Par la loi-programme du 22 décembre 2023 (M.B. 29 décembre 2023) (la « Loi »), le législateur fiscal a modifié les articles 54 et 344, §2, du Code des impôts sur les revenus 1992 (le « CIR »). Les tenants et aboutissants de ces modifications sont développés ci-dessous.
Les articles 54 et 344, §2, du CIR présument respectivement comme (i) non fiscalement déductibles et (ii) non-opposables à l'administration fiscale certains paiements et transferts d'actifs vers des états considérés comme des paradis fiscaux (aussi bien à l'impôt des personnes physiques qu'à l'impôt des sociétés). Il s'agit plus particulièrement :
Les paradis fiscaux en question visent les états dans lesquels les bénéficiaires de ces paiements et transferts d'actifs (i) n'y sont pas soumis à un impôt sur les revenus ou (ii) y sont soumis à un régime de taxation notablement plus avantageux.
Avant leur modification par la Loi, les articles 54 et 344, §2, du CIR permettaient au contribuable effectuant les opérations précitées vers des paradis fiscaux d'échapper à leur non-déductibilité/opposabilité fiscale en prouvant que ces dernières :
Dans son arrêt rendu le 5 juillet 2012 sur l'affaire SIAT (n° C-318/10), la Cour de justice de l'Union européenne (la « CJUE ») a toutefois condamné le régime de l'article 54 du CIR au motif principal que son champ d'application était trop imprécis et faisait fis de tout critère objectif et vérifiable (notamment sur la qualification de paradis fiscal se basant exclusivement sur une appréciation subjective du niveau de taxation du bénéficiaire des paiements et transferts d'actifs visés).
En résultait une véritable insécurité juridique qui, selon la CJUE, forçait systématiquement les contribuables à prouver le caractère réel, sincère et normal de leurs opérations sans même que l'administration fiscale ne doive fournir un commencement de preuve de fraude ou d'évasion fiscale.
A la suite de cet arrêt, l'article 54 du CIR n'a plus été appliqué lorsque le bénéficiaire des paiements et transferts d'actifs visés était établi au sein de l'Union européenne (mais continuait malgré tout de valoir pour les bénéficiaires résidents de pays tiers).
Pour le surplus, nous ajouterons que les reproches de la CJUE (qui ne concernaient strictement que l'article 54 du CIR) doivent, à notre sens, se transposer entièrement à l'article 344, §2, du CIR compte tenu de la similarité du libellé de ces deux dispositions.
Pour tenir compte de la jurisprudence européenne précitée (comme allégué par le législateur fiscal lui-même dans les travaux préparatoires), la Loi a amendé les articles 54 et 344, §2, du CIR comme suit.
Ces modifications sont entrées en vigueur pour les paiements et transferts d'actifs visés effectués à partir du 1er janvier 2024.
Même si les modifications apportées par la Loi présentent une apparence séduisante de simplification et de nettoyage textuel (en rajoutant la condition d'interdépendance et en uniformisant la preuve du contribuable effectuant les opérations), elles manquent toutefois le nœud du problème qui faisait pourtant l'objet des discussions dans l'affaire SIAT.
En excluant les présomptions de non-déductibilité/opposabilité fiscale lorsque les bénéficiaires des paiements et transferts d'actifs visés sont soumis à un certain niveau d'imposition minimal (i.e. la moitié de ce qui serait dû en Belgique), le législateur fiscal se contente d'une fausse solution qui ne résout pas davantage l'absence de sécurité juridique initialement reprochée par la CJUE (tout en augmentant la charge de la preuve qui repose sur le contribuable).
Car lorsque les bénéficiaires des paiements et transferts d'actifs visés ne peuvent pas se prévaloir de cette exclusion, l'on en revient de fait à la même qualification hasardeuse et imprécise de paradis fiscal dépendant exclusivement d'une appréciation subjective de leur niveau de taxation. Dans ce cas, la preuve d'une opération authentique par le contribuable effectuant les opérations est tout aussi approximative et floue ; difficile donc de parler d'une réelle prévisibilité au sens où l'entendait la CJUE.
Pour bien faire les choses, il aurait fallu établir une liste exhaustive des états considérés comme des paradis fiscaux pour l'application des articles 54 et 344, §2, du CIR. Mais il est vrai que ceci aurait eu l'inconvénient de circonscrire strictement l'appréciation de l'administration fiscale, là où le choix de critères vagues lui laisse une remarquable marge de manœuvre malléable sous le couvert d'une (prétendue) conformité avec SIAT.
Quoi qu'il puisse en affirmer, le législateur fiscal a manifestement raté le coche sur ce sujet. Reste à savoir si ce raté était volontaire et hâtivement dissimulé avec des modifications à moitié satisfaisantes, ou s'il s'agissait simplement d'une tentative ratée (le doute reste permis, tout comme la rectification du trait par le législateur fiscal encouragé en ce sens depuis le début par le Conseil d'Etat). La parole sera probablement donnée aux Cours et Tribunaux.