Lorsqu’un particulier est sur le point de vendre un immeuble, il s’enquiert du prix qu’il pourra en retirer, mais aussi de l’impôt qu’il devra verser sur sa plus-value. En principe, les plus-values réalisées sur des immeubles bâtis échappent à toute imposition, pour autant que la vente intervienne plus de cinq ans après l’acquisition. Cette règle souffre toutefois certaines exceptions. Ainsi, les plus-values immobilières peuvent-elles être imposables dans certaines hypothèses au titre de « revenu divers » au taux de 33% voire, pire encore, comme « revenu professionnel » au tarif progressif, le taux marginal s’élevant à … 50% ! Dans un arrêt retentissant du 19 juin 2018, la Cour d’appel d’Anvers a jugé que la plus-value réalisée par un particulier lors de la vente de cinq appartements (faisant partie d’un même immeuble) devait être taxée au titre de revenu professionnel. Pour contestable qu’elle soit, cette jurisprudence sonne comme une mise en garde pour ceux qui investissent dans la pierre. Avant de se lancer dans un projet immobilier, il est conseillé de tenir compte de l’éventualité d’avoir à payer un impôt sur la plus-value, et de prendre le cas échéant certaines précautions afin de réduire la charge fiscale.
Les faits ayant donné lieu à cet arrêt peuvent être résumés comme suit. Un particulier avait acheté à titre privé un terrain à bâtir pour un prix de 225.000 EUR, sur lequel il avait fait ériger un immeuble à appartements. Le coût des travaux de constructions s’élevait à 430.000 EUR. Un an et demi plus tard, après l’achèvement des travaux, il vend les 5 appartements pour un prix de 780.000 EUR. Le fisc considère que la plus-value de 95.000 EUR devait être imposable au titre de revenus professionnels (au taux de 50%) et la Cour d’appel d’Anvers lui donne raison.
Pour bien comprendre cette décision, un petit rappel théorique n’est pas superflu. Suivant une jurisprudence bien établie, l’imposition de profits dans la catégorie des revenus professionnels requiert la réunion de plusieurs conditions :
· une activité régulière et continue (opérations immobilières présentant un caractère répétitif) ;
· un lien de connexité entre les opérations immobilières ;
· une organisation professionnelle (utilisation de connaissances spéciales par des personnes qui exercent leur profession dans le secteur immobilier, recours à l’emprunt,…).
Dans un arrêt célèbre, la Cour de cassation a ainsi conclu au caractère professionnel d’opérations immobilières dans une affaire où un contribuable avait acquis pas moins de 33 (!) immeubles au cours d’une période de 13 ans. Son activité consistait à acheter des immeubles à bas prix pour les restaurer et puis les donner en location (critère de connexité entre les opérations). Le caractère professionnel de ces opérations ressortait clairement du recours quasi systématique à l’emprunt, de l’importance des travaux d’aménagement et de restauration, ainsi que de la gestion administrative de l’ensemble des biens donnés en location. Dans une autre décision judiciaire, il a été jugé que les plus-values réalisées lors de ventes successives d’immeubles constituaient des revenus professionnels. Le contribuable, ancien géomètre expert, avait acheté (grâce à des emprunts bancaires) 12 habitations sur une période de moins de 6 ans. Il avait revendu 6 habitations avec bénéfice endéans une période de 2 ans.
Dans son arrêt précité du 19 juin 2018, la Cour d’appel d’Anvers a conclu à la qualification et à la taxation de la plus-value immobilière au titre de « revenu professionnel » au regard des éléments suivants : (i) le recours par le contribuable à l’emprunt pour financer l’achat du terrain ; (ii) l’intention manifeste du contribuable, dès l’entame du projet, de revendre les appartements (les appartements avaient été revendus 18 mois après l’acquisition du terrain) ; (iii) le fait que le contribuable était actif dans le secteur immobilier (il était ainsi gérant de l’entreprise de construction qui a érigé l’immeuble à appartements). A suivre cet arrêt, ces trois ingrédients (la prise de risque, l’intention spéculative, les connaissances/l’expertise du contribuable dans le secteur immobilier) peuvent ensemble constituer un « cocktail Molotov » susceptible d’exploser à tout moment à la figure du contribuable.
Cette décision me laisse quelque peu perplexe. Les magistrats anversois me semblent avoir fait preuve d’une sévérité excessive en imposant la plus-value immobilière au titre de revenu professionnel, alors que le contribuable n’avait participé qu’à un seul projet immobilier. Si l’on peut concevoir qu’un « professionnel de l’immobilier » réalisant de nombreuses opérations immobilières voie ses plus-values taxées dans la catégorie des revenus professionnels, il n’en va à mon avis pas de même du contribuable agissant en « bon père de famille », qui réalise un seul projet immobilier (achat d’un terrain, construction d’un immeuble à appartements et revente des appartements), de surcroît lorsqu’il présente (comme ici) une ampleur relativement modeste. Mettre ces deux catégories de contribuables dans le même sac me paraît critiquable.
Quoi qu’il en soit, cette jurisprudence devrait inviter tous ceux qui font des investissements immobiliers à tenir compte de l’éventualité d’une taxation de la plus-value immobilière au titre de revenu professionnel (au taux de 50%). Mais ce n’est pas tout. Même si le contribuable parvient à échapper à pareil matraquage fiscal, il n’est pas pour autant à l’abri du risque d’une imposition de la plus-value immobilière dans la catégorie « fourre-tout » des revenus divers, au taux certes plus « acceptable » de 33%. Ce risque est réel dans l’hypothèse où l’opération immobilière en question ne relèverait pas d’une gestion normale du patrimoine privé, ce qui pourrait notamment ressortir des éléments suivants : (i) prise de risque (recours à l’emprunt), (ii) rapidité des opérations immobilières effectuées, (iii) caractère successif des achats-ventes, (iv) existence d’une intention spéculative, etc.
La frontière entre la taxation au titre de revenu professionnel et la taxation au titre de revenu divers reste assez floue. La question suivante est sans doute décisive : le contribuable est-il un « professionnel de l’immobilier », qui dispose des connaissances et de l’expérience requises pour mener à bien un projet immobilier ? Les notaires, les architectes, les entrepreneurs, les agents immobiliers ou encore les administrateurs de sociétés immobilières encourent ainsi un risque de taxation au titre de revenu(s) professionnel(s) sans doute plus important (à supposer bien entendu que les autres critères soient réunis, comme le recours à l’emprunt) qu’un contribuable lambda, qui n’aurait aucune expertise en matière immobilière.
Denis-Emmanuel Philippe
Avocat-associé aux Barreaux de Bruxelles et de Luxembourg (Bloom Law)
Maître de conférences (ULiège)