendra le temps de concessions que le locataire de la Maison-Blanche pourra exhiber comme des trophées.