Le titre de cette réflexion peut paraître iconoclaste (car le modèle néolibéral anglo-saxon ne conduit qu’à des inégalités sociales), mais je voudrais partager un sentiment qui m’habite depuis que j’ai lu le dernier ouvrage d’Emmanuel Todd. Dans cet opus, et de manière accessoire, l’auteur associe le recul du monde occidental à deux phénomènes majeurs : d’une part, la mondialisation s’est assimilée, pour les pays non occidentaux, à une nouvelle forme de colonisation, et d’autre part, l’Occident s’est « financiarisé », c’est-à-dire qu’il a trouvé sa prospérité dans un enrichissement financier déconnecté de l’apport du travail.
Je pense que ces deux observations sont justes. Nos taux de croissance, et surtout la valeur des actifs financiers, sont de plus en plus dissociés de la croissance réelle de l’économie. Nous avons importé les produits qui coûtaient trop cher à fabriquer localement, bénéficiant ainsi des écarts salariaux entre les anciens pays en développement (devenus désormais développés) et l’Occident traditionnel. L’Europe a faiblement innové, comme une puissance rentière qui ne comprend pas l’horloge du monde.
Cela a évidemment contribué à notre désindustrialisation, bien que, sans cette dernière, de nombreux pays d’Europe de l’Est et d’Asie n’auraient pas pu prospérer. Nous avons troqué notre bien-être social contre un travail sous-payé ailleurs. Et cela conduit à des tee-shirts à 2,99 € dans les Carrefours. En parallèle, nous avons voulu dépolluer nos économies en transférant, de manière horizontale, le poids écologique vers les pays dont nous importons les biens.
Aujourd’hui, l’Europe est vassalisée par deux puissances-continent qui s’affrontent dans une lutte féroce pour la domination mondiale : les États-Unis et la Chine.
Ce que propose Trump est intéressant : il cherche à réindustrialiser les États-Unis, au détriment des pays dont ils importent les biens. Cela s’appelle du protectionnisme. Bien que la majorité des économistes s’accordent à dire qu’il entraîne, à moyen terme, une moindre croissance globale, ce modèle peut néanmoins contribuer à rétablir les « termes de l’échange ».
Les États-Unis tentent ainsi de se protéger d’une mondialisation qu’ils ont eux-mêmes promue, mais dont ils se perçoivent, à tort ou à raison, comme les victimes.
C’est un message très important qui devrait nous inciter à réfléchir au modèle européen qui semble aujourd’hui illisible, même à nos propres yeux.
Pendant ces 40 dernières années, nous avons été les passagers clandestins, et non les rameurs, d’un bateau industriel que nous avons laissé voguer à la dérive. Et je crois que notre enrichissement est indu.