Nouvel avis : cryptomonnaies utilisées comme moyen de paiement

Dans l’avis CNC 2021/16 "Évaluation et comptabilisation des cryptomonnaies utilisées comme moyen de paiement " du 20 octobre 2022, la Commission des normes comptables se penche sur le traitement comptable d'un compte de cryptomonnaies utilisées comme moyen de paiement.

L'avis se concentre sur l’exemple d’une société qui paye en bitcoin une facture initialement libellée en euros.

Introduction

La Commission a été saisie d’une nouvelle question relative au traitement comptable d'un compte de cryptomonnaies utilisées comme moyen de paiement.

Les monnaies virtuelles peuvent être définies comme des représentations numériques d'une valeur qui ne sont émises ou garanties ni par une banque centrale ni par une autorité publique, qui ne sont pas nécessairement liées non plus à une monnaie établie légalement et qui ne possèdent pas le statut juridique de monnaie ou d'argent, mais qui sont acceptées comme moyen d'échange par des personnes physiques ou morales et qui peuvent être transférées, stockées et échangées par voie électronique.2

Dans l’état actuel des règles comptables et vu l’évolution importante de la matière, la Commission souhaite souligner que le présent avis n’est qu’une solution temporaire (avant une adaptation souhaitable de la législation) – il se concentre sur l’exemple d’une société qui paye en bitcoin une facture initialement libellée en euros.

La Commission souligne qu’elle ne se prononce pas sur les aspects fiscaux des cryptomonnaies utilisées comme moyen de paiement.

Traitement comptable

Prenons l’exemple d’une société A (active dans le monde des jeux en ligne) qui doit payer une facture à la société B. La société A, en accord avec la société B, décide de payer cette facture en bitcoin.

Contrairement aux devises traditionnelles, les cryptomonnaies basées sur la technologie blockchain ne fonctionnent pas avec un intermédiaire ou une autorité centrale, mais selon un système d’autorégulation. En effet, les cryptomonnaies sont versées en temps réel et conservées par toutes les personnes qui font partie du réseau de cryptomonnaies (peer-to-peer, ou « pair à pair » en français). Les cryptomonnaies s'échangent ou se négocient donc sur un réseau peer-to-peer, à savoir des ordinateurs et smartphones directement reliés entre eux par Internet.3

L’option la plus évidente semble être de comptabiliser ces cryptomonnaies parmi les Valeurs disponibles, à l’actif de la société. L’article 3:89, § 1er, IX de l’arrêté royal du 29 avril 2019 portant exécution du Code des sociétés et des associations (ci-après : AR CSA) fixe toutefois que les valeurs disponibles ne comprennent, en dehors des encaisses et des valeurs échues à l'encaissement, que les avoirs à vue sur des établissements de crédit. Comme expliqué ci-dessus, aucun établissement de crédit n’intervient pour la conservation des cryptomonnaies et il n’est donc pas possible de les considérer comme des valeurs disponibles selon une lecture littérale des dispositions légales applicables. La Commission estime également important d’exclure cette rubrique au motif que les cryptomonnaies ne sont pas un moyen généralement admis pour effectuer des transactions. Présenter les cryptomonnaies en tant que valeurs disponibles amène le lecteur des comptes annuels à présumer qu’elles pourraient servir à payer n'importe quel créancier, alors que ce n’est pas le cas.

La Commission estime qu’il n’est pas non plus adéquat de présenter les cryptomonnaies en tant que placements de trésorerie. Selon l’article 3:89, § 1er, VIII.B de l’AR CSA, le poste Placements de trésorerie reprend les créances en compte à terme sur des établissements de crédit ainsi que les valeurs mobilières acquises au titre de placement de fonds et qui ne revêtent pas le caractère d'immobilisations financières, l'acquisition de métaux précieux, en vue de les vendre à court ou à moyen terme. Les cryptomonnaies ne sont pas des créances en compte à terme sur des établissements de crédit, des titres ou des métaux précieux. La Commission estime également que cette qualification en tant que placements de trésorerie mettrait un accent trop marqué sur l’aspect d'investissement, alors que les cryptomonnaies sont de nature extrêmement volatile.

C’est pourquoi la Commission préconise de comptabiliser les cryptomonnaies parmi les Autres créances, à l’actif du bilan. Une cryptomonnaie constitue en essence une créance sur une contrepartie future, qui est disposée à livrer des biens ou prester des services en échange d'une certaine quantité de cryptomonnaies (et de ce fait, prendre part au système des cryptomonnaies). La comptabilisation parmi les Autres créances indique qu'il ne s'agit pas d'une créance, par exemple sur un établissement de crédit, mais sur un nombre de parties qui est, à l’heure actuelle, limité. Une cryptomonnaie n’est pas un moyen de paiement admis par la loi. C’est une méthode permettant d’effectuer une transaction entre parties qui y consentent. Par contre, la comptabilisation en tant qu’Autres créances a l’avantage d’indiquer qu'une contrepartie individuelle doit encore accepter le règlement en cryptomonnaies. Ceci est nettement moins vrai en cas de qualification en tant que Placement de trésorerie et certainement pas en tant que Valeurs disponibles.

La Commission souhaite également attirer l’attention sur la règle d'évaluation reprise à l’article 3:46 de l’AR CSA : « les créances à plus d’un an et à un an au plus font l’objet de réductions de valeur si leur remboursement à l’échéance est en tout ou en partie incertain ou compromis ». Ces créances peuvent également faire l’objet de réductions de valeur si leur valeur de réalisation est inférieure à leur valeur comptable à la date de la clôture annuelle. A fortiori, l’évaluation à la date de clôture doit en tous les cas être en accord avec le dernier prix de la cryptomonnaie à ce moment-là. La Commission souhaite préciser que dans le cas précis des cryptomonnaies utilisées comme moyen de paiement, lorsque leur valeur de réalisation à la date du bilan est inférieure à leur valeur comptable, des réductions de valeur doivent (nous soulignons) en principe être exprimées (et ce, en vertu du principe de prudence)4. Inversement, la réévaluation des créances, lorsque le prix de la cryptomonnaie est plus élevé, n’est pas autorisée (les créances n’étant pas éligible à l’expression des plus-values de réévaluation).

À noter qu’en vertu de l’article 3:27 de l’AR CSA, « les réductions de valeur ne peuvent être maintenues dans la mesure où elles excèdent en fin d'exercice une appréciation actuelle des dépréciations en considération desquelles elles ont été constituées ».

En outre, il est recommandé de préciser dans l’annexe des comptes annuels sur quel montant des Autres créances portent les cryptomonnaies.

Notes

  • 1. Le présent avis a été élaboré après la publication pour consultation publique d’un projet d’avis le 28 juin 2021 sur le site de la CNC.
  • 2. Article 4, 35°/1 de la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l'utilisation des espèces.
  • 3. HELLINCKX, K., BERGMANS, A., VAN ENDE, K., Het fiscale lot van cryptomunten, AFT, 2019/5, p. 9.
  • 4. Il est à noter que la valeur d’une cryptomonnaie (utilisée comme moyen de paiement) ne sera pas dans tous les cas évaluée au cours de clôture à la date de clôture du bilan. Dans le cas par exemple de la conclusion d’un contrat à terme en cryptomonnaie dont la date d’expiration ne coïncide pas avec la date du bilan, aucune réduction de valeur ne pourra être comptabilisée.

Source : CNC - Avis 2021/16

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