Paiements vers des paradis fiscaux

Dans son rapport adressé ce 27 juin 2022 au Parlement fédéral, la Cour des comptes examine la manière dont l’administration fiscale contrôle l'obligation de déclaration des paiements effectués vers des paradis fiscaux. Elle constate que la réglementation manque de clarté : il existe trois listes officielles de paradis fiscaux et la liste belge n'est plus conforme à la réglementation belge. En outre, la réglementation est rendue difficilement applicable notamment par une disposition de l'exposé des motifs de la loi-programme, l'influence de la libre circulation des capitaux et les conventions préventives de la double imposition. Enfin, les contrôles sont peu productifs et l'obligation de déclaration peut facilement être contournée. La Cour recommande dès lors à l’administration fiscale d'adapter sa stratégie de contrôle et de se concentrer davantage sur la détection de paiements non déclarés.


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Synthèse

Depuis le 1er janvier 2010, les sociétés belges doivent déclarer les paiements qu'elles effectuent vers des paradis fiscaux lorsque ceux-ci atteignent un total de plus de 100.000 euros. La déclaration doit se faire au moyen du formulaire 275F annexé à la déclaration à l'impôt des sociétés. Cette obligation contribue à lutter contre la fraude fiscale internationale. La globalisation croissante facilite en effet le déplacement de bénéfices vers des entités (sœurs) situées dans des régions fiscalement plus avantageuses. La base imposable des sociétés belges s'en trouve érodée, ce qui entraîne une diminution des recettes à l'impôt des sociétés.

La détection de ces transactions prend beaucoup de temps. Avec l'obligation de déclaration, l'adminis- tration souhaite donc concentrer les contrôles sur la légitimité des paiements plutôt que sur leur détec- tion.

Un paiement déclaré est uniquement déductible

(1) si la société prouve qu'il a été effectué dans le cadre d'opérations réelles et sincères et

(2) pour autant que le destinataire ne soit pas une construction artificielle. Les paiements de plus de 100.000 euros qui n'ont pas été déclarés ne sont pas déductibles.

Dans cet audit, la Cour a évalué, d'une part, l'efficience et l'efficacité de l'approche de contrôle de l'admi- nistration fiscale et, d'autre part, si l'obligation de déclaration a une incidence positive sur la lutte contre la fraude fiscale internationale.

En outre, la Cour des comptes a examiné si l'administration fiscale avait également une vue sur les paie- ments non déclarés de plus de 100.000 euros effectués vers des paradis fiscaux. À défaut, les contri- buables qui omettent intentionnellement de déclarer ces paiements échapperaient au contrôle.

Le concept central de « paradis fiscal » n'est pas univoque. Dans le cadre de cette mesure, un pays est considéré comme un paradis fiscal lorsqu'il figure sur la liste belge, la liste de l'OCDE ou la liste euro- péenne des paradis fiscaux. La première liste est reprise à l'article 179 AR/CIR 92, la deuxième figure sur la page web de l'OCDE et la troisième est publiée au Journal officiel de l'Union européenne. Un contri- buable qui souhaite être correctement informé doit donc consulter trois sources différentes.

En outre, les listes de paradis fiscaux évoluent. La législation et les circulaires doivent donc être réguliè- rement adaptées. Il est étonnant que la dernière révision de la liste belge date de mars 2016 alors que les conditions légales du concept de paradis fiscal ont été considérablement étendues en juillet 2016. L'arrêté royal qui fixe la liste belge n'est donc plus conforme à la législation depuis six ans. Les circulaires qui servent de fil conducteur à l'administration fiscale n'ont pas non plus été adaptées en fonction des listes de pays modifiées lors de la période examinée. Une circulaire adaptée a été publiée après la clôture de l'audit.

Pour que le paiement soit déductible, la société belge doit prouver qu'il n'a pas été effectué vers une construction artificielle. La force contraignante de la réglementation est toutefois minée par une dispo- sition de l’exposé des motifs de la loi-programme, qui précise qu’il ne peut être question d’une construc- tion artificielle que lorsque celle-ci a été créée dans le but d’éluder l’impôt dû en Belgique. Sauf si les sociétés sont liées, il est improbable qu’une société établie dans un paradis fiscal ait été créée précisé- ment dans le but d’éluder l’impôt dû en Belgique. L’administration fiscale ne peut pas non plus rejeter le paiement lorsqu’il a été effectué vers un pays avec lequel la Belgique a conclu une convention préventive de la double imposition incluant une clause de non-discrimination. Une convention importante conte- nant une telle clause est celle conclue avec les Émirats arabes unis, qui est le paradis fiscal comptant le plus de paiements déclarés.

Les contrôles des dossiers sélectionnés comportant des paiements déclarés sont peu productifs. Seulement 16 % des contrôles de l'Administration générale de la fiscalité (AGFisc) et 24 % de ceux de l’Administration générale de l'inspection spéciale des impôts (Agisi) produisent des résultats. Les contrôleurs ne peuvent pas se référer à des instructions concrètes reprenant des exemples de demandes de renseignements. La Cour constate que la méthode de contrôle diffère d'un bureau à l'autre. En outre, rien n'indique que les contrôles clôturés sont analysés de façon structurée et systématique afin d’amé- liorer le processus de sélection. Vu le faible taux de productivité, il faudrait pourtant adapter les critères de sélection.

Quelques obstacles empêchent actuellement l'obligation de déclaration de constituer un instrument efficace dans la lutte contre la fraude fiscale internationale. Comme l'obligation de déclaration n’est imposée qu'en Belgique, elle peut tout d’abord facilement être contournée. Par exemple, lorsqu'une société a recours à un intermédiaire qui ne se trouve pas dans un paradis fiscal, l'administration fiscale ne peut pas le contrôler. En outre, l'administration fiscale ne détecte pas systématiquement les paiements non déclarés. Ainsi, les déclarants (de bonne foi) ont plus de risques d’être contrôlés et sanctionnés que les non-déclarants (de mauvaise foi). L’administration fiscale prend toutefois des initiatives permet- tant de comparer à l'avenir les données de la déclaration 275F avec les données de paiement reprises dans la comptabilité, d’une part, et les données bancaires, d’autre part, et d'automatiser également ce contrôle. Ainsi, les non-déclarants pourront aussi être détectés sans que cela entraîne une charge de travail trop importante pour l’administration fiscale.

Pour être efficace, la stratégie de contrôle doit donc être revue. Outre le contrôle des paiements décla- rés, l'administration fiscale doit se concentrer sur la détection des paiements non déclarés. La probabi- lité que les paiements non déclarés soient frauduleux est plus élevée. En outre, cette stratégie favorise le respect général de l'obligation de déclaration.

En réaction au rapport d'audit, le ministre des Finances indique que certaines recommandations seront prises en compte lors de l'élaboration de projets compris dans le premier et le deuxième plan d'action du comité ministériel pour la lutte contre la fraude fiscale et sociale.

Pour en savoir plus


Source : Cour des comptes, 27 juin 2002

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