«Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir»
Nous sommes pour la plupart tous bien formés à la conduite d’un véhicule, tout comme s’impose, à l’évidence de le conduire assuré. Pourtant, le fait de “blinder” son mandat échappe à certains qui découvrent tard qu’ils peuvent être solidairement responsables du payement des dettes de la société dans laquelle ils exercent leurs fonctions. En effet, la mansuétude envers les administrateurs dont fait preuve, notamment, le fisc et l’ONSS est très limitée.
Les fautes imputables aux mandataires seront traitées différemment selon qu’elles soient “légères” ou pas.
Il existe aussi une disposition qui sanctionne l’administrateur qui maintiendrait une activité déficitaire sans perspectives de redressement.
Rappelons aussi que la préparation des données chiffrées (bilans, règles d’évaluation, etc.) d’une entreprise repose aussi sur la responsabilité des administrateurs avant celle du comptable.
L’article 2:51 du Code des Sociétés et des Associations (« CSA » depuis mai 2019) introduit l’obligation, pour chaque membre d’un organe d’administration ou délégué à la gestion journalière, de « bien » exécuter le mandat qu’il a reçu.
Lorsque tel ne sera pas le cas, on tentera de considérer son comportement comme étant fautif dans le sens que donne le code civil ; Art. 1382. « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer. ».
Le CSA précise que les administrateurs, ne sont responsables que « des décisions, actes ou comportements qui excèdent manifestement la marge dans laquelle des administrateurs normalement prudents et diligents placés dans les mêmes circonstances peuvent raisonnablement avoir une opinion divergente ».
Au travers de son article 2:56, le CSA délivre donc une définition de ce concept d’« appréciation marginale ».
Par ailleurs, l’article 2:57 du CSA introduit une limitation de la responsabilité des administrateurs ; ce « plafond » garantit que la responsabilité des administrateurs soit limitée à un montant maximum en fonction de la taille de la société.
Cependant, ce « plafond » s’applique uniquement aux fautes légères accidentelles. En d’autres termes, la limitation de la responsabilité ne s’applique pas aux autres « fautes » (considérées comme non légères) telles les obligations de garantie légale, de libération du capital, à la responsabilité spéciale pour dettes fiscales, aux dettes ONSS, à la fraude fiscale, au dol, à la faute grave, pas plus qu’à la faute légère mais « répétée »..
Il faut savoir que sont également visés les administrateurs « de fait », c’est-à-dire, les personnes qui détiennent ou ont effectivement détenu un pouvoir de gérer une société (association, fondation, etc.).
Cette notion d’administrateur de fait (comprenez l’homme de l’ombre) est définie comme une personne qui, sans fondement juridique ou mission conférée par les organes de la société, exerce une activité effective de gestion et d’administration dans la société en toute indépendance et souveraineté.
L’introduction d’un plafond (relatif) dans la responsabilité d’un mandataire est de nature aussi à faciliter la couverture par une compagnie d’assurances sur base de ces critères ;
De nos jours, il devient donc prudent avant de s’engager dans un mandat d’administrateur, d’analyser la société concernée ainsi que les enjeux auxquelles elle doit faire face.
Dans les faits, avoir un comportement proactif, consiste à manifester, par écrit, son éventuel désaccord avec les décisions du conseil d’administration ceci afin d’exclure ou limiter sa responsabilité de mandataire.
L’article 2:56 du CSA stipule que si l’organe d’administration ne forme pas un collège, les membres sont solidairement responsables, tant envers la personne morale qu’envers les tiers, de tous les dommages résultant de violations des dispositions du CSA et/ou des statuts.
Un administrateur pourrait se soustraire d’un cas de responsabilité solidaire. En premier lieu, il sera nécessaire qu’il n’ait pas personnellement contribué à cette faute.
Ce sera le cas lorsqu’un administrateur a, par exemple, été absent, pour des justes motifs, à une réunion lors de laquelle la décision incriminée a été prise. Cependant cela nécessitera que l’administrateur qui tente de s’écarter de la décision prise “dénonce” ce qu’il considère comme une faute des autres administrateurs.
Il est utile de savoir que l’article 2:56, alinéa 4 du CSA impose que ce désaccord et le débat qui en découle, soit inclus dans le procès-verbal.
Sans le respect de cette obligation d’”inclusion”, l’administrateur qui désapprouve une résolution ne pourra se soustraire à sa responsabilité, ce qui dans la pratique pourra générer des substantielles difficultés de mise en œuvre.
Pour faire court, l’administration viendra donc collecter ses créances auprès des mandataires d’une société indélicate ou malchanceuse.
La responsabilité d’un mandataire ne sera jamais plafonnée en ce qui concerne les dettes envers l’Etat, que ce soit au niveau fiscal tout comme sur le plan social.
Il est important de noter que ce n’est pas seulement la faute lourde qui peut provoquer une responsabilité solidaire de payement des dettes fiscales/sociales, par un administrateur d’une société négligente, mais aussi celle qui est « simplement » répétée.
C’est aussi l’occasion de rappeler que depuis le 1er janvier 2018, lors d’un éventuel redressement fiscal, il n’est plus possible d’imputer les pertes antérieures ainsi que les autres éventuels reports fiscaux (déduction pour capital à risques, etc.).
L’administration applique également une majoration de minimum de 10 %, chacun évaluera donc son attitude et ses choix de gestion face aux risques.
Nous reproduisons ci-après les extraits pertinents des différentes législations en vigueur en lien avec la solidarité des mandataires.
A) TVA – Taxe sur la Valeur Ajoutée
« § 1er. 1[En cas de manquement, par une société ou 2[une association ou fondation respectivement visée à l’article 3:47, § 3, ou à l’article 3:51, § 1 à 4, du Code des sociétés et des associations]2, assujettie à la T.V.A., à son obligation de paiement de la taxe, des intérêts ou des frais accessoires, le ou les dirigeants de la société ou de la personne morale chargés de la gestion journalière de la société ou de la personne morale sont solidairement responsables du manquement si celui-ci est imputable à une faute au sens de l’article 1382 du Code civil, qu’ils ont commise dans la gestion de la société ou de la personne morale.
…
§ 2. Le non-paiement répété par la société ou la personne morale de la dette d’impôt susvisée, est, sauf preuve du contraire, présumé résulter d’une faute visée au § 1er, alinéa 1er.
Par inobservation répétée de l’obligation de paiement de la dette d’impôt au sens du présent article, l’on entend:
– soit, pour un assujetti soumis au régime de dépôt de déclarations trimestrielles à la T.V.A., le défaut de paiement d’au moins deux dettes exigibles au cours d’une période d’un an ;
…
Cette disposition ne fait, toutefois, pas obstacle à ce que le fonctionnaire chargé du recouvrement puisse requérir, dans le délai précité, des mesures conservatoires à l’égard du patrimoine du ou des dirigeants de la société ou de la personne morale qui ont fait l’objet de l’avertissement.] … »
« [Les personnes qui auront été condamnées comme auteurs ou complices d’infractions visées aux articles 73 et 73bis seront solidairement tenues au paiement de la taxe éludée et des intérêts dus par le redevable initial de la taxe.
…
Les personnes physiques ou morales seront civilement et solidairement responsables des amendes et des frais résultant des condamnations prononcées en vertu des articles 73 à 73quater contre leurs préposés ou leurs administrateurs, gérants ou liquidateurs dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions, en droit ou en fait.] »
B) Précompte professionnel – Disposition analogue en termes de solidarité de payement
Nous renvoyons donc au principe de solidarité que contient l’article 442 quater du Code des Impôts sur les Revenus (« CIR »).
C) Dettes fiscales – Vente d’une société de liquidité
Cet article ne s’applique que dans le cas d’une vente d’actions d’une société dite de liquidité, qui correspond bien souvent à une entreprise en phase d’attente de liquidation mais dont la cession des actions est fiscalement plus favorable.
Le Code de droit économique instaure un mécanisme de responsabilité en lien avec les éventuelles dettes sociales (collectées par « l’ONSS ») en souffrance ;
Art. XX.226. « Sans préjudice de l’article XX.225, l’Office national de Sécurité sociale ou le curateur peuvent tenir les administrateurs, gérants, délégués à la gestion journalière, membres du comité de direction ou du conseil de surveillance, actuels ou anciens, et toutes les autres personnes qui ont effectivement détenu le pouvoir de diriger l’entreprise comme étant personnellement et solidairement responsables pour la totalité ou une partie des cotisations sociales, en ce compris les intérêts de retard, dues au moment du prononcé de la faillite, s’il est établi qu’au cours de la période de cinq ans qui précède le prononcé de la faillite, ils ont été impliqués dans au moins deux faillites ou liquidations d’entreprises à l’occasion desquelles des dettes de sécurité sociale n’ont pas été honorées, pour autant qu’ils aient eu lors de la déclaration de faillite, dissolution ou entame de la liquidation desdites entreprises la qualité de dirigeant, ancien dirigeant, membre ou ancien membre d’un comité de direction ou de surveillance ou avaient ou avaient eu en ce qui concerne les affaires de l’entreprise, une fonction dirigeante effective. ».
Cela étant, nous attirons votre attention sur le fait qu’en faisant appel à des entrepreneurs et/ou leurs sous-traitants, votre société, pourrait elle-même devenir responsable d’une infraction relative à la section 1ère du chapitre IV de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs occupés.
L’article 2:58 CSA proscrit aux administrateurs de limiter à l’avance leur responsabilité, de même qu’elle ne permet pas aux personnes morales d’exonérer ou garantir la responsabilité de ses administrateurs. Si une clause de ce type était insérée dans les statuts et/ou une convention elle serait simplement réputée comme non écrite.
Cela étant, il reste possible pour une société d’assurer, à ses frais, la responsabilité de ses administrateurs. Cette faculté n’ampute pas les actionnaires de leur droit à obtenir une compensation financière en cas d’erreurs avérées.
Le Code de droit économique contient une disposition relative à la responsabilité spéciale qui s’applique également à la poursuite d’une activité déficitaire (« wrongful trading»).
Cette disposition figure dans la Loi sur l’insolvabilité et concerne la responsabilité d’un administrateur pour la poursuite injustifiée d’une entreprise dont la situation est irrémédiablement compromise, quand :
Si les comptes annuels n’ont pas été soumis à l’assemblée générale des actionnaires dans les délais légaux, le dommage subi par les tiers est, sauf preuve contraire, présumé résulter de cette omission.
Il existe donc une présomption simple de causalité entre le dommage subi par un tiers et la faute de l’organe de gestion.
Dans ce cas, la responsabilité civile des administrateurs est engagée. Il revient aux administrateurs de démontrer que le dommage ne résulte pas de cette omission de publication.
Par ailleurs, le tribunal de commerce peut, à la demande de tout intéressé ou du ministère public, prononcer la dissolution d’une société qui ne dépose simplement pas ou pas à temps ses comptes annuels auprès de la Banque nationale de Belgique (auparavant trois non-dépôts successifs, c’est donc devenu nettement plus strict).
Dans les faits, si la société ne dépose pas ses comptes annuels à temps, ce retard peut donner lieu à l’introduction d’une action en dissolution judiciaire à compter du huitième mois après la clôture de l’exercice comptable.
Cependant, la société obtiendra probablement un délai de régularisation afin de pouvoir déposer ses comptes annuels mais il reste préférable d’éviter une procédure de dissolution judiciaire et les frais afférents.
Sur le plan théorique, il existe d’autres motifs d’incrimination pour les administrateurs, mais dans des contextes délictueux comme : abus de biens sociaux, détournements, fraude fiscale aggravée, etc.
Il est perceptible que les responsabilités (et les mises en cause) s’accentuent avec le temps, tout comme la charge qui repose sur les mandataires des personnes morales.
Malgré tout, la bonne nouvelle c’est qu’il existe des moyens simples pour limiter les effets néfastes de ces situations, en deux mots : communiquer et s’assurer.
Pour cela il faut rester diligent et réagir avant que le feu n’embrase la forêt, Il n’est jamais tout à fait trop tard pour réagir par contre ne rien faire vous pénalisera a chaque fois.
Prémunir son patrimoine personnel d’administrateur doit constituer votre priorité absolue.
Source : anticiper.tax, 13 novembre 2020
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