
Mais l’intelligence artificielle, c’est autre chose. Il ne s’agit plus de multiplier la force physique, mais de sublimer la capacité cognitive humaine. Et cette réalité sera multipliée par des facteurs inimaginables grâce aux ordinateurs quantiques et, un jour, à la fusion nucléaire, qui rendra l’énergie presque gratuite.
Mais toutes les révolutions industrielles posent un problème de répartition de la valeur. En effet, elles apportent des gains de productivité. Mais la question politique et sociale est de savoir comment ces gains de productivité sont partagés entre les travailleurs et les propriétaires des machines (en l’occurrence, de l’intelligence artificielle).
C’est un débat que Karl Marx (1818–1883) avait finement analysé, partant du constat que le travailleur (qu’il appelait prolétaire) n’était pas réellement récompensé pour son apport de travail. Selon Marx, le capitaliste extrait de ces travailleurs des « plus-values », c’est-à-dire la portion de valeur créée par le travailleur au-delà de ce qui est nécessaire à la reproduction de sa force de travail (son salaire). La somme de ces plus-values, réinvestie, constitue le capital, pour Marx une valeur en constante expansion, dont l’objectif est de générer toujours plus de profit. Il considérait d’ailleurs que la valeur de toute marchandise, y compris la marchandise monétaire, était enracinée dans le travail socialement nécessaire à sa production.
Le même problème va se poser avec l’intelligence artificielle. C’est, en effet, la machine qui va apporter les gains de productivité, puisque les humains ne sont pas plus intelligents, et peut-être même au contraire s’ils délèguent leurs apprentissages cognitifs à la machine.
Ces gains de productivité seront accaparés par les développeurs de l’intelligence artificielle, ce qui explique leur capitalisation boursière colossale. Ces valeurs boursières reflètent le fait que ce sont bien les capitalistes, et non les travailleurs, qui bénéficieront de ces gains de productivité, puisque le rôle des marchés boursiers est de négocier le partage de la valeur à venir.
C’est donc un nouveau monde qui se dessine et qui devra, un jour, poser la question de savoir si ce ne sont pas des entreprises qui devraient payer des cotisations sociales sur la valeur du travail qu’elles auront contribué à faire disparaître.
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