La rigueur budgétaire s’annonce à tous les niveaux de pouvoir.
Il faut admettre qu’elle commencera par faire mal.
Pour l’économiste, deux circonstances l’autorisent. La première relève de ce qu’il appelle un « lissage intertemporel ». Il serait bête de se priver de vacances pendant des années et ensuite en prendre beaucoup. Mieux vaut bien répartir les plaisirs ! Pour une nation, si la probabilité que les temps futurs seront matériellement plus faciles que le temps présent est élevée, alors emprunter est économiquement justifié. Mais qui oserait penser cela aujourd’hui à propos de notre pays ? Sur cette base, il faut ardemment souhaiter un assainissement budgétaire vigoureux.
Il y a une seconde motivation à l’endettement public : que celui-ci serve à financer des dépenses qui profiteront d’une telle manière aux générations futures que celles-ci seront mieux avec ce surcroît de dette que sans. C’est l’idée que l’on trouve, très grossièrement, derrière le déficit de 3% que le Traité de Maastricht autorisait aux Etats membres de l’Union monétaire. Une méthodologie plus fine serait souhaitable, mais il y a tout lieu de penser qu’elle conduirait à encore plus de rigueur. Ainsi, il faudrait prendre en compte la dégradation du capital naturel, qui devrait être comptabilisée comme un investissement négatif, une destruction de capacité productive. De plus, il faudrait intégrer l’impact de la baisse de la natalité sur les dépenses de retraite et de santé, à considérer comme une « dette sociale ».
De l’évaluation de ces deux justifications possibles, il découle que l’austérité budgétaire est une exigence économique autant que morale. Confrontés à cette exigence, aux engagements européens et aux craintes des marchés financiers, partis politiques et groupes de pression sont tentés par l’échappatoire d’un oxymore, celui d’une austérité indolore, et cela à gauche comme à droite.
Le gaspillage, personne, bien entendu, n’en est adepte, et sa compression est une priorité budgétaire, mais il faut admettre, quoi qu’en dise un président de parti, que supprimer un emploi, même s’il fait double emploi, c’est commencer par avoir une personne qui doit trouver un autre emploi. Garder les provinces pour préserver l’emploi, comme l’argumente un bourgmestre hennuyer directement concerné, c’est un très mauvais argument, mais il faut admettre que les supprimer ne se fera pas sans passage par la case chômage pour certains. Affirmer que « Monter à 2 % du PIB les dépenses en Défense rapportera 10,5 milliards d'euros à la société belge » (La Libre, 5 décembre 2024), c’est laisser penser, à tort, que l’effort militaire à fournir n’est pas vraiment un effort. Certes, plus de militaires, cela fait plus de salaires versés en Belgique, mais dans une large mesure ils financeront des achats à l’étranger et l’effet-retour pour le budget sera limité.
Soutenir, comme le fait une syndicaliste, « qu’il n’est pas correct de dire qu’on vit au-dessus de nos moyens » (La Libre, 14 décembre 2024), en indiquant qu’il suffit de sabrer dans les subventions aux énergies fossiles et dans les mesures de baisse des coûts salariaux, est tout autant trompeur. Il y a d’excellentes raisons de considérer qu’il faut supprimer tout traitement favorable aux énergies fossiles (c’est nettement plus difficile d’en trouver pour recommander un relèvement des coûts salariaux !) mais il faut oser dire qu’une telle suppression fera mal à celles et ceux qui en tirent partis, consommateurs, travailleurs ou employeurs. Supprimer le régime des voitures de sociétés commencera par faire mal aux bénéficiaires actuels ou à leurs employeurs, en fonction de ce qui remplacerait – ou pas – la rémunération payée en tôle et en énergie.
Réduire le déficit public, tout comme réduire les émissions polluantes, est un impératif. Reconnaître que ce sera pénible l’est aussi !