Pour bien comprendre les États-Unis, il faut intégrer le fait que les Européens sont déductifs tandis que les Américains sont inductifs. Cette différence s’explique, en partie, par l’arrière-plan judéo-chrétien et catholique des pays européens rayonnants (France, Espagne) et l’arrière-plan réformé des États-Unis.
Mais attention, il y a eu deux Réformes au XVIe siècle : celle de Martin Luther et celle de Jean Calvin. La Réforme luthérienne était celle des paysans. Elle s’est ancrée en Allemagne et dans les pays nordiques. La Réforme calviniste est celle de la bourgeoisie. Elle a migré de Suisse vers les Pays-Bas pour atteindre le Royaume-Uni (qui a créé une Réforme sui generis) avant d’atteindre les États-Unis sous différentes modalités. Le protestantisme évangélique aux États-Unis est surtout influencé par la théologie réformée calviniste et ses idées en matière de prédestination, d’autorité des Écritures, et de vie chrétienne disciplinée.
Les réformés croient que la prospérité des affaires est un signe de leur élection divine. Inspiré de l’Ancien Testament, le protestantisme voit l’enrichissement comme une bénédiction divine. Les calvinistes avancent la notion de prédestination et considèrent leurs succès professionnels comme une marque de la Providence et une confirmation de leur élection divine. Cependant, pour maintenir la foi, l’élection exige abnégation et ascétisme. Cet ascétisme mène à l’investissement productif de l’épargne, car ce qui est rejeté (plus explicitement par le calvinisme que par le luthéranisme), c’est de se reposer sur ses richesses.
Le sociologue Max Weber soulignait l'importance du concept allemand de Beruf (mot intraduisible qui signifie le labeur). Pour les réformés, ce qui est blâmable, c’est la thésaurisation improductive, que ce soit de l’argent ou du temps. Se reposer dans la possession est inapproprié parce que le travail est précieux. Chaque heure soustraite au travail ne contribue pas à la gloire divine. Cela renvoie à la notion de rapport au temps : pour Martin Luther, le travail dissipe le doute religieux et alimente la certitude de la grâce. Les mêmes orientations imposées par Jean Calvin sont à l’origine de l’essor de l’horlogerie suisse, puisque les bijoux étaient blâmables, mais pas les horloges, qui permettaient de s’assurer que chaque minute soit consacrée au travail. Jean Calvin prônait une exaltation de la communion permanente avec Dieu.
À la lumière de ce qui précède, on comprend pourquoi les États-Unis ont choisi un système économique sans protection sociale. Chacun doit prouver, de manière acharnée, son élection par son effort personnel. L’échec n’est pas un accablement : il possède la vertu de devoir se remettre en question et de se risquer à nouveau. Et on comprend pourquoi la notion d’économie de marché, c’est-à-dire un système où le prix de tout facteur de production est un mobile, s’est lovée dans l’esprit calviniste.