Aucun de nous n’ignore désormais que notre système de pensions est en déséquilibre financier. On peut même dire qu’il est en danger. Une chronique de Charles Markowicz, expert-comptable certifié.
Le budget des pensions belges s’envole dangereusement depuis une quinzaine d’années : s’il était de 37 milliards d’euros en 2010, il devrait en atteindre 67 cette année. Cette croissance incontrôlée a de quoi nous préoccuper.
Notre modèle de pensions repose depuis près de 75 ans sur le principe de la répartition. Selon ce fondement de solidarité intergénérationnelle, les entreprises et les travailleurs actifs cotisent pour payer les pensions des personnes retraitées à la même période. Cette organisation collective est à l’opposé du principe de capitalisation, privilégié notamment aux États-Unis, où chacun cotise pour sa propre pension future selon ses moyens.
Dans notre système, l’équilibre financier du régime légal (aussi appelé premier pilier) est donc préservé tant que les actifs cotisent assez pour payer les pensionnés. Mais lorsque la durée de vie moyenne augmente, que l’âge légal de la retraite ne suit pas, que les pensions sont revalorisées et que le travail est de plus en plus à temps partiel, les recettes sont inférieures aux dépenses… et le gouffre va croissant. C’est clairement la tendance actuelle dans la plupart des pays occidentaux. L’État doit ainsi combler l’écart, augmenter les impôts, réduire ses dépenses ou s’endetter encore plus, alors que son déficit est en principe limité à 3 % de son PIB.
Conceptuellement, il est facile de comprendre que si nous vivons plus âgés mais que l’âge de fin de cotisation n’augmente pas, l’ensemble de la population bénéficie plus longtemps d’une pension. Or, seulement 5 % de nos concitoyens cotisent encore après 60 ans. En guise de comparaison, ils sont 20 % chez nos voisins néerlandais.
Saviez-vous que la pension médiane d’un indépendant est de 1.300 € par mois, celle d’un salarié de 1.600 € et celle d’un fonctionnaire de 3.000 € ?
Sur base des statistiques qui prévoient les comptes à moyen et long termes, nos gouvernements incitent depuis le début du siècle les entreprises et les travailleurs à développer un deuxième pilier de pension (des accords collectifs et globaux) et un troisième pilier (une épargne pension ou à long terme, personnelle) en contrepartie d’avantages fiscaux.
Ces maigres avantages ne sont toutefois pas responsables du déséquilibre des pensions. C’est plutôt l’individualisme croissant de nos sociétés qui rompt la solidarité intergénérationnelle : les jeunes actifs en 2023 ne comprennent pas pourquoi ils devraient tant payer pour les pensionnés alors qu’ils ont déjà des fins de mois difficiles. C’est la raison pour laquelle la plupart des travailleurs – salariés ou indépendants – préfèrent la sauce Bouchez quand ils cotisent durant leur parcours professionnel. C’est-à-dire : moins de prélèvements sur leur salaire.
Par contre, quand il s’agit de toucher leur pension, ils privilégient la sauce Lalieux, plus généreuse et plus onctueuse pour les bas et moyens salaires. Mais attention : à en croire la récente mouture des changements qu’elle propose, les pensions complémentaires supérieures à 679 000 euros seront bientôt taxées à 33 %, contre 16,5 % actuellement (10 % selon l’âge de leur perception). Le débat est ouvert…
Ne croyez pas que les mesurettes proposées par les uns et les autres (un an avant les élections fédérales) donneront un nouvel élan d’équilibre au régime des pensions. C’est d’une réforme à long terme dont nous avons besoin. D’autant plus que l’intelligence artificielle aura des effets dévastateurs sur l’emploi et donc sur les cotisations sociales qui risquent une forte contraction. Après ce constat, à quelles pistes de solutions peut-on penser ? Quelles sont les variables de cette équation mathématique ?
Une première piste est d’allonger la durée de cotisations. Mais de plus en plus de personnes se déclarent éreintées, victimes d’un burnout ou d’une maladie physique. Il faudrait donc également prendre en compte la pénibilité des carrières. Une autre alternative est d’augmenter les prélèvements sociaux. Mais qui l’acceptera dans ce pays qui figure parmi les plus taxateurs au monde, au risque de favoriser la fuite des hauts salaires et des cerveaux ? On pourrait également retourner vers un modèle de répartition, comme avant les années 1950, au risque de remettre en cause les encours et pratiques depuis des lustres. Une autre solution est de plafonner les pensions au salaire net moyen ou médian – au nom de la solidarité – ou d’endetter encore plus le pays : toute dette doit être remboursée un jour, par une génération ou la suivante.
Personne n’a encore mis de solution miracle sur la table. Des réformes et des arbitrages politiques seront nécessaires en fonction du modèle de société que les électeurs souhaiteront. Des excès et privilèges devront passer à la trappe, cela ne fait plus de doute. Le surplus de pension plus que généraux, par rapport à un plafond déjà élevé, que les parlementaires s’étaient auto accordés, illustre cela à suffisance. Certes et c’est essentiel, il semble que seules quelques dizaines de députés ont bénéficié de ces extras qui peuvent dépasser 9.000 € mensuels. À lire les propos de l’ancien ministre socialiste A. Flahaut, ce privilège n’était pas illégitime. Les travailleurs salariés et indépendants et les employeurs apprécieront ou non cette expression surréaliste voire choquante. Ce privilège de caste n’était peut-être pas illégal mais était-il vraiment légitime en 2023 ?
Source : La Libre, mai 2023