Directive mère-filiale: la Cour de Justice (arrêt du 19 décembre 2019, aff. C-389/18) rejette l'ordre d'imputation des déductions fiscales des bénéfices, tel que prévu aux articles 77 à 79 de l'AR/CIR 1992.
Dans sa déclaration d’imposition (EI 2011), le contribuable (la ‘Brussels Securities SA’) a indiqué avoir déterminé sa base imposable en déduisant, en premier lieu, la déduction pour capital à risque (‘D.C.R.’) et, ensuite, les revenus définitivement taxés (‘R.D.T.’); elle a également revendiqué le report de déductions à l’exercice d’imposition 2012, au titre des RDT pour un montant de € (EUR) 6.027.313,39.-, de la DCR pour un montant de € (EUR) 38.787.618,70.- et des pertes fiscales pour un montant de € (EUR) 4.600.991,75.-
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Cette manière de procéder est contestée par l’Administration fiscale, qui entend se baser sur l’ordre d’imputation des déductions fiscales, tel que prévu aux articles 77 à 79 de l’AR/CIR 1992. Selon cet ordre, des bénéfices imposables doivent d’abord être déduits les RDT, ensuite la DCR, et, enfin, les pertes à reporter.
Dans la mesure où ‘Brussels Securities SA’ n’avait pas appliqué ledit ordre d’imputation pour les exercices d’imposition 2005 à 2011, l’Administration fiscale a considéré qu’aucune somme ne pouvait être reportée à l’exercice 2012 au titre des RDT et que, en ce qui concerne la DCR, le montant devait être porté à € (EUR) 44.630.643,66.-. Les pertes à reporter ont été maintenues à la somme de € (EUR) 4.600.991,75.-.
Saisi du litige, le Tribunal de première instance [francophone] de Bruxelles décida de surseoir à statuer et de vérifier auprès de la Cour de Justice si l’article 4, §1er de la Directive 90/435 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État Membre (en l’espèce, du Royaume de Belgique) qui prévoit que les dividendes perçus par une société mère de sa filiale doivent être, dans un premier temps, inclus dans la base imposable de la première, avant de pouvoir faire, dans un second temps, l’objet d’une déduction, à hauteur de 95 % de leur montant, dont l’excédent peut être reporté aux exercices suivants sans limitation dans le temps, cette déduction étant prioritaire par rapport à une autre déduction fiscale dont le report est limité dans le temps.
Dans un premier temps, la Cour de Justice rappelle la ratio legis de la Directive 90/435 précitée et plus particulièrement de son article 4, §1er. Elle souligne ensuite que la déduction en priorité des RDT « est susceptible de diminuer, voire de réduire à zéro, la base imposable, ce qui peut avoir pour effet de priver, totalement ou partiellement, le contribuable d’un autre avantage fiscal » (Considérant n°42), dont en l’espèce la DCR, alors que cette dernière « constitue un avantage fiscal qui a pour effet de réduire le taux effectif de l’Impôt des Sociétés que doit acquitter une [telle] société dans ledit État Membre » (Considérant n°44).
La Cour de Justice en déduit « que la combinaison du régime des RDT applicable aux dividendes perçus, de l’ordre des déductions prévu par la réglementation nationale, ainsi que de la limitation dans le temps de la possibilité d’utiliser la DCR, peut avoir pour effet que la perception des dividendes est susceptible d’entraîner, pour la société mère, la perte d’un autre avantage fiscal prévu par la législation nationale, et, de ce fait, une imposition plus lourde de ladite société que celle à laquelle elle aurait été soumise si celle-ci n’avait pas perçu de dividendes de sa filiale non résidente ou si, ainsi que l’indique la juridiction de renvoi, les dividendes avaient été purement et simplement écartés de la base imposable de la société mère.» (Considérant n°45).
La réglementation belge en la matière (relative à l’ordre d’imputation des déductions fiscales), telle que prévue aux articles 77 à 79 de l’AR/CIR 1992, viole donc le droit européen (Directive mère-filiale).
[1] Cet article dispose: « 1. Lorsqu’une société mère ou son établissement stable perçoit, au titre de l’association entre la société mère et sa filiale, des bénéfices distribués autrement qu’à l’occasion de la liquidation de cette dernière, l’État de la société mère et l’État de son établissement stable:
– soit s’abstiennent d’imposer ces bénéfices,
– soit les imposent tout en autorisant la société mère et l’établissement stable à déduire du montant de leur impôt la fraction de l’impôt sur les sociétés afférente à ces bénéfices et acquittée par la filiale et toute sous-filiale, à condition qu’à chaque niveau la société et sa sous-filiale respectent les exigences prévues aux articles 2 et 3, dans la limite du montant dû de l’impôt correspondant. (…) »