Les banques n’ont que la monnaie de leur pièce

Voilà la page tournée ! Le bon d’Etat à un an, avec son taux d’intérêt de 2,81% net et ses plus de EUR 20 milliards d’euro, a été à la fois un énorme succès commercial et un bon coup dans la fourmilière[1], mais le risque est réel que l’on revienne vite à la douce torpeur et aux arrangements entre amis qui caractérisent le secteur bancaire. Alors, dépêchons-nous de partager quelques réflexions sur le sujet, au départ des reproches et des plaintes à l’encontre de ce bon d’Etat provenant de professionnels du secteur, mais non sans avoir salué certaines voix, en particulier celle d’Alain Moreau (voir l’Echo du 31 août 2023).


Opération de com’

Mr Van Peteghem aura beaucoup gagné en notoriété grâce à ce fameux bon d’Etat, et durablement. Ne nous souvenons-nous pas des emprunts Philippe (Maystadt) et des bons Leterme ? Est-ce à dire qu’il s’agit là d’une opération de communication du Ministre des Finances, dont il serait l’unique bénéficiaire ? Non, cette présentation est fallacieuse, pour au moins deux raisons.

Premièrement, en faisant cela, le Ministre des Finances a rendu service aux finances de l’Etat. En effet, pour les caisses de l’Etat, un emprunt qui lui coûte du 2,81% net sur un an, c’est moins que le taux du marché dont il aurait eu à s’acquitter auprès d’intermédiaires financiers belges et surtout étrangers. Simultanément, il stimule le pouvoir d’achat des épargnants, avec vraisemblablement un effet redistributif positif. Ensuite, il a de manière préventive, et c’est précieux vu l’incertitude politique des élections à venir, rappelé que la Belgique est le Japon de l’Europe, avec un Etat fort endetté mais une épargne intérieure abondante. A son tour, ceci est bénéfique pour les créanciers à long terme actuels de l’Etat belge, au premier rang desquels se trouve … le secteur financier belge. Elles seraient mal, nos banques et nos compagnies d’assurance, avec un écartement des « spreads » de crédit !

Deuxièmement, en stimulant de la sorte l’épargnant, le Ministre des Finances sert la cause de l’économie. C’est établi depuis Adam Smith, une économie a besoin de consomm’acteurs, de clients mobiles, qui changent de produits et de fournisseurs. De surcroît, il est profondément salutaire de corriger cette anomalie belge qu’est le poids excessif des livrets d’épargne à la fois comme source de financement des banques et comme véhicule de placement de l’épargne individuelle.


Confiance écornée

On ne peut pas dire que l’image du secteur bancaire auprès du public était excellente, mais ce qui vient de se produire est de nature à encore davantage miner la confiance. Une parenthèse qui n’a rien à voir : à Barvaux sur Ourthe, une grande banque a fermé son agence et apposé sur la devanture une grande affiche. Sur celle-ci, il est écrit « Nous avons déménagé », en renseignant une adresse à Marche-en-Famenne, à une vingtaine de kilomètres, adresse où elle avait déjà une agence. N’aurait-il pas été plus juste d’écrire « Nous avons fermé » au lieu de « Nous avons déménagé » ? Fin de la parenthèse.

Que penser de ce secteur qui vante son expertise digitale (« les meilleures applications bancaires au monde ») mais dans lesquelles la rémunération des comptes à terme n’est pas disponible, car on veut la garder à la tête du client, bonjour la transparence et l’égalité de traitement, et où, pour souscrire à un bon d’Etat, il faut prendre rendez-vous ? Que penser de ce secteur où certains revoient spectaculairement les taux d’intérêt offerts quand vient la concurrence du bon d’Etat ? Que penser de ces banques supposées donner le meilleur conseil aux clients mais qui sont hautement biaisées, gagnant sensiblement plus sur l’argent laissé en livret que sur l’argent investi en sicav ?


Les mauvaises excuses

Dire que la sous-rémunération d’aujourd’hui est le pendant des taux hypothécaires très bas octroyés avant-hier n’est pas une bonne excuse. L’épargnant prudent d’aujourd’hui n’a pas à payer pour cela, et c’est vraisemblablement anti-redistributif. Bien sûr que les banques sont sociétalement utiles en faisant de la transformation d’échéance, mais les limites de la gestion prudente ont été largement dépassées et c’est aux actionnaires à en supporter les conséquences, pas aux épargnants. Pour le retraité avec 25.000 euros sur un livret, le priver de 2,5 points de pourcentage de taux d’intérêt revient à amputer sa pension de plus de 50 euros nets par mois.

Dire que la sous-rémunération d’aujourd’hui est le pendant de leur sur-rémunération d’avant-hier, quand le taux de 0,11% dépassait le -0.5% de la BCE, n’est pas plus acceptable. Depuis quand une erreur en corrigerait-elle une autre ? De plus, rien n’obligeait à offrir un livret réglementé surrémunéré, et d’ailleurs toutes ne l’offraient pas ! Si la plupart le faisaient, c’était parce qu’il s’agit là d’un produit faisant partie d’une relation bancaire globale. Et in fine, cet argument conforte l’idée qu’il est juste de faire un lien entre taux officiel de la BCE et rémunération du livret d’épargne !

Dire que la sous-rémunération est le reflet des cotisations spécifiques qu’impose l’Etat est mal venu, car l’ordre de grandeur va de 1 à 10, et car ces cotisations sont le pendant des garanties offertes par l’Etat.

Dire que le bon d’Etat jouit d’un privilège fiscal scandaleux, avec son précompte à 15% au lieu de 30% sur le compte à terme, est tout autant une critique à rejeter aussi longtemps que le livret d’épargne bénéficie d’une exonération complète et que le secteur n’a jamais demandé l’abolition de ce privilège. Ce que le secteur a bien demandé c’est l’élargissement du cadeau fiscal ! Aujourd’hui, il y a eu élargissement, mais pas dans le sens souhaité.

Et si c’est aux comptes à terme des banques qu’il faut comparer le bon d’Etat, alors la critique de distorsion de concurrence entre une souscription de ce dernier en banque ou directement auprès de l’Agence de la Dette pour cause de réglementation Mifid tombe puisque les comptes à terme ne sont pas soumis à la réglementation Mifid ! Ce qui est vrai, c’est qu’il y a inégalité à cet égard entre souscription en direct et souscription via une banque.


Conséquences pour le secteur bancaire

Au total, il faut espérer que le succès des bons d’Etat rappelle au secteur bancaire que les clients sont mobiles et que c’est la qualité des services offerts, à commencer par la tarification, qui fait le succès. Dans son ensemble, le secteur aura pratiqué la stratégie du gros dos. A court terme, c’est la stratégie gagnante, évidemment : mieux vaut voir partir 10% des clients que devoir nettement mieux rémunérer les 90% restants. Mais le cynique s’illusionne s’il ne tient pas compte du coût de la perte de confiance !

Au-delà, l’épisode des bons d’Etat aura vraisemblablement un autre effet : quoi qu’elles en disent, les banques auront retenu la leçon, et les autorités de contrôle aussi, et cette leçon est qu’octroyer des crédits à taux fixes expose celui qui se finance à court terme au risque de remontée des taux. Apprêtons-nous à voir les taux fixes des emprunts hypothécaires monter davantage !


[1] Le langage est inapproprié. Il n’y a évidemment pas à souhaiter la destruction de l’habitat des fourmis !


Cette chronique est également disponible sur l'Echo

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